Pourquoi l’Allemagne doit autant son double excédent commercial et budgétaire au poids qu’elle fait peser sur l’Europe qu’à sa seule vertu<!-- --> | Atlantico.fr
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Et la championne est...
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Course en tête

Excédent commercial, excédent budgétaire... l'Allemagne pousse toujours plus loin son avantage en alignant les réussites économiques dans une zone euro taillée sur mesure. Et tant pis pour les autres.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Pour la troisième année consécutive, l’office allemand de statistiques annonçait le 7 avril dernier que le gouvernement d’Angela Merkel sera en mesure de présenter un excédent budgétaire pour l’année 2014, pour 7.2 milliards d’euros. Soit 0.25% du PIB. Une victoire personnelle pour le très orthodoxe ministre des finances Wolfgang Schäuble. Mais cet excédent n’est pas le seul « exploit » de l’économie allemande, puisqu’il ne fait qu’accompagner le nouveau record de près de 217 milliards d’euros d’excédent commercial pour cette même année 2014. Soit 7.45% du PIB.  Après les déficits jumeaux américains, le monde fait aujourd’hui face aux excédents jumeaux allemands. Et malgré les apparences, il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle.

L’excédent budgétaire

Dans un contexte de faible activité économique au sein de la zone euro, certaines voix avaient d’ores et déjà demandé à l’Allemagne de modifier son comportement budgétaire. C’est ainsi que Mario Draghi, Président de la Banque centrale européenne, avait pu déclarer en octobre dernier :

« Pour les gouvernements qui ont des marges de manœuvre budgétaires, alors bien sûr, il fait sens de s’en servir. A vous de décider à qui s’applique cette phrase. ».

L’accusation est à peine voilée. La volonté du gouvernement Merkel, de faire passer la réduction de l’endettement du pays avant toute autre considération, agace. Et ce, malgré le fait que l’Allemagne est en capacité d’emprunter à des taux négatifs sur une échéance allant jusqu’à 8 ans. Les marchés financiers sont prêts à payer l’Allemagne pour que le pays émette de la dette. L’incitation est maximale, et la rationalité économique de ses dirigeants laisse perplexe.

Avec un seuil d’investissement sur PIB inférieur à 19%, le pays est en queue de peloton de la zone euro. Il s’agit ici d’une chance historique pour le pays de remettre à jour son niveau d’infrastructure afin de conserver et d’améliorer sa position de champion industriel exportateur. Et ce, pour un coût de financement négatif. Wolfgang Schäuble préfère investir sur sa crédibilité budgétaire que dans l’avenir du pays.

Un choix qui paraît tout aussi déroutant aux pays du sud de l’Europe, eux qui ont permis à l’Allemagne de sortir la tête de l’eau dans les années 2000, en surconsommant et  en surinvestissant, permettant ainsi le redressement progressif de l’industrie allemande. En affichant un « noir budgétaire » (équilibre budgétaire), l’Allemagne indique à ses partenaires européens que le retour d’ascenseur ne fait pas partie du programme.

Le « manque à gagner », pour la croissance de l’Allemagne, et donc pour celle de la zone euro est de 90 milliards d’euros, soit 3% du PIB du Pays. Un niveau de dépenses qui aurait le double avantage de soutenir la croissance européenne tout en ayant un impact nul sur l’endettement de l’Allemagne. Le meilleur des deux mondes. Mais le choix effectué est différent.

L’excédent commercial

Avec ses 217 milliards d’excédents, l’Allemagne affiche la plus large balance commerciale mondiale, et passe même devant la Chine. Pourtant, la mécanique comptable de ce montant record pose un sérieux problème à la zone euro. C’est ainsi que dès 2013, la Commission européenne décidait de lancer une procédure contre l’Allemagne, pour excédents excessifs, c’est-à-dire supérieurs à 6% du PIB. Une procédure qui n’empêchera pas, une nouvelle fois en 2014, l’excédent commercial  d’atteindre 7.5% du PIB.

Parce que le plus souvent, de tels excédents sont perçus comme étant la traduction chiffrée de la supériorité industrielle d’un pays, la condamnation semble impossible. Cela donnerait l’impression de punir le « bon élève ». Mais cette approche est viciée. Car l’accroissement progressif de la balance commerciale allemande a surtout été le résultat de la compression des salaires, et non d’une hypothétique supériorité. Comme le dit Ben Bernanke dans un article récent :

"Pourquoi l’excédent allemand est-il si important ? Sans aucun doute, l’Allemagne fabrique des produits de bonne qualité que les étrangers veulent acheter. Pour cette raison, de nombreux commentateurs pointent cet excédent commercial comme le signe du succès économique. Pourtant, d’autres pays font de bons produits sans afficher de tels excédents."

La réalité est que la production allemande progresse au fil des années alors que les salaires stagnent. Le résultat pour le pays est qu’il va produire bien plus qu’il ne consomme, ce qui crée un déséquilibre. Les salariés ne bénéficient tout simplement pas d’un juste retour de leur travail, leur rémunération est inférieure à la production. Et cette production excédentaire doit être exportée puisque la demande intérieure est incapable de l’absorber.

Comment peut-elle être exportée? Très simplement. Les nouveaux profits réalisés par les entreprises allemandes, notamment grâce à la part qui aurait dû être versée aux salariés, permettent de financer les exportations allemandes vers l’étranger. Parce que si l’Allemagne a des excédents, cela doit se traduire par des déficits dans d’autres pays. Et ces déficits doivent être financés. Les entreprises allemandes jouent à « chacun mon tour » avec l’appui des politiques du gouvernement.

En restreignant sa demande intérieure de cette façon, le pays a pu bénéficier de la croissance européenne et mondiale pour restaurer ses comptes lorsque cela s’avérait nécessaire. Mais à partir du moment où les comptes étaient redressés et que la stratégie a été poursuivie, le paradigme a changé. Désormais l’Allemagne est le passager clandestin européen.

La problématique posée par cette stratégie est l’intégration de l’Allemagne dans la zone euro. Si le Deutschemark était encore en vigueur, il aurait progressé au rythme des excédents commerciaux jusqu’à ce que ceux-ci se réduisent pour disparaître. Le « marché » ne serait pas laissé faire, et cette stratégie n’aurait eu pas d’autres incidences. Mais l’existence même de la monnaie unique rend possible la poursuite indéfinie de cette politique, et la destruction progressive de l’outil industriel des partenaires européens de l’Allemagne. Ce qui n’est pas réellement une stratégie visant « l’intérêt général  européen».

Dans les deux cas, excédent budgétaire et excédent commercial, l’Allemagne agit non pas comme un leader responsable de la zone euro et visant l’intérêt général, mais ne fait que suivre ses propres intérêts. Cela n’est pas condamnable en soi, mais cela ne correspond tout simplement pas à ce que devait être l’Europe. La coopération a gentiment laissé place à la compétition. Chacun pour soi.

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