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Pourquoi assumer vos divergences de point de vue peut vous rendre plus intelligent au bureau
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Poil à gratter

Dire qu'on n'est pas d'accord n'est pas seulement une bonne chose en entreprise, c'est aussi une bonne façon de travailler.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Atlantico : Selon Amy E. Gallo, auteur de The Harvard Business Review Guide, nous sommes habituellement enclins à éviter les conflits au travail. "Tout le monde pense qu'ils veulent travailler dans cette utopie pacifique où tout le monde s'entend bien. Mais si nous ne sommes pas en désaccord, nous n'allons pas produire un bon travail, c'est tout simplement impossible." Dans quelle mesure montrer son désaccord dans le monde professionnel peut-il permettre un travail plus fructueux ? 

Xavier Camby : Cette citation que vous retenez est symptomatique d'une terrible confusion et d'une pathétique croyance toxique, portée par une fausse anthropologie, avec des effets dévastateurs. Cette confusion et cette croyance, je les rencontre dans de très nombreuses organisations, toutes précisément dysfonctionnelles ! 

La croyance que je vise, postule que le conflit est par essence bénéfique, créateur d'idées nouvelles et d'énergies. Qu'il serait même le propre de l'homme. Rien n'est plus faux et de très nombreuses recherches en attestent. Il a été démontré par exemple qu'un enfant élevé dans un milieu conflictuel verra ses capacités cognitives réduites. Et bien sur, ses aptitudes sociales, inhibées ou gravement obérées. Dans la réalité de notre psychisme profond, nous sommes des êtres grégaires, aspirant par nature à des relations harmonieuses avec nos congénères. En entreprises ou dans certaines organisations, les conflits entre personnes ou entre départements génèrent une perte de valeur, voire une destruction de valeur, qu'on nomme très justement des coûts cachés. Ils peuvent représenter jusqu'à 30% de la masse salariale (présentéisme, absentéisme, sabotage, consultance en tout genre pour tenter de recréer l'intelligence collaborative, conflits avec les clients ou les fournisseurs...). 

Pour bien le comprendre, il suffit de se souvenir que le mot conflit vient du latin "fligere", qui veut dire battre, le plus souvent à mort, et était utilisé pour les combats dans les arènes.

La confusion que je relevais plus haut est celle du conflit, né d'un désaccord, devenu émotionnel négatif et très personnel. Il existe pourtant une attitude est essentielle, pour bien vivre en société : être d'accord pour ne pas être d'accord. C'est encore un simple principe de réalité : même avec notre conjoint ou nos meilleurs amis, être d'accord sur tout est strictement impossible. Alors, étant d'accord pour ne pas l'être, nous pouvons sereinement créer ensemble, pacifiquement, explorant ou inventant utilement toutes les 3èmes voies. Sans plus de conflit idiot.

J'affirme donc, le plus souvent en entreprise ou dans des administrations, que le conflit, déni de l'altérité, donc d'intelligence et d'humanité, constitue par nature une grave faute professionnelle. Et que le droit au désaccord positif est une nécessité.

Quels sont les bénéfices personnels à tirer de cette attitude. Faire valoir ses opinions, argumenter et challenger les idées, en quoi est-ce une bonne chose ? 

Lorsque sont posés et communément admis le refus de tout conflit et l'accord du désaccord singulier, il devient bien plus simple de présenter ses arguments, de faire partager ses pensées et ses questions. Encore s'agit-il d'être courtois, de ne pas mobiliser la parole et donc d'écouter (sans interrompre !). Peut-être même d'aider l'autre à accoucher de sa pensée, à en extraire tous ce qui peut être judicieux, pertinent, utile. Beaucoup s'y essayent, en se formant notamment à la communication non-violente (appelée aussi consciente). C'est une très bonne chose.

Cependant des techniques ou des méthodes ne suffisent pas. C'est du coeur que cette attitude doit partir, pour avoir un impact authentique. Est-ce que réellement je désire que l'autre partage ses désaccords avec moi, bien tranquillement ? Ou bien suis-je persuadé, comme tant d'handicapés de l'intelligence collaborative, que l'autre a nécessairement tort, puisque j'ai raison ?

Cette certitude "t'as tort, puisque tu ne penses pas comme moi" est le fruit, abâtardi et terriblement toxique, d'un universalisme dangereux, dont les USA et la France sont hélas les 2 grands champions mondiaux. Beaucoup d'autres cultures (l'Allemagne, la Suisse, les pays scandinaves, le Canada...) échappent très heureusement à cette forme de castration mentale ou d'aliénation émotionnelle, qui refuse que s'exprime l'altérité originale de chaque pensée humaine. 

Pour autant, comment éviter de donner une mauvaise image de soi lorsque l'on manifeste son désaccord ? Dans le monde professionnel d'aujourd'hui, est-ce une attitude bien vue ?   

Oui, et de plus en plus ! Certes il existe quelques dinosaures de la non-acceptation de l'autre et de sa pensée différente. Cette arrogance est encore subtilement enseignée à l'ENA ou dans quelques institutions du même genre, où se répète, de générations en générations, certaines inepties savantes. Mais dans le monde réel, celui de l'intelligence contributive, où chacun veut apporter sa pierre à la création d'un Bien Commun (utile et à partager ensemble), la recherche d'une pensée concertée et d'un environnement favorisant la différence est en train de s'imposer. Les vieux dinosaures de l'économie, psycho-rigides et conflictuels, n'attirent que de moins en moins les meilleurs et peinent à inventer. C'est pour cela que, grands consommateurs de start-up, ils rachètent les idées des autres...

Il convient de préciser qu'un désaccord, s'il est fondé (et donc non-émotionnel négatif), est en général partiel. Ce qui veut dire aussi qu'il existe des points d'accord, pierre d'angles des échanges. La meilleure façon de faire entendre son désaccord est donc de commencer par relever les points d'accord. Ce que nous faisons naturellement, dans un contexte non-conflictuel. Puis de poser des questions, sereinement, sur ce qui nous apparaît perfectible. 

Cette simplicité relationnelle s'appelle la courtoisie, autrefois si valorisée. Elle constitue la base de toute intelligence décisionnelle !

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