Pourquoi Arnaud Montebourg incarne la rupture idéologique de la gauche française<!-- --> | Atlantico.fr
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La passation de pouvoir entre Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron.
La passation de pouvoir entre Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron.
©Reuters

L'homme providentiel

Dans un sondage Ifop/Atlantico, nous découvrions samedi que les électeurs de gauche avec encore une vraie sympathie pour Arnaud Montebourg. L'ancien ministre du Redressement productif, aujourd'hui cavalier solitaire, continue de peser dans le débat. Beaucoup lui reconnaissent même de véritablement défendre les valeurs de la gauche.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Maud Guillaumin

Maud Guillaumin

Journaliste à Europe 1, BFM, ITélé, Maud Guillaumin suit pour le service politique de France-Soir la campagne présidentielle de 2007. Chroniqueuse politique sur France 5 dans l’émission Revu et Corrigé de Paul Amar, puis présentatrice du JT sur LCP, elle réalise également des documentaires : « Les Docs du Dimanche », « Les hommes de l’Élysée » sur les grands conseillers de la Ve République et « C’était la Génération Mitterrand » transposé de son livre Les Enfants de Mitterrand (Editions Denoël, janvier 2010). Elle écrit également dans la revue littéraire Schnock. Elle est l'auteur de "Le Vicomte" aux éditions du Moment (2015).

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Atlantico : L'opinion globale reste très sceptique sur l'attribution de différents très d'image à Arnaud Montebourg. Chez les électeurs de gauche, les sondés sont plus divisés. Que peut-on déduire de ces réponses ?

Jérôme Fourquet : A la lecture de ces résultats, nous constatons qu’Arnaud Montebourg bénéficie d’une image relativement contrastée. Mais elle offre un certain nombre d’aspects positifs, notamment dans l’électorat de gauche. C’est un point d’appui non négligeable pour un éventuel retour en politique.

Compte tenu du discrédit qui frappe aujourd’hui les responsables politiques et des difficultés que rencontre la gauche, que quasiment un Français sur deux pense qu’il incarne les valeurs de la gauche, c’est plutôt correct. Ce chiffre monte à deux tiers, si l’on se concentre sur les familles de la gauche. Sur la capacité à proposer des solutions nouvelles, on est au-dessus de la barre des 50% chez les électeurs de gauche. L’homme qui avait été la surprise de la primaire socialiste, qui voulait incarner une forme de renouveau politique, apporter de nouvelles thématiques comme la démondialisation ou le redressement productif, garde encore aujourd’hui un capital non négligeable. Un électeur de gauche sur deux pense qu’il est à l’écoute des Français, qu’il est sincère et qu’il sait où il va.

Si ces éléments sont globalement positifs, car on s’est globalement concentrés sur les électeurs de gauche (il y a moins d’intérêt à savoir ce qui se passe sur l’ensemble des Français), néanmoins, il est intéressant de constater qu’Arnaud Montebourg, en dehors de sa personnalité tout à fait particulière, incarne un discours d’une certaine tendance de gauche. Ce faisant, il est le révélateur d’un certain nombre de divisions de la gauche. Sur la plupart des sujets, la moitié des électeurs de gauche lui accorde ces qualités… tandis que l’autre moitié lui dénie.

Au-delà du cas seul d’Arnaud Montebourg, les frondeurs vont de nouveau faire entendre leur voix quelques jours avant l’université d’été de La Rochelle. La question de la ligne politique et de la ligne économique fait toujours débat à gauche deux ans après l’arrivée au pouvoir de François Hollande et deux ans après son coming-out libéral. On retrouve la trace de ce débat dans ce sondage sur Arnaud Montebourg. La gauche, aujourd’hui est un peu à la croisée des chemins et il incarne cela.

Maud Guillaumin : Je suis très étonnée qu'il ait d'aussi bons résultats. Cela ne fait que confirmer ce que j'ai pu observer en faisant mon enquête. Il a vraiment une côte de popularité incroyable. A Frangy et en Saône-et-Loire, il a de véritables fans. Les gens ont gardé une bonne image de lui. J'ai toujours été surprise mais sur de nombreux marchés, j'ai croisé de nombreux gens convaincus. On pourrait imaginer que certains finissent par le voir comme un arriviste, mais non. Electeurs ou non, je croisais des habitants de Saône-et-Loire qui n'avaient que des avis positifs sur leur ancien président de conseil général et ancien député.

En tant qu'ancien avocat, sa permanence était toujours ouverte. Il était le premier a essayer de régler les conflits. Ses détracteurs, notamment de droite, estiment qu'il était aussi le premier à donner l'impression de soulever des montagnes à cause d'une souris. Souvent, il appelle à se retrousser les manches, à se battre... Et cela donne l'impression aux électeurs qu'il se bouge. De nombreux élus que j'ai rencontré me disent par contre que même s'il se bouge, il sait qu'il ne se passera rien, et que tout cela relève du théâtre.

Il n'empêche que cela donne parfois lieu à des résultats étonnants. Lorsqu'il était président du conseil général, il a du augmenter très fortement les impôts pour des histoires de politique interne. Il avait fait toutes les radios nationales pour dénoncer la réforme du système, qui métait en péril ses finances. Claude Bartolonne a eu le même problème. Arnaud Montebourg criait haut et fort que c'était une catastrophe, que la Saône-et-Loire risquait la faillite. Pour ses électeurs, cela était la preuve qu'il montait au créneau : on parlait de la Saône-et-loire à la télévision, ce qui ne leur arrive jamais ! Du coup, après avoir augmenté les impôts, il était aller voir tout le monde : les petits paysans, les commerçants... et il n'y a pas eu de fronde. Il a ce contact impressionnant.

Autre exemple : au moment de la campagne des primaires. Il avait un camion avec lequel il s'arrêtait de petit patelin en petit patelin. Ses équipes chauffaient un peu les gens. Et lorsqu'Arnaud Montebourg arrivait, ils étaient là. Ils restaient pour l'écouter. Il a gagné beaucoup de voix comme cela. Ce contact, le fait d'aller voir les gens directement, en allant dans des petites villes où les politiques viennent peu, ça fonctionne. C'est ce qui lui donne une image sympathique. 

Atlantico : L'économie reste un dossier clef pour Arnaud Montebourg. Les résultats obtenus ne sont-ils ici pas décevants pour lui ?

Jérôme Fourquet : Pour ce qui est de la crédibilité et de la compétence en économie, 63% des sympathisants du Front de gauche lui reconnaisse, ainsi que la moitié de ceux du Parti socialiste et des Verts. Or c’est bien sur cette thématique là que va se faire la Fête de la rose de Frangy au cours de laquelle Yánis Varoufákis va être convié à s’exprimer.

Que la moitié des gens de gauche lui accorde du crédit, c’est beaucoup. Cela veut dire que l’autre moitié ne le fait pas, certes. Mais cela veut aussi dire que ceux qui le trouvent crédible n’ont pas le même sentiment vis-à-vis d’autres positions au sein du Parti socialiste. A partir du moment où un parti est coupé en deux, on peut dire qu’en avoir que la moitié, c’est peu, mais on peut aussi voir que le camp d’en face est dans la même situation. Ce n’est pas assez pour pouvoir incarner quelque chose aujourd’hui, mais c’est suffisant pour continuer de faire des incursions régulières dans la vie politique… malgré son annonce de retrait de la vie politique.

Maud Guillaumin : En tant que ministre de l'Economie, il n'est resté que quelques mois. Il n'a donc pas marqué les esprits. Le Front de gauche, c'est juste que sa critique soudaine du gouvernement de Manuel Valls et de la politique de François Hollande va dans leur sens. Il a déclaré à l'AFP qu'elle mènerait droit dans le mur et à plus de chômage. Tout cela accrédite ce que pense les gens du Front de gauche : ce n'est pas avec une politique budgétaire dure que l'on peut faire bouger les choses. Après, est-ce qu'ils sont d'accord si l'on rentre dans le détail, sur le fait qu'il signe par exemple une tribune commune avec Mathieu Pigasse le dimanche du congrès de Poitiers... je ne sais pas si cela plairait à tous les électeurs du Front de gauche.

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Atlantico : Si 16% des sondés sont favorables à un retour en politique d'Arnaud Montebourg, et 15% hostiles, il en reste tout de même 69% que cela laisse indifférent. Ce manque de considération ne le marginalise-t-il pas ?

Jérôme Fourquet : Il n’a pas un boulevard devant lui : il n’est pas attendu par l’électorat de gauche, dans un contexte où le gouvernement est pourtant en difficulté. Sept Français sur dix sont indifférents. Bien évidemment, dedans, il y a des électeurs de droite. Mais même dans l’électorat de gauche, 72% des Verts sont indifférents, 63% des socialistes et 51% au Front de gauche.

Même si il a une image qui peut encore rendre des services, sur laquelle il peut s’appuyer, l’idée qu’il serait aujourd’hui un recours caché et qu’on viendrait le chercher rapidement pour réorienter la trajectoire de la gauche… n’est pas un scénario envisageable. Il est sorti de sa propre initiative de la vie politique française, il incarne encore quelque chose pour la moitié de l’électorat de gauche, mais il reste un certain nombre de questions sur ses motivations et son parcours.

Quand on voit que deux tiers des Français pensent qu’il ne sait pas où il va, ou qu’il n’est pas compétent en économie… Il en a fait des tonnes sur sa formation à l’Insead, sur son arrivée chez Habitat, sur ses conférences à Princeton. C’était une manière de montrer qu’il se frottait à l’économie réelle, contrairement aux autres politiques, présentés comme déconnectés de la réalité. Aujourd’hui, les résultats ne sont quand même pas au rendez-vous.

On peut apprécier le personnage. Une partie des Français pense qu’il a des choses à dire. Mais il n’y a pas, comme on a pu le voir pour d’autres politiques, de désir des Français de Montebourg dans la vie politique.

Sa tribune cosignée avec le banquier Mathieu Pigasse avait été l’occasion de se rappeler au bout souvenir de ses camarades réunis en congrès à Poitier. Cette stratégie, il peut la poursuivre, mais on voit qu’elle n’est pas de nature à susciter son retour. On ne comprend pas bien quelle est son ambition, son objectif et son statut aujourd’hui : un certain nombre de Français ne doivent pas estimer qu’il est vraiment sorti de la vie politique.

Maud Guillaumin : En effet, ce n'est pas positif. Je pense qu'il a brouillé les pistes. On ne sait plus trop où il est. Cet été, les gens l'auront vu en Grèce aux côtés d'Aurélie Filippetti enceinte dans les magazines people ; à côté de cela, il est censé être entrepreneur et on le voit aux côtés d'Yves Jégo, homme de droite ; ensuite on parle d'Habitat... Les gens ne savent plus très bien où le situer, ni s'il a envie de continuer son combat politique.

Lui-même l'admet. Il se cherche. Maintenant, j'ai trouvé intéressant que Jean-Christophe Cambadélis, juste avant Frangy, décide de lui tendre encore une fois la main. Cela prouve que l'on préfère avoir Arnaud Montebourg près de soi, que derrière à jouer les trouble-fêtes.

Je pense que s'il devait revenir, ce ne sera pas du fait d'un appel des Français. Il préférera négocier avec qui de droit. Il va se passer encore beaucoup de choses d'ici 2017. Arnaud Montebourg va pousser pour la primaire, quoi qu'il en soit. Jusque-là, faire parler de lui, voir ce genre de sondages, lui permettra de marquer des points pour essayer de négocier quelque chose et de faire peser son avis, hors toute vision carriériste.

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