Pourquoi la démence sénile ne doit pas signifier la fin de la vie<!-- --> | Atlantico.fr
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La démence sénile ne se manifeste que dans des durées de temps limitées.
La démence sénile ne se manifeste que dans des durées de temps limitées.
©Reuters

Le bel âge

On croit souvent qu'être âgé et atteint de démence sénile va de pair avec une perte totale ses capacités et ses moyens. Pourtant, la personne âgée peut encore vivre de belles périodes de lucidité.

Philippe Hedin

Philippe Hedin

Philippe Hedin est le directeur de La vie à domicile, une association d'aide aux personnes dépendantes où il travaille depuis 25 ans.

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Atlantico : L'idée qu'une personne âgée atteinte de démence ne peut plus prendre aucune décision par elle-même est très répandue. Est-ce vraiment le cas ?

Philippe Hedin : Déjà, il faut savoir que la démence sénile est difficile à définir. C'est une grande question, car la notion de "démence" est vague. Il n'y a qu'après autopsie qu'on est sûr que la personne était, par exemple, démente d'Alzheimer. On peut définir la démence comme l'altération des facultés cognitives. Cela peut être du à la maladie d'Alzheimer, qui est une forme de démence, mais la démence sénile peut être aussi causée par la maladie de Parkinson, par le SIDA … C'est un désordre neurologique. Mais même les médecins ne sont pas d'accord entre eux concernant les sources de la démence sénile. Concrètement, la démence se manifeste par des comportements aberrants au quotidien, la personne va demander des dizaines de fois la même chose, ranger la vaisselle au réfrigérateur etc.

Une personne démente ne perd pas toutes ses facultés décisionnelles, en tout à cas jusqu'à un certain stade. Il est donc important d'en tenir compte et ne pas décréter qu'elle est devenue incapable. Bien au contraire, lui demander son avis, l'associer, contribuera à maintenir des capacités. Ses goûts, ses envies, ses refus sont à prendre en compte. Il est vrai que l'absence de communication verbale complique les choses, il faut tenir compte de son comportement, de son humeur. Le dément conserve des moments de lucidité qui peuvent être de grands moments de souffrance ou de dépression sévère.  Au début de la maladie, il ne faut pas l'infantiliser il faut maintenir ses capacités, ses compétences, ne pas le mettre en situation d'échec. Ne pas le réduire à la maladie mais continuer à le considérer comme une personne. Au début, peut-être envisager l'avenir par la désignation d'une personne de confiance, par un mandat de protection future en en discutant ensemble tant que c'est possible.

Pourquoi est-il si compliqué de concevoir que la démence n'empêche pas les moments de parfaite lucidité ? Par quels mécanismes cette coexistence s'explique-t-elle d'ailleurs ?

Il y a des personnes, en début de démence, qui vont continuer à donner l'impression qu'elles sont toujours capables de raisonner et qui vont faire illusion, on va croire qu'elles vont bien et, tout à coup, cela va s'effondrer car plus rien ne tient. L'autre exemple est celui des moments alternatifs, il y a des moments où la personne sera complètement "à l'ouest", et d'autres où elle sera complètement en phase avec son interlocuteur, pourra discuter normalement, mais cela ne dure pas.

Pour voir si une personne commence à être en démence, il faut prendre du temps. Il ne faut pas raisonner dans l'instant, en se disant que sur le moment elle va très bien. Il faut vérifier et ne pas être binaire. Il faut surtout rester calme, même si une personne âgée pose 10 fois la même question, il faut lui répondre et éviter de la contrarier, sinon elle s'enfoncera encore plus. Cela demande beaucoup de patience, ce n'est pas facile mais il n'y a pas de choix sinon la personne s'énerve, nous aussi, et la relation devient totalement négative.

Lucidité et altération coexistent et ce n'est pas facile de faire la part des choses, cela demande beaucoup d'observation, de disponibilité, de patience de tolérance. Chaque personne reste singulière, même si elle connaît une perte croissante de son autonomie. Le dément pourra méconnaître le risque, le danger, il faut alors faciliter son environnement. Il pourra aussi perdre les règles sociales,les inhibitions... Il faudra expliquer, être attentif. D'une manière générale considérer que la personne garde de la lucidité conduit à la respecter en prenant en compte sa grande vulnérabilité, sa grande solitude.

Certains types de décision sont-ils davantage impactés par la démence ? Ou "frappe"-t-elle de façon indéterminée ?

Je ne peux pas vraiment répondre car il y a vraiment une multitude de situations différentes. Il n'y a pas de situations-type, cela va dépendre des personnes, de leur histoire, de leur contexte. Cela peut être des choses insignifiantes comme des choses très graves. Il n'y a pas de modèle. On peut avoir des questions répétées sans cesse, une personne voulant parler à quelqu'un qu'elle a connu il y a 50 ans, elle va attendre quelqu'un, je connaissais une personne qui attendait le Président de la république par exemple. Ce sont des situations inadaptées, mais cela peut aussi être des choses totalement "folles", avec l'argent par exemple, ou même vouloir tuer quelqu'un. Ce n'est pas toujours évident. Certaines situations d'oubli des convenances sont parfois très gênantes, il faut gérer cela en expliquant. Si une personne vous saute au cou, c'est parce qu'elle oublie qu'il ne faut pas le faire… Je pense à une femme d'à peine 50 ans, malade d'Alzheimer, que tous les hommes approchaient pour en profiter car il n'y avait plus d'inhibition sexuelle chez elle, l'envie n'était plus retenue, alors que dans la vie réelle la chose est beaucoup plus compliquée. C'est l'idée : il n'y a plus de barrières, de règles.

En quoi cela amène-t-il à repenser la prise en charge de cette maladie mais aussi la perception même que les malades en ont ?

On dit parfois que les personnes âgées retombent en enfance, mais je pense que cela ne sert à rien de les traiter comme des enfants. Il faut éviter d'être en opposition frontale avec elles : si la personne ne veut pas aller chez le médecin, il faut aller faire un tour, passer devant le cabinet, et rentrer sans lui dire. Avec un enfant, on sera frontal, on imposera des règles, c'est ce qu'il ne faut pas faire. La personne âgée n'est pas du tout un enfant, elle a un autre cheminement.

Il faut la respecter aussi dans son intimité, sa dignité, créer et maintenir constamment une relation de confiance. Tout cela impose de veiller à construire l'accompagnement des personnes avec elles-mêmes et leurs proches dans un climat bienveillant, positif. Cela demande aussi une réflexion plus présente sur l'avenir, sur les notions de personne de confiance, de directives anticipées... Et surtout s'appuyer sur les capacités résiduelles et non s'arrêter aux déficits.

Malheureusement, à ce jour, il n'y a pas vraiment d'espoir dans le traitement des démences. La seule chose est de savoir vivre cela le mieux possible, en faisant attention, en étant à l'écoute, prudent, et patient. Mais il n'y a pas de guérison.

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