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Areva est au bord de la faillite.
Areva est au bord de la faillite.
©CGPME

L'Édito de Jean-Marc Sylvestre

Areva a communiqué aux organisations syndicales l’état exact des difficultés de l’entreprise et présenté des mesures de redressement. Comment ce champion mondial du nucléaire en est-il arrivé à une quasi banqueroute ?

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La perte est colossale, 5 milliards d’euros l’année dernière, soit 60% de son chiffre d’affaires et un endettement de 4,7 milliards d’euros pour un capital de 3,6 milliards : si  Areva était une société comme les autres, elle serait en faillite.

Areva étant propriété de l’État à 87%, il va bien falloir que le gouvernement renfloue le bateau. Soit directement par un apport de fonds, soit indirectement par le biais d’une autre entreprise publique qui serait, elle, en meilleure santé. On pense notamment à EDF. Parallèlement, il va bien falloir consentir des efforts de redressement et d’assainissement, d’où des réductions de personnel. D’où la série de négociations qui vont s’engager avec les syndicats.

Cette affaire est assez incroyable et n’est pas sans rappeler ce qui s’était passé avec le crédit Lyonnais à la fin des années 80.  Comment se fait-il que l’un des plus beaux fleurons industriels français, héritage du Général de Gaulle qui en avait fait le fer de lance de la production énergétique et le garant de notre indépendance, soit dans une telle situation de faillite et qu'on s’en aperçoive aussi tard ?

Sans l’assurance que cela puisse servir de leçon, disons pour faire court qu’il y a cinq raisons pour lesquelles la situation d’Areva s’est dégradée aussi gravement.

La première raison qui explique toutes les autres est évidemment politique.Le nucléaire, sujet sensible par excellence, a été maintenu sous gestion politique. Les politiques au pouvoir, de droite comme de gauche, se sont calés sur des critères de gestion purement politiques. Les contrôles et les contrepouvoirs techniques et financiers n’ont pas joué. Pendant les vingt années qui ont suivi le premier choc pétrolier de 1973, le marché de l’énergie nucléaire a explosé. Il s’est donc développé sans contrôle, pratique protégée par un quasi secret d’État. 

Les dirigeants d’Areva ont toujours été des amis du pouvoir et de la technostructure. Or, on ne contrôle pas les amis, et les amis ne rendent pas de comptes. On a confiance. Jusqu’au jour où l’on s’aperçoit que cette confiance se paie trop chère. Anne Lauvergeon, sortie tout droit de l’Elysée où elle travaillait avec François Mitterrand, a dirigé Areva sans partage avec une communication politique et publique très efficace et très intelligente. Elle communiquait remarquablement et avec intelligence auprès des milieux d’affaires internationaux. Aussi bien qu'avec les lobbies politiques et les groupes d’écologistes. 

La deuxième raison, c’est que le management s’est retrouvé trop indépendant. Dominé par les ingénieurs du système nucléaire. Paradoxalement, le pouvoir politique pourtant hyper présent, laissait faire les techniciens, les ingénieurs et les physiciens. C’est sans doute pour cette raison que l’entreprise a fait des choix qui s’avèrent aujourd’hui extrêmement coûteux comme l’EPR ou le retraitement. Aujourd’hui, personne ne s’en sent responsable.

La troisième raison, ce sont les erreurs techniques d’organisation et sans doute des malversations. Erreurs techniques d’organisation de chantier dans la construction des EPR, et disfonctionnement dans la politique d’achat de matières premières. Il y a eu des acquisitions de mines d’uranium en Afrique qui se sont avérées sans aucun intérêt ou aucun rendement. Les enquêtes en cours diront s’il y a eu faute de gestion, malversations, escroqueries ou pas. Pourtant, l’entreprise a perdu beaucoup d’argent faute de contrôle ou de contre-pouvoirs compétents.

La quatrième raison tient sans doute à la fausse puissance d’Areva à l’étranger. Areva aurait dû, pouvoir, massivement exporter sa technologie et ses équipements. Mais pour cela, il aurait fallu qu’Areva soit intégré  au système global de production d’énergie. Il aurait fallu qu’Areva parte à la conquête du monde avec EDF et Alstom. Avec un électricien et un fabriquant de chaudière... Le projet de constituer une filière complète avec  groupe capable de fournir un service complet n’a jamais vu le jour. Le projet était parrainé par les politiques et ce sont les politiques qui l’ont fait avorter par arrogance, ambitions ou excès de prudence, ce qui en politique se rapproche de la lâcheté.

Enfin, la cinquième raison tient au manque de fonds propres. L’industrie nucléaire est une industrie très capitalistique. L’État n’a pas les moyens de répondre à ses besoins. La construction de nouvelles centrales, l’entretien, la maintenance, la sécurité et le démantèlement demandent des capitaux à long terme. On peut concevoir qu’Areva ne puisse pas aller sur le marché financier et prendre le risque de livrer sa technologie à la merci de puissances étrangères, n’empêche que sans argent, Areva est non seulement fragile mais vulnérable. La gourmandise des fonds chinois par exemple va devenir de plus en plus visible.

Le gouvernement n’a plus de choix. Les premières décisions prises vont dans le bon sens.

D’abord, il a commencé à mettre en place quelques réformes plus responsables. Il a rendu public un état des lieux qui s’avère catastrophique mais qui a, au moins, le mérite d’exister ce qui n’était pas le cas jusqu’à maintenant. Jusqu’alors le gouvernement faisait l’autruche. Cette sorte d’omerta a été levée.

Ensuite, il a changé les dirigeants en remplaçant des amis politiques par des personnalités de la société civile. Des experts en management des entreprises sans étiquette politique autre que la défense de solutions pragmatiques et efficaces. Immense progrès.

Enfin, il a demandé aux dirigeants d’Areva et d’EDF, de rechercher des solutions en commun pour développer la filière. Reste au gouvernement à prendre deux décisions très politiques sur lesquelles il hésite. Forcément.

D’un côté, définir précisément le contenu de l’alliance entre Areva et EDF. Dans ce cas-là, donner à EDF la liberté d’accéder au marché et de fixer ses prix. Seule condition qui évitera de faire appel au contribuable pour renflouer Areva.

De l’autre, définir très clairement la place de l’énergie nucléaire dans le système français et à quel prix.  En clair, il s’agit d’affronter le lobby des écologistes qui bloquent toutes réflexions.

A deux ans d’une présidentielle compliquée où le candidat sortant a toute une partie de sa majorité, contre lui et est opposé, pour des raisons purement idéologiques, au nucléaire, on le voit mal confirmer ce qui est pourtant une évidence, à savoir que la France a besoin et pour longtemps de son energie nucléaire. Non seulement pour garantir son indépendance, mais surtout pour améliorer la compétitivité de son économie.

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