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Pourquoi la bataille européenne qui fait discrètement rage pour le contrôle de la BCE impacte largement autant notre avenir économique que les réformes entreprises en France
©Capture écran France TV

Silence, on nomme !

Le jeu de chaises musicales​ concernant les postes de gouverneurs à la Banque centrale européenne débute en cette année 2018 dans un cycle qui devrait s'achever à la fin de l'année 2019, et semble attirer toutes les convoitises des différents pays européens.

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi est économiste, directeur général du think-tank GenerationLibre.

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Quelle est l'importance de ces postes dans la conduite de la stratégie économique du continent, et, plus largement, quelle est l'importance de la BCE elle même pour les citoyens européens ?
Maxime SbaihiIl faut comprendre que le conseil des gouverneurs, l'organe décisionnel de la BCE, est composé de 25 membres: les 19 gouverneurs de chaque banque centrale nationale plus 6 membres du directoire. C'est de ces derniers dont nous parlons ici. Ils sont à plein temps à Francfort, pilotent la machine BCE et sont très écoutés par les marchés qui scrutent leurs mots avec beaucoup d'attention.
Ces postes permettent à certains états, habituellement les grandes économies de la zone euro, de disposer d'une deuxième voix au conseil. Ils sont importants mais il faut rappeler que la BCE prend ses décisions par consensus. Contrairement à d'autres grandes banques centrales elle ne vote pas, sauf dans des cas extrêmes comme par exemple le lancement du programme d'assouplissement quantitatif. Le jeu de pouvoir entre ses 25 membres n'est donc pas arithmétique, il se joue plutôt sur un terrain d'entente que doivent trouver les diverses opinions au sein du conseil.
Ce qui compte dans ce jeu surtout médiatique des chaises musicales c'est avant tout le choix du prochain président. Le mandat de Mario Draghi arrive à terme en octobre 2019. Lui succéder ne sera pas une tâche facile. Avec le recul, on peut dire qu'il est l'homme qui a sauvé la zone euro. Il a su utiliser son autorité pour calmer les marchés puis déployer un arsenal de crise pour chasser la tempête. Sa promesse du 26 juillet 2012 de faire tout en son pouvoir pour préserver la zone euro a ramené le calme au plus fort de la crise. Le programme d'assouplissement quantitatif mis en œuvre depuis comporte certes des risques, qui vont grandissant avec le temps, mais force est de constater qu'il a débloqué la plomberie monétaire. C'était la une condition nécessaire pour engager la reprise que nous observons aujourd'hui, et que les citoyens peuvent peu à peu ressentir.
Dans quelle mesure cette bataille de postes peut-elle révéler des ambitions très politiques de la part des Etats, entre les différentes conceptions de la "bonne" approche à avoir dans la conduite de la politique monétaire de la BCE ? En quoi s'agit-il d'un enjeu de pouvoir "fondamental"?
Je pense qu'il y a beaucoup de fantasmes. On voit certains pays comme l'Espagne par exemple, qui a perdu son siège au directoire en 2012, faire presque une question d'honneur de replacer un ou une autre des siens à Francfort. Il y a forcément des luttes d'influence entre états mais elles sont plus symboliques qu'autre chose.
Il faut bien comprendre que les membres de la BCE fixent une politique monétaire unique et qui vaut pour la zone euro dans son ensemble. Et, encore une fois, cela fonctionne par consensus. Il y a la très peu de marge pour des considérations nationales. Les quelques pays qui disposent de deux membres dans le conseil des gouverneurs ne sont en vérité pas plus avantagés que d'autres lors de la décision. Regardez la France, elle peut compter sur Benoit Coeuré et François Villeroy de Galhau. Pourtant qui peut sérieusement affirmer que la politique monétaire est plus française qu'espagnole?
Hormis la personnalité du président de la BCE, on est ici loin d'enjeux de pouvoir fondamentaux. C'est incomparable avec les bras de fer que se livrent les membres de l'UE lorsqu'il s'agit de repartir les noms et les portefeuilles des commissaires européens à Bruxelles.
Quelles sont les perspectives qui s'annoncent dans cette lutte ? L'Allemagne peut-elle parvenir, après 20 ans de disette concernant le poste de président de la BCE, à obtenir la nomination de son candidat -à priori Jens Weidmann, actuel président de la Bundesbank ?
Oui, l'Allemagne est bien partie pour mettre Weidmann à la place de Draghi. Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, on peut estimer que le tour de l'Allemagne, plus grande économie de la zone euro, est venu. L'attente a duré vingt ans, depuis la création de la BCE dans le moule de la Bundesbank dont il faut rappeler que les allemands ont abandonné la primauté à contrecœur.
Deuxièmement, je pense que Jens Weidmann est plus pragmatique qu'il en a l'air. Certes il fait partie de ce qu'on appelle les faucons, ceux qui trouvent la ligne Draghi trop accommodante, mais il a fortement tempéré ses critiques depuis 2016. Il a même été jusqu’à avouer dernièrement que la politique monétaire actuelle était "appropriée". Qu'il soit volontaire ou non, son exercice de modération le replace un peu plus au centre des sensibilités monétaires au sein du conseil. Etre a minima consensuel est une qualification nécessaire pour le job: le président de la BCE est celui qui doit trouver un point d'équilibre entre les 25 opinions du conseil. Il en va de la crédibilité de son institution, et de sa parole.
Troisièmement, Weidmann arriverait au bon moment en novembre 2019. Si l'économie de la zone euro tient ses promesses et l'inflation retrouve des couleurs d'ici la fin de l'année il est probable que la BCE doive commencer à resserrer sa politique monétaire. D'abord en arrêtant d'acheter des actifs en 2018, puis en entamant le pilotage vers un cycle de hausse des taux sur la deuxième partie de 2019. Dans ces conditions, le siège ne serait pas inconfortable pour le faucon historique qu'est Weidmann.

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