Pourquoi il ne faut surtout pas avoir peur de la guerre des droites - partie 1<!-- --> | Atlantico.fr
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Alain Juppé et Nicolas Sarkozy.
Alain Juppé et Nicolas Sarkozy.
©Reuters

Tout à l’égo

Chefs comme électeurs de droite entretiennent une relation distante avec les idées et s’intéressent plus aux hommes et contrairement à l’idée qu’on peut s’en faire, ça fonctionne en fait très bien.

Marc Crapez

Marc Crapez

Marc Crapez est politologue et chroniqueur (voir son site).

Il est politologue associé à Sophiapol  (Paris - X). Il est l'auteur de La gauche réactionnaire (Berg International  Editeurs), Défense du bon sens (Editions du Rocher) et Un  besoin de certitudes (Michalon).

 

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Atlantico : Les sifflements contre Alain Juppé lancés par certains militants lors du meeting UMP de Nicolas Sarkozy samedi à Bordeaux ont relancé le spectre de la guerre des chefs dans un parti déjà meurtri par l'affrontement entre François Fillon et Jean-François Copé deux ans plus tôt. Qu'est-ce que nous apprend l'histoire au sujet de la guerre des droites ? 

Marc Crapez : Le combat des chefs est effectivement une tradition. Tardieu et Flandin l’ont illustré dans l’entre-deux-guerres. Nicolas Sarkozy, avec sa critique des corps intermédiaires, n’est d’ailleurs pas sans évoquer André Tardieu. François Fillon, lui, recordman des participations ministérielles, durant environ 20 ans sur les 30 dernières année, fait penser à Pierre-Etienne Flandin, plusieurs fois président du Conseil et participant à moult combinaisons ministérielles.

Les ténors de la droite règlent querelles intestines et combats fratricides en allant piocher leurs arguments-massue chez l’adversaire de gauche. C’est ainsi qu’en 1988, Raymond Barre avait dénoncé "l’Etat RPR", une accusation de mainmise clanique et autoritaire qui facilitait la tâche de François Mitterrand. Lors de la campagne de 2001 pour la mairie de Paris, les rivaux de droite Philippe Séguin et Jean Tibéri se traitèrent respectivement de parachuté et de corrompu, facilitant ainsi la besogne à Bertrand Delanoë.

Cette soumission à l’argumentation adverse conduit à une surenchère dans l’extrême-droitisation du concurrent de droite. Dans l’après-guerre, par exemple, le PRL (Parti Républicain de la Liberté) de Michel Clemenceau, fils de Georges et gaulliste, recèle des tendances "suspectes" selon Edmond Barrachin (lui-même ancien d’extrême-droite), autrement dit des tendances "extrême-droite" selon Louis Marin. Pendant ce temps, la Fédération Républicaine de Marin est jugée "extrême-droite" par Pierre Taittinger, tandis que le MRP détecte des "factieux" au RPF gaulliste. Le parti démocrate-chrétien dénonça même de Gaulle tantôt comme crypto-maurrassien, tantôt comme pro francs-maçons !

Dominée, la droite rejette volontiers l’un des siens comme brebis galeuse. Cette victime expiatoire permet de se refaire une virginité. Le débat sur l’identité nationale de Sarkozy fut ainsi extrême-droitisé non seulement par Villepin et Bayrou (opposants frontaux), mais aussi par Devedjian et Boutin (eux-mêmes suspects d’arrière-pensées extrême-droitières), par Juppé et Baroin (qui obtinrent peu après un poste ministériel), et même par Fillon qui prit une posture de rempart ("s’il s’en prend aux musulmans…").

Quelles ont alors été les principales tactiques employées par les concurrents afin de remporter la bataille contre leurs adversaires et qu'est ce que ces dernières nous apprennent sur la droite ? 

Je m’en tiendrai aux tactiques argumentatives. Le débat procède par chassés-croisés, démarquages, marquages et surenchères. Exemple de cette dernière technique, lorsque Juppé propose de supprimer la moitié des parlementaires, peu après que Sarkozy ait préconisé d’en supprimer un tiers (dans son entretien au Figaro magazine). Le chassé-croisé, lui, est patent lorsque Juppé exige "le rassemblement de la droite et du centre" en déclarant qu’il "faut relativiser ces vieux clivages droite-gauche" (i-télé). C’est exactement ce que déclarait Sarkozy dans ses premiers meetings !

Le marquage, ensuite, est adopté par Fillon pour coller à Sarkozy sur la question de l’immigration, jusques et y compris dans la critique de l’Union européenne. Tandis que Sarkozy propose de "refonder l’espace Schengen", Fillon s’en prend plus spécifiquement au "gouvernement des juges européens" (BFM, 16 novembre). On le constate, le marquage global s’accompagne souvent de démarquages ciblés.

Pendant ce temps, Juppé est dans le démarquage. En effet, sa popularité résulte largement de la bienveillance médiatique. Et cette dernière provient, essentiellement, de ses positions sur l’immigration (tolérantes ou laxistes selon le point de vue où l’on se place). Il se démarque également de Sarkozy sur le terrain libéral, lorsque celui-ci émet des réserves sur les fonctionnaires et les chômeurs. Juppé, lui, préfère proposer la suppression de l’ISF.

Le démarquage est, enfin, plausible lorsque Sarkozy réclame, au meeting de Paris, l’abolition des courants au sein du parti, et le réitère au meeting de Mulhouse : "Il n’y aura plus de courants". Allusion à ces courants d’idées internes, droite humaniste, droite populaire, droite forte, etc., en faveur desquels les militants ont pu voter en parallèle du scrutin Fillon-Copé. A cette occasion, en novembre 2012, Juppé avait revendiqué la paternité de leur inscription dans les statuts de l’UMP : "c’est moi qui l’ai voulu".

Comment la droite a-t-elle fini par faire émerger son champion ? De la même manière, comment le nouveau chef a-t-il par la suite réussi à apaiser au moins provisoirement des situations conflictuelles ?

Une fois le champion couronné, les plaies se pansent d’elles-mêmes. A droite, le leadership s’impose comme la restauration d’un ordre naturel des choses, perturbé par des coups du sort. Pour caricaturer l’électeur de droite, il lui faut un champion pour que son vague à l’âme s’en aille, pour qu’il puisse de nouveau sucer son pouce (vaquer à ses occupations) en sachant que "papa va réparer mon joujou" (va remettre la France d’aplomb).

L’un des principaux tropismes de la droite est sa tendance à se croire majoritaire. Dès lors, elle impute volontiers ses échecs à une théorie du coup de poignard dans le dos : la trahison du père par le fils indigne. On songe au duel entre Chirac et Balladur, ou à la trahison de Giscard par Chirac (qui ne suffit pourtant pas à expliquer la défaite de 1981).

Le sondé, qui cherche à anticiper l’avis des autres, incline à sélectionner le candidat le plus crédible et le plus respectable. Cela explique la chute de la popularité de Fillon : le régent, porteur de la couronne légitime suite à la défaite de Sarkozy, fut le grand favori des sondages alors que, désormais, le convive du souper avec Jean-Pierre Jouyet est perçu comme fauteur de discorde.

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