Plus inquiétant que le racisme anti-blanc : ce piège tribal dans lequel s’est laissée enfermer la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Marche en l'honneur de Thomas, tué à Crépol, Photo AFP
Marche en l'honneur de Thomas, tué à Crépol, Photo AFP
©OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

Société clanique

L'attaque tragique du bal de Crépol est le révélateur de certains phénomènes de société, parmi lesquels le communautarisme qui ronge le pays. La question est d'autant plus inquiétante que le rapport à la communauté semble prévaloir sur le rapport à la nation. Explications.

Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur

Sabrina Medjebeur est essayiste et sociologue. 

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Naïma M'Faddel

Naïma M'Faddel

Naïma M’Faddel est consultante, essayiste. Elle a publié "Et tout ça devrait faire d'excellents français Dialogue sur les quartiers" avec Olivier Roy aux éditions du Seuil. Naïma M’Faddel est chargée de mission équité urbaine auprès de la direction générale des services du département de l’Eure-et-Loir. Elle a effectué, dans le cadre de la politique de la ville, des missions d'animation socioculturelle et de développement social dans des villes comme Dreux, Trappes et Mantes-la-Jolie.

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Atlantico : Dans l’attaque tragique du bal de Crépol au cours duquel le jeune Thomas est mort, le racisme anti-blanc n’est pas la seule grille de lecture pour expliquer ce drame. La France paraît de plus en plus divisée et enfermée dans le piège du communautarisme, voire du tribalisme. Comment s’est-elle laissée enfermer dans ce piège ?

Sabrina Medjebeur : Il y a plusieurs paradigmes très importants à énoncer. D’abord, rappelons que le racisme anti-blanc n’a rien d’une découverte il existe, en France, depuis l’installation de populations étrangères qui se nourrissent (parce qu’on leur a distillé ces idées) de l’idée de la France en tant que nation discriminante, colonialiste, qui a pratiqué l’esclavage et qui n’a pas su les prendre en charge. L’idéologie de gauche a conforté ces populations dans un statut de victime qui est statut devenu moral et qui est désormais placé sur un piédestal. Il suffit à tout légitimer au nom d’une hypothétique victimisation d’une partie de la population d’origine étrangère habitant dans ces quartiers. Fort heureusement, certains naissent dans ces quartiers populaires et parviennent tout de même à s’émanciper tant par l’intégration par le travail que par l’assimilation par les mœurs, notamment. L’une des illustrations de ce racisme anti-blanc, c’est l’utilisation du mot “Gwer” (qui signifie fondamentalement “Français”, en Arabe) ou celle du mot “Gaouri” qui visent à exclure les blancs ainsi que les musulmans qui ne se comporteraient pas en tant que tel aux yeux de leur communauté. Ces mots sont communément utilisés pour ostraciser les Français d’origine maghrébine qui ne ressemblent pas au reste de la communauté… Ils s’en démarque au travers de l’apparat vestimentaire, par exemple, mais de la pratique religieuse ou culinaire par exemple. On parle ici de ceux qui mangent du porc ou qui boivent de l’alcool, par exemple. Le clan ne laisse à personne le droit de vivre autrement, en somme.

Aujourd’hui, et les événements de Crépol l’illustrent bien, le politique fait face à une jeunesse capable d’entrer en collision pour se faire justice, parce que l’Etat ne le fait pas lui-même. D’un autre côté, on fait appel à des ruses sémantiques pour ne pas prendre le risque de heurter les susceptibilités de certains tout en faisant taire la France qui souffre, qui voit ses enfants mourir et qui, par exemple, à peur de prendre le métro. L’Etat agi comme un adulescent apeuré, incapable de verticalité, devant des souffrances qui concernent tout ou partie des Français. Il est étonnant, d’ailleurs, de noter la célérité des procédures judiciaires concernant les militants qui ont voulu coller des affiches en hommage à Thomas, particulièrement quand l’on compare cela aux moyens déployés depuis la mort d’un quinquagénaire à Dijon, tué par balles.

Ce sentiment d’impunité des uns, qui nourrit la division de la société, ne peut que croître, précisément parce que le politique français n’agit que dans un sens pour traîter les souffrances des Français. Notre Etat se montre fort avec les faibles et faible avec les forts. Cela n’a d’ailleurs jamais été aussi criant qu’aujourd’hui. La marche blanche pour Thomas, organisée par le collectif Les Natifs (ex Génération Identitaire) a visiblement scandalisé le ministre de l’Intérieur, alors même qu’il n’y a à priori pas eu de problèmes particuliers. Après la mort de Nahel, Emmanuel Macron s’est saisi de l’affaire, qu’il a alors qualifié – et à raison – d’inacceptable. Consécutivement à la mort de Nahel, nous avons assisté à des émeutes, qui ont engendré des centaines de milliers d’euros de dégâts. De même, pendant les manifestations pro-Palestine, certains propos haineux et racistes ont été enregistrés, sans pour autant engendrer une pareille réaction de Gérald Darmanin. 

A partir du moment où le président de la République et le ministère de l’Intérieur, qui n’ont pas reçu la famille de Thomas, sont incapables d’assurer la sécurité des Français et ne comprennent pas les souffrances de leurs concitoyens, la fracture anthropologique devient une évidence.

Naïma M’Faddel : Tout en revient, il me semble, à la question du non-vivre ensemble. Pour résoudre les problèmes d’intégration et de non assimilation, nous avons choisi de répondre par la politique de la ville. Il s’agissait alors de circonscrire les quartiers à problème et y mettre une “armada de soignants”. Des politiques publiques pour améliorer l’habitat ont été mises en place, de même que des politiques sociales visant à prévenir la délinquance. Ces politiques ont produit un mille-feuille d’enfermement : puisque l’on trouvait tout directement dans le quartier, en sortir n’était pas réellement encouragé. C’est un peu après que nous avons observé certains problèmes relevant de la mixité culturelle et sociale, quand les immigrés d’origine européenne et les natifs Français ont fini par partir. La politique de la ville a fait des logements à loyer modéré des logements sociaux pour les plus modestes, ce qui concernait essentiellement les personnes issues de l’immigration. On a donc créé des enclaves homogènes. Idem pour les écoles, par exemple, ou la mixité a existé un temps durant et que l’altérité a pu exister. Être minoritaire et au contact de la majorité, c’est l’assurance de pouvoir naturellement s’intégrer, s’assimiler, d’épouser ses us et coutumes sans se faire violence ou laisser quelque chose de soi. Je parle d’expérience.

Désormais, la politique de la ville se fait par le prisme du zonage et contribue de plus en plus à la création de quartiers-enclaves. Les gens ne se rencontrent plus, ne vivent plus ensemble. Bien sûr, certains appels à projet (intitulés “vivre-ensemble”) ont tâché de résoudre ce genre de problèmes, mais parce qu’ils ne s’appliquaient qu’aux quartiers dans lesquels ils étaient engagés, cela n’a permis d’élargir les horizons de qui que ce soit. L’erreur de la politique de la ville, c’est le zonage. Les politiques publiques ont engendré une forme de séparatisme en France, au moins en zone urbaine. Il fallait créer une mixité culturelle sur l’ensemble de la ville, pas simplement la cantonner à certains quartiers où les populations issues de l’immigration ne côtoient que d’autres personnes issues de l’immigration sans opportunité de s’assimiler. Il aurait fallu, par exemple, fermer les écoles de quartiers pour répartir les enfants dans les écoles du centre-ville, quitte à créer des navettes pour faciliter les problèmes de locomotion. Ce qui s’est passé à Crépol, c’est-à-dire l’assaut d’une “bande de maghrébins” sur le jeune Thomas, résulte du fait que les populations issues de l’immigration ne vivent qu’entre elles. Elles ne connaissent pas l’autre. Les communautés ne se parlent plus et celles regroupant les populations issues de l’immigration se construisent se créent en opposition à “l’autre”.

J’ai vécu à une époque où tout ce qui faisait la France a été transmis à ma génération. Nous commémorions les fêtes françaises, nous levions le drapeau… Depuis les années Mitterrand, on ne transmet plus rien parce que le patriotisme et le chauvinisme sont devenus ringards. Comment espérer agréger les jeunes issus de l’immigration quand la France elle-même rejette désormais ce qui fait sa culture, ses traditions, son identité. Il n’est pas étonnant qu’ils finissent dans l’entre-soi, n’apprennent rien des codes sociaux et culturels de la France, faute de vivre avec l’autre.

Pour ces individus, la communauté a pris la place de la nation ?

Naïma M’Faddel : Je pense que la nation a laissé sa place être prise, pour être exacte. La France ne se sent plus légitime à agréger les populations issues de l’immigration. Reprenons l’exemple des services sociaux : nous avons créé des mairies de quartiers, des services par quartier, des centres sociaux par quartiers…. et donc favoriser l’enclavement comme l’entre-soi. Auparavant l’ensemble des habitants d’une même ville fréquentaient la même mairie et les mêmes services en centre-ville. Le tout à proximité s’est avéré être un piège.

Faire nation, faire peuple, c’est un objectif noble… mais ce n’est pas pour autant quelque chose de naturel. Il faut s’en donner les moyens, en créer (une fois encore) les conditions. Cela passe par le fait de transmettre ce pays, en étant fier de ce qu’il est. Je sais, pour l’avoir expérimenté en tant qu’élue à Dreux, qu’il y a une demande de plus de culture française, de la découverte du patrimoine de la région ou du pays. Il serait malhonnête de laisser penser qu’il n’y a pas cette aspiration. Mais, pour l’heure, les différentes populations françaises sont coincées dans une forme d’entre-soi, dans ce que vous appelez assez justement un “piège tribal”. 

Dorénavant, l’échelon d’aide, c’est le quartier. C’est vrai pour les clubs sportifs, les centres de loisirs, les associations… Tout cela est financé par la République et cela ne peut qu’engendrer de l’entre-soi, créer ce que l’on appelle des “bandes de maghrébins” ou des “bandes de noirs”, par exemple. N’oublions pas que l'altérité, c’est comme tout : cela se fait dans l’environnement dans lequel on évolue.

Sabrina Medjebeur : Historiquement, l’Etat a créé la nation. Aujourd’hui, on pourrait presque dire que les jeunes délinquants issus de l’immigration ont créé le territoire. Nous vivons désormais dans un pays qui est, bien sûr, fracturé anthropologiquement, socialement et économiquement… mais qui a surtout permis l’émergence du territoire sur la communauté. C’est très dangereux et le pouvoir politique le sait : c’est bien pour cela qu’il ménage certaines populations. Il a bien conscience que ces territoires sont hautement inflammables, que la France est une véritable poudrière prête à s’embraser à la moindre étincelle.

Le pouvoir politique n’a pas les moyens d’endiguer l’économie parallèle sur laquelle reposent pour partie ces territoires. Il aurait fallu faire un véritable travail à la suite des états généraux de la Justice, ce que le garde des Sceaux n’a pas fait. Nous faisons donc face à une jeunesse déscolarisée, dont les parents sont parfois des délinquants eux-mêmes, qui s’appuie sur une manne financière importante. Ce qui s’est passé à la Cité de la Monnaie, à Romans-sur-Isère, montre bien à quel point cette réalité concerne désormais tout ou partie du pays. Romans-sur-Isère, c’est une ville de province assez typique, avec ses voies pavées, son tissu commerçant, son architecture, éventuellement une église ou une cathédrale… Et pourtant, la drogue s’est acheminée dans ce quartier aussi. C’est la maire elle-même, aujourd’hui menacée de mort pour ses propos, qui le dit elle-même.

En face de là, d’autres territoires sont aussi en mesure de s’organiser. L’Etat essaie de contenir leurs manifestations, de les labelliser d’extrême-droite qui peut, c’est indéniable, faire preuve de violence. Cependant, il me semble que la violence émane d’abord de l’islamisme, en France, et du narco-banditisme qui rongent ces quartiers.

Pourquoi est-il si difficile pour les musulmans d’exprimer un avis individuel en dehors de la communauté contrairement aux citoyens des sociétés occidentales ?

Sabrina Medjebeur : C’est une question presque psychanalytique. Rappelons d’abord que, dans l’islam, le “je” n’existe pas. L’islam c’est une communauté, qu’on appelle la Oumma. A la chute du Califat, il a fallu organiser le monde Arabe, qui n’a pas s’organiser comme une nation arabe, du fait des dissensions survenues entre les 6ème et 7ème siècles. C’est pourquoi on a alors appelé la communauté musulmane Oumma islamiya (la communauté de l’Islam) plutôt que Oumma arabiya (la communauté des Arabes). C’était une façon de mieux fédérer, de mieux agréger.

A partir du moment où l’individualité et la singularité n’existent pas dans le clan musulman, il devient extrêmement difficile d’en sortir. Et si l’on décide finalement de le faire parce que l’on pense autrement, que l’on s’habille autrement, que l’on mange autrement ou que l’on fait allégeance à sa patrie – en l’occurrence, la France –, que l’on fait preuve d’esprit critique, ce clan musulman (qui commence le plus souvent avec la famille) vous accuse alors de traîtrise. On brise alors le culte des “siens”, parce que le clan part du principe que l’on fait partie des “siens” et non du groupe des “autres”.

Dès lors, on rentre malheureusement dans une logique de séquestration. La famille, la Ouma, s'organise comme un clan, particulièrement structuré. Il est considéré comme un corps indifférencié à la vie publique française ou à la vie en collectivité de façon générale. Chercher à s’extirper de son carcan, c’est souffrir le rejet automatique, car aucun compromis n’est possible. Le logos n’est pas admis dans ces sociétés claniques, dont on n’est guère qu’un substrat, ou un sujet. Hélas, c’est là une anthropologie que le gouvernement n’arrive pas à comprendre.

Dans le monde occidental, les nations se sont construites sur la base d’un rapport de force politique, éclairé ou non d’ailleurs, qui a mené vers la philosophie des lumières, la révolution, la laïcité et la République. Cela constitue l’apanage de la modernité occidentale. Dans l’islam, on ne peut malheureusement pas concevoir une philosophie autre que celle du Coran. L’islam n’est pas en mesure de faire son propre aggiornamento, de questionner ses propres textes ou de se remettre en question, de s’adapter à la modernité.

Naïma M’Faddel : C’est très vrai. Il y a une difficulté réelle à prendre la parole ou à s’organiser, dans les populations des quartiers. Nombreux sont ceux qui ne veulent pas s’exprimer parce qu’ils sont en quête d’une certaine forme de tranquillité. Sur le plan individuel, cela peut s’expliquer de plusieurs façons, notamment à travers certaines formes de solidarités absurdes, me semble-t-il. Nous sommes peu nombreux à nous exprimer, parce qu’il est difficile de prendre la parole. Il peut y avoir des menaces, des difficultés, des insultes, des injonctions à se taire, en somme. La France a beau être le pays de la liberté d’expression, cela ne signifie pas qu’il n’y a jamais de menaces. En témoigne, par exemple, le cas de Marie-Hélène Thoraval, la maire de Romans-sur-Isère.

Je n’ai pas été menacée à titre personnel. Mais cela ne veut pas dire que je n’ai jamais été insultée, le plus souvent sous couvert d’anonymat. Certains m’ont traitée de “collabeure”, par exemple. C’est une injonction à se taire, mais mon pays me donne la possibilité de m’exprimer. Les chiens aboient, la caravane passe, même si nous nous retrouvons entre le marteau et l’enclume. Quand on dénonce l’ultra-droite, on se prend également des insultes. On tombe, aujourd’hui, dans le camp contre camp.

Quels sont les leviers dont dispose le pays pour sortir de ce piège tribal ? Le pouvoir politique a-t-il les clés pour répondre à cette crise ?  Ou la solution doit-elle venir des citoyens ?

Naïma M’Faddel : Je suis d’avis que la solution ne peut émerger que de l'État de droit et de la République. Mais avant cela, l’Etat de droit doit reprendre les rênes. Il a été extrêmement déstabilisé, notamment pendant les récentes émeutes qui ont été particulièrement violentes. Ensuite, il y a eu Crépol et il ne faudra pas qu’une troisième occurrence se présente. L’Etat doit avoir le courage de poser le bon diagnostic, si dur soit-il. On est dans le non-vivre ensemble. Le président allait jusqu’à évoquer, à raison, une forme de séparatisme. L’Etat de droit doit devenir plus ferme, la justice doit réinstaurer les peines planchers et mettre au ban de la société les voyous comme la racaille, ainsi que l’ultra droite. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons travailler sur faire peuple ensemble.

Cela passera, me semble-t-il, par une réflexion sans tabou sur la parentalité. Il faut conditionner les aides sociales comme a pu le faire le Danemark pour rappeler les parents à leurs devoirs et qu’ils prennent conscience de leur responsabilité parentale. De même, il faut également revoir la justice des mineurs : la sanction doit être immédiate et la peine de prison doit arriver dès le premier acte de délinquance afin de créer un électrochoc. Il s’agit d’empêcher que ces jeunes récidivent et s’installent dans la délinquance. Nous ne pouvons pas continuer à avoir peur de mineurs.

Sabrina Medjebeur : Je ne crois pas que le pays dispose encore des leviers nécessaires pour sortir du piège tribal, non. Il pourrait tenter de le faire, bien sûr, mais la démographie faisant la loi, il me semble que c’est trop tard. Même avec toute la volonté du monde, le pouvoir politique ne pourrait pas y arriver. Nous observons aujourd’hui la très juste équation entre le mandat court-termiste, la tentation de courtiser les Français issus de l’immigration (quitte à y laisser nos valeurs). Le problème politique, c’est que nos dirigeants n’ont pas pensé à la descendance de ces populations, qui a été éduquée avec l’anthropologie du clan, que nous évoquions précédemment.

Il y a deux types de famille clanique : celle qui impose de faire des études, quitte à se montrer violente pour ça, et qui impose aussi le respect de la République, ses valeurs, ses lois et ses codes culturels. Il y a aussi celle pour qui la loi française est une intolérable immixtion dans leur mode de vie, qu’elle doit être combattue.

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