Pluralisme des médias : une intervention du législateur s'impose pour rappeler le principe de liberté<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Conseil d’Etat a donné six mois à l’autorité de régulation de l’audiovisuel, l’Arcom, pour revoir ses critères de mesure du pluralisme.
Le Conseil d’Etat a donné six mois à l’autorité de régulation de l’audiovisuel, l’Arcom, pour revoir ses critères de mesure du pluralisme.
©BERTRAND GUAY / AFP

Dangereux

La décision du Conseil d’État sur le pluralisme au sein de CNews ouvre la voie à un dangereux contrôle des opinions et signe, d’une certaine manière, la défaite de la liberté éditoriale des médias.

Léonard Zerbib

Léonard Zerbib

Léonard Zerbib est avocat et chargé d'enseignement en droit constitutionnel.

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Atlantico : À la demande de Reporters sans frontières (RSF), le Conseil d’État s’est penché sur la chaîne d’information CNews. Le Conseil d’Etat a donné six mois à l’autorité de régulation de l’audiovisuel, l’Arcom, pour revoir ses critères de mesure du pluralisme. En quoi la décision du Conseil d'État est-elle inquiétante pour la liberté d’expression et la liberté éditoriale des médias ?

Léonard Zerbib : Cette décision est inquiétante car elle rompt avec la doctrine du CSA puis de l’Arcom qui avait toujours limité son contrôle du pluralisme des courants de pensée et d'opinion à l’équilibre des temps de parole entre les personnalités politiques, c’est-à-dire à des critères objectifs.

Comme si les obligations relatives au décompte n’étaient pas déjà assez complexes, l’Arcom se trouve enjointe d’étendre le décompte aux invités, chroniqueurs et journalistes, sans que ces modalités ne soient précisées, et alors même que cette situation n’est pas prévue dans la loi. 

Comment l’Arcom pourrait-elle examiner si un seul courant de pensée et d’opinions prédomine sur une chaîne ? Et surtout, dispose-t-elle de moyens suffisants pour opérer ce contrôle sur l’ensemble des chaînes du paysage audiovisuel, et non seulement sur CNews ? Il est largement permis d’en douter.

Cette décision du Conseil d’État ouvre la voie à un dangereux contrôle des opinions et signe, d’une certaine manière, la défaite de la liberté éditoriale des médias.

Quels sont les principaux enseignements des conclusions du rapporteur public sur cet arrêt ? Les arguments évoqués par RSF ont-ils été “validés” par cette décision et par le rapporteur public ?

Les conclusions du rapporteur public sur cet arrêt sont éclairantes parce qu’elles permettent de comprendre le raisonnement qui a conduit le Conseil d’État à adopter ce revirement. 

Le rapporteur public a d’abord légitimement balayé les reproches formulés par RSF à l’encontre de CNews « de privilégier des débats et éditoriaux, et donc une présentation « subjective » de l’actualité », ce choix relevant de la liberté éditoriale de la chaîne.

Il a ensuite accueilli certains arguments portés par RSF et notamment les manquements reprochés au pluralisme de l’information. Au prétexte que certains intervenants seraient des « faiseurs d’opinion » qui parfois se « muent en polémistes », le rapporteur public a estimé que leurs interventions devaient désormais être prises en compte par l’Arcom.

Au soutien de son argumentation, le rapporteur public s’est notamment appuyé sur deux chercheuses en sciences sociales, Julia Cagé et Claire Sécail, dont la dernière propose un système dans lequel les intervenants se positionneraient librement sur une échelle d’opinions. Avec quels outils une autorité, fût-elle indépendante, pourrait-elle déterminer un tel classement ? Et qu’adviendrait-il si un intervenant décidait de sortir de sa catégorie administrative de pensée ?

Le classement des opinions sur une échelle est une proposition profondément dangereuse qui n’est pas sans rappeler la Police de la Pensée dans 1984, le célèbre roman de Georges Orwell. 

En quoi l’idée de ce décompte est absurde et impossible à mettre en œuvre pour les invités et les journalistes de la chaîne CNews ? Le fait que le rapporteur public s'appuie sur deux chercheuses en sciences sociales qui proposent un système "peut-être déclaratif et subjectif" ne fragilise-t-il pas ce dispositif ?

Tout ceci s’inscrit dans une logique de fichage politique qui n’a pas sa place dans une démocratie libérale.

Le décompte des temps de parole des intervenants, autres que des personnalités politiques, est tout à fait attentatoire à la liberté d’expression et sa mise en œuvre n’est pas réaliste. Les « personnalités politiques », au sens de la loi Léotard de 1986, ont choisi d’appartenir à une formation politique. Tel n’est pas le cas des autres intervenants dont les idées et opinions sont, par nature, inclassables. 

Cette décision accentue le risque que le contrôle de l’Arcom devienne de plus en plus arbitraire. L’engagement d’un chroniqueur ou d’un invité qui n’est pas une personnalité politique devra-t-il être pris en compte en fonction de ses affinités politiques supposées ? Du clivage droite-gauche ? Et le présentateur qui émet parfois son opinion devra-t-il également être comptabilisé ?

Parmi les méthodes débattues, Julia Cagé, économiste citée par le rapporteur public, a proposé qu’il soit tenu compte de la participation des intervenants à des universités d’été ou à la tribune d’un candidat à l’élection présidentielle. L’auteur de cette méthode serait alors elle-même concernée pour avoir participé au programme économique du candidat socialiste Benoît Hamon lors de l’élection présidentielle de 2017.

Du pluralisme à l’étiquetage politique, il n’y a qu’un pas…

Le législateur devrait-il intervenir pour modifier la loi du 30 septembre 1986 et clarifier les contours de la notion de pluralisme dans les médias ?

On ne peut pas laisser l’Arcom définir seule ces nouveaux critères. C’est au législateur de clarifier la notion de pluralisme en indiquant s’il valide la décision du Conseil d’État ou s’il souhaite maintenir le décompte des temps de parole aux seules personnalités politiques. 

N’oublions pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Au nom du pluralisme, on risque de glisser vers un paysage audiovisuel aseptisé avec des débats factices qui n’auront pour seul but que de satisfaire aux exigences de l’Arcom. Chaque chaîne a sa spécificité éditoriale et c’est au nom du pluralisme que l’on devrait s’en réjouir !

Comme l’a rappelé Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, la loi du 30 septembre 1986 est d’abord une loi de liberté ! Une intervention du législateur s’impose pour réaffirmer ce principe de liberté et préciser la notion de pluralisme dans les médias, à l’aune de la décision du Conseil d’État.

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