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Pourquoi l’assassinat de Nemtsov ne déclenchera pas de printemps russe
©REUTERS/Peter Kovalev

Faux espoir

Après avoir remis en question l'engagement de la Russie en Ukraine dans une émission de radio, Boris Nemtsov a été assassiné, provoquant un élan d'émotion dans le pays. Si ce dernier peut rappeler les événements de 2012, l'opinion publique russe est habituée à une scène politique qui se nourrit de violence.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Les manifestations qui ont fait suite à l'assassinat de Boris Nemtsov ont suscité dans les médias occidentaux l'espoir d'un soulèvement populaire, un "printemps russe". Si certaines pancartes "Je suis Nemtsov" ont pu être aperçus dimanche 1er mars, doit-on vraiment s'attendre à une dynamique populaire dans le sens humaniste qur l'on peut l'imaginer en Europe ?

Cyrille Bret : un "printemps russe" comparable aux printemps arabes est peu probable en Russie à l’heure actuelle. En effet, aucun changement de régime n’est en vue pour le moment : l’opinion russe accorde très largement sa confiance, dans les urnes et dans les sondages, aux partis actuellement représentés au Parlement ; elle soutient l’action de son président, y compris dans la crise ukrainienne ; elle aspire surtout à un retour aux années fastes de prospérité fondée sur la rente énergétique. Les printemps arabes – tout comme la révolution de Maïdan – ont largement procédé d’un ras-le-bol à l’égard de kleptocraties inefficaces. Or, l’actuel régime politique a montré son efficacité dans plusieurs domaines aux yeux de l’opinion : économique, militaire, diplomatique, sécuritaire, etc.

La dynamique populaire constatée aujourd’hui rappelle celle des années 2011 et 2012. Elle est profonde et authentiquement soucieuse de promouvoir un nouveau cours politique. En revanche, elle est limitée dans son ampleur par plusieurs facteurs : la division de l’opposition politique, la faiblesse de l’opposition institutionnelle, les difficultés d’expression publique, la division du pays entre grandes métropoles internationalisées (Moscou, Saint-Petersbourg, etc.) et les villes moyennes.

Le principal slogan politique scandé aujourd’hui a été "la Russie sans Poutine" qui est une reprise des manifestations de 2012. Or, le refus d’une personne n’est pas un programme politique. Encore moins une plateforme d’action commune.

Si les oppositions à Vladimir Poutine sont en train de se cimenter, comment décrire cette dynamique ? Quels sont les combats menés par cette opposition ?

Florent Parmentier : Les oppositions rassemblées depuis quelque temps dans un conseil de coordination sont extrêmement divisées. Par des questions de personnes, par des problèmes politique et par des options différentes en matière de mode d’action. Il n’est besoin que d’observer les prises de position concernant l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie, il y a un an, en mars 2014. Si Boris Nemtsov l’a condamnée, l’autre figure de l’opposition connue des Occidentaux, Alexeï Navalny, l’a, quant à lui, soutenue.

Leurs combats sont aujourd’hui inspirés par le souhait d’une plus grande liberté. Mais ils sont encore sectoriels : la lutte contre la corruption, la défense de la liberté d’expression, la défense du féminisme, la protection des minorités religieuses, sexuelles, etc. La production d’un programme d’action commun n’est pas encore en vue.

Le fait d'assassiner un homme politique, dans la culture russe, peut-il avoir la même portée qu'en France par exemple dans l'esprit des populations ?

Cyrille Bret : la culture politique russe accorde une place importante à la violence physique y compris dans ses manifestations extrêmes. Le meurtre pour motif politique est un instrument d’influence politique répandu quel que soit le régime et quelle que soit l’époque. De l’assassinat du tsar libérateur des serfs, Alexandre II, en 1881, à l’assassinat de figures politiques d’opposition comme Anna Politkoskaïa en 2006 et Boris Nemtsov aujourd’hui, en passant par l’assassinat de Léon Trotski en 1941 et de Kirov en 1934, l’histoire politique russe et soviétique comprend des meurtres politiques comme des points tournants.

C’est que l’engagement politique en Russie est, en raison des faibles marges de manœuvres qui lui sont laissées, structurellement axée sur l’action d’éclat et le programme radical. La radicalisation des groupes d’opposition est elle, dans l’histoire politique russe, que l’assassinat politique est abondamment théorisé, discuté et trop souvent justifié. Le roman Les Démons de Dostoïevski met en scène cette fascination de l’élimination physique.

La culture politique française n’est certainement pas exempte, quant à elle, d’assassinats politiques ou de tentatives d’assassinats. Des attentats anarchistes au tournant du 20ème à la tentative d’assassinat contre le général de Gaulle en 1962, la culture politique républicaine n’exclut malheureusement pas les atteintes à l’intégrité physique des dirigeants et des responsables politiques. Toutefois, le meurtre politique est aujourd’hui cantonné aux modes d’action terroristes. La vie politique russe est elle encore influencé par le radicalisme des populistes des années 1880 et par les procédés totalitaires des périodes soviétiques.

Qu'est-ce qui peut changer concrètement pour Vladimir Poutine depuis la mort de Boris Nemtsov ? De quelle déstabilisation pourrait-il souffrir ?

Florent Parmentier : l’impact à moyen terme pour le pouvoir russe est sans doute plus limité que le vaste émoi – parfaitement justifié – de ces derniers jours. En effet, une fois passée l’onde de choc du meurtre de Boris Nemtsov, l’opinion publique russe, les médias ainsi que les responsables politiques seront rappelés aux urgences du moment : régler la situation en Ukraine, faire alléger ou même lever les sanctions qui handicapent l’économie russe ou encore assurer à la Fédération de Russie une place nouvelle dans les relations internationales.

Le président russe est déjà en butte aux critiques de ses partenaires européens, depuis longtemps, concernant les droits individuels politiques et humains dans son pays. Cet événement tragique et les soupçons qui sont émis sur les responsabilités politiques ne changeront sans doute pas la donne des rapports de force entre Russes, Américains, Ukrainiens et Européens dans le Donbass. L’effet sur le cours politique du président russe à moyen terme sera sans doute peu sensible.

Propos recueillis par Alexis Franco

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