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PMA : est-il illusoire de penser que l’ouverture s’arrêtera aux femmes seules ou en couple ?
©Flickr/genue.luben

Sociétal, épisode 2

La décision du comité d'éthique sur la question de la légalisation de la PMA pour les femmes seules sans problèmes médicaux opère un virage à 360° par rapport au rapport précédent sur le sujet datant de 2005.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Atlantico : Le comité d'éthique a rendu un avis favorable à l'ouverture de la PMA aux couples lesbiens et célibataires. Qu’est-ce que cela signifie exactement ? 

Aude Mirkovic : Parler de procréation médicalement assistée pour les couples lesbiens et les femmes célibataires est quelque peu un abus de langage : il s’agit plus précisément de l’insémination artificielle de ces femmes par des donneurs anonymes car, y compris avec l’assistance de la médecine, une femme ne procrée jamais seule ni avec une autre femme. Cette pratique organise donc la mise à l’écart, l’effacement du père car les femmes ont un projet d’enfant qui n’inclut aucun homme. Il y a certes des enfants privés de père par les malheurs de la vie et parfois l’irresponsabilité des adultes : est-ce une raison pour que la loi autorise et organise elle-même une telle privation ? 

Sur quels principes se sont fondés les spécialistes de ce comité pour ouvrir le champ d'application ? Faut il y voir des principes strictes qui ont vocation à perdurer dans le temps, ou s'agit il d'arguments "temporaires" pouvant ouvrir la voie à de nouveaux élargissements ? 

Le comité s’est fondé sur une idée erronée de l’égalité : ces femmes auraient comme les autres le droit d’avoir un enfant. Mais personne n’a le droit d’avoir un enfant, et concrètement de priver délibérément un enfant de père pour satisfaire son désir. L’orientation sexuelle des intéressés n’est pas en cause et importe peu : une femme célibataire n’est pas nécessairement homosexuelle. Deux femmes hétérosexuelles pourraient d’ailleurs fort bien penser à un projet d’enfant, parce qu’à deux cela semble plus raisonnable que seule et qu’elles n’ont pas dans leur entourage d’homme susceptible d’être le père. La réponse du droit ne peut qu’être la même pour tous : la réalisation des désirs, quels qu’ils  soient, trouve sa limite dans le respect des droits d’autrui, en l’occurrence de  l’enfant. Or, une conception qui écarte délibérément et définitivement le père de l’enfant porte atteinte aux droits de ce dernier, tels que garantis notamment par  la Convention internationale des  droits de  l’enfant. Au-delà de  l’aspect juridique,  on comprend facilement qu’effacer le père de l’enfant est injuste, car l’amour qui lui est destiné (plutôt ambigu car il commence par le priver  de père) ne remplacera ce manque objectif de lignée paternelle. C’est donc une fausse égalité qui est invoquée comme prétexte pour instaurer une inégalité, bien réelle cette fois, entre les enfants puisque la loi organiserait tout simplement de priver certains de père.  

Sur la base des arguments développés, quelles pourraient être les prochaines étapes d'un éventuel élargissement législatif sur ces questions ? 

Le CCNE se prononce pour l’instant contre la GPA. Mais rappelons que ce même CCNE se prononçait contre la PMA sans père en 2005, et qu’il change d’avis aujourd’hui. Passons sur le manque de crédibilité qui en résulte car cette éthique évolutive est assez gênante mais il est clair que le refus ce jour de la GPA n’est pas une garantie pour les enfants pour l’avenir. A partir du moment où on accepte de mettre de côté les droits de l’enfant, concrètement d’effacer une branche de sa filiation, la branche paternelle, pour réaliser le désir d’autrui, il n’y a plus de limite. La limite aux désirs, ce sont les droits de l’enfant. Si ces derniers sont bafoués une fois, pourquoi pas une seconde ? L’égalité mal comprise peut produire encore des dégâts : on va invoquer la discrimination dont seraient victimes les couples d’hommes et les hommes célibataires qui ne peuvent avoir d’enfant pour justifier la GPA. Mais ceci n’est pas obligatoire, il n’y a pas de fatalité : le CCNE rend un avis, qui n’oblige personne, et le législateur peut encore faire son travail de protecteur des droits de tous et, en particulier, des enfants, pour poser des limites aux désirs dont ces enfants sont l’objet. 

Quelles sont aujourd’hui les limites strictes du droit français sur ces questions ? 

Aujourd’hui le droit français garantit à l’enfant issu de la PMA une filiation cohérente : les candidats à la PMA ne peuvent  être qu’un couple homme/femme, vivant et en âge de procréer. Le droit français protège aussi les enfants contre la GPA qui est interdite. Mais la Cour de cassation ferme les yeux sur les GPA pratiquées à l’étranger et la violation des droits de l’enfant que cela suppose, comme si de rien n’était, de même qu’elle ferme les yeux sur les inséminations illégales pratiquées à l’étranger, en  acceptant l’adoption par la conjointe de la mère de l’enfant ainsi privé de père en Belgique ou ailleurs. 

Le droit français est donc en théorie protecteur des enfants mais il n’est pas respecté. Il est donc grand temps de prendre conscience des préjudices que la PMA et la GPA supposent pour les enfants. Cet avis du CCNE est irresponsable mais il donne l’occasion d’expliquer que la PMA pour les femmes c’est, pour l’enfant, de la PMA sans père. On dit que 60 % des Français seraient favorables à l’ouverture de la PMA aux couples lesbiens et aux célibataires. Je doute fort de ce résultat si la question était posée du côté de l’enfant : pensez-vous que la loi doive organiser la conception d’enfants privés de père ? Que chacun se pose à lui-même la question : est-ce que j’aimerais être issu d’un donneur et n’avoir jamais eu de père ? Des enfants sans père, il y en a.  On connait leur manque, leurs difficultés, leur souffrance. Ce n’est pas à la loi d’organiser cette privation et cette souffrance. 

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