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Plongée dans les coulisses de l’organisation de la Convention de la droite : l'engagement de Marion Maréchal et Eric Zemmour en faveur de l’union des droites
©Sameer Al-Doumy / AFP

Bonnes feuilles

Louis Hausalter publie "Marion Maréchal, le fantasme de la droite" aux éditions du Rocher. Elle intrigue, elle fascine, elle inquiète... Même retirée de la vie électorale, Marion Maréchal reste un personnage politique à part entière. Extrait 2/2.

Louis  Hausalter

Louis Hausalter

Louis Hausalter est journaliste politique à Marianne, après avoir travaillé pour Europe 1. Il intervient régulièrement dans des émissions de télévision et de radio.

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C’est un petit appartement de la rue Bonaparte, au cœur de Saint-Germain-des-Prés. Ce soir du 31 mai 2019, Eric Zemmour et Marion Maréchal papotent dans la bonne humeur, autour d’un verre de rosé. Sont là aussi le compagnon de Marion Maréchal, Vincenzo Sofo, le président du cercle Audace, François de Voyer, et le jeune agitateur Erik Tegnér. Si les deux stars de la droite « hors les murs » se sont retrouvées là pour l’apéro, c’est parce que celle qui les a conviés est une connaissance commune, une jeune et brillante énarque (promotion « Molière ») dont on retrouve sur Internet des tribunes au ton souverainiste publiées pendant ses années à Sciences Po. Fin 2019, elle sortira dans la « botte » de l’ENA, ces premières places du classement qui ouvrent la porte aux grands corps de l’État, et partira à la Cour des comptes. Désormais haut fonctionnaire, la jeune femme est tenue à un devoir de réserve, et le sujet est donc sensible : ceux qui la connaissent évitent d’en parler.

De toute façon, c’est surtout à un amical échange de vues que se livrent ce soir-là Eric Zemmour et Marion Maréchal. Les deux vedettes s’apprécient et s’entendent bien, elles qui échangent régulièrement par textos. L’ex-députée est une grande lectrice et admiratrice de Zemmour, qu’elle s’est empressée d’inviter à l’une des premières conférences organisées à l’Issep. Entre eux, de nombreuses convergences et quelques nuances. Elle est plus libérale, lui plus bonapartiste. Qu’importe. En ce soir de printemps, Erik Tegnér et François de Voyer se disent qu’ils tiennent une affiche du tonnerre pour agiter la prochaine rentrée politique. Avec leur compère Jacques de Guillebon, de l’Incorrect, ils ont imaginé un évènement pour tenter une nouvelle fois de fracasser la digue RN-LR. Une « convention de la droite » avec des stars sur scène, des débats musclés, des paillettes et du buzz. L’inspiration vient clairement de l’autre côté de l’Atlantique : les conspirateurs veulent créer une « CPAC à la française », en essayant de calquer la recette du rendez-vous annuel des conservateurs américains, où Marion Maréchal a fait une intervention remarquée en 2018.

Elle et Zemmour acceptent l’idée, persuadés qu’il faut profiter de l’effondrement de la droite aux européennes pour encourager autre chose, une coalition qui dépasserait le simple RN et pourrait battre Macron. Pour assurer la promotion, ils donnent un entretien croisé à l’Incorrect en septembre. « C’était un bon moment. Il y a une vraie complicité entre eux deux, même s’ils sont très différents, se souvient Benoît Dumoulin, le rédacteur en chef adjoint du magazine. Zemmour tient un discours teinté de désespoir, alors que Marion sait qu’un politique ne peut pas se le permettre. En gros, Marion croit au politique, alors que Zemmour n’y croit pas. »

« Eric » et « Marion », c’est aussi l’histoire de tentations croisées. Lui, le chroniqueur et écrivain à succès, adepte du débat de fond, se laisse volontiers titiller par l’idée de se lancer dans la politique électorale, même s’il n’a pas franchi le pas. Elle, qui fut élue et a mené plusieurs campagnes, tente le chemin inverse : son but est de s’extraire de son image politicienne et de compter dans le débat d’idées, précisément le terrain de Zemmour! Reste ce point commun, selon Benoît Dumoulin : « Chacun d’entre eux cherche une incarnation politique à ses idées. »

Un autre homme connu et reconnu dans les cercles de cette droite « hors les murs » désapprouve le coup qui se dessine pour la rentrée. C’est Patrick Buisson. Le journaliste et essayiste, ancien patron de Minute et de Valeurs actuelles, puis conseiller répudié par Nicolas Sarkozy pour l’avoir enregistré en cachette, ne comprend pas pourquoi son ami Zemmour, avec qui il a depuis longtemps d’interminables conversations politiques, s’affiche aux côtés de cette jeune femme qui le déçoit beaucoup.

Marion Maréchal et Patrick Buisson ne sont pas proches. La première fois qu’ils se sont rencontrés, c’était un peu par hasard, en octobre 2015. Elle sort alors d’un plateau sur LCI et croise dans les couloirs de la tour TF1 Geoffroy Lejeune, qui lui propose de rencontrer Buisson. À l’époque, celui-ci a des bureaux au même endroit, puisqu’il dirige encore la chaîne Histoire, propriété du groupe TF1. L’entrevue est courtoise et brève. Patrick Buisson ne devient pas un conseiller de l’ombre de la députée FN, mais celle-ci ne manque pas de lui rendre hommage. « J’appartiens à la “droite Buisson” », déclare-t-elle à Valeurs actuelles au moment de quitter ses mandats. Elle se dit « très marquée » par le grand-oeuvre du politologue, la Cause du peuple, cet ouvrage dans lequel Buisson a réglé ses comptes avec Sarkozy et théorisé à grand renfort d’histoire et de sociologie l’unification, à droite, de la bourgeoisie conservatrice et de l’électorat populaire. Précisément ce dont rêve Marion Maréchal.

Après son retrait, ils déjeunent chez Drouant, à Paris, en mars 2018. Un repas qui a valu à Marion Maréchal de se retrouver en couverture de l’Express quelques semaines plus tard, avec ce titre : « Ce que mijote la droite de la droite ». Elle demande à Patrick Buisson des conseils de lecture, elle qui fait maintenant dans la « métapolitique ». Flatté, il les lui donne bien volontiers, mais lui fait part de ses réserves sur son projet d’école : pour lui, cela risque de ne servir à guère autre chose qu’indiquer l’origine politique des étudiants à leurs employeurs potentiels…

Un an plus tard, changement d’ambiance. Au lendemain des européennes, Marion Maréchal appelle toujours à une alliance des droites, on l’a vu. Mais Patrick Buisson, lui, opère un virage sur l’aile. « L’union des droites est un schéma absolument obsolète », estime-t-il le 12 juin dans un entretien à LCI. Pour lui, « le vrai clivage est entre libéraux et anti-libéraux », et la victoire contre Macron ne peut avoir lieu sans Marine Le Pen, même s’il faut lui agréger d’autres forces. Quant à Marion Maréchal, « son champ sociologique représente exactement celui de Bellamy », lâche-t-il. Soit 8,5% de l’électorat des européennes…

L’intéressée, qui goûte peu ces critiques, demande une entrevue à Patrick Buisson pour s’expliquer en tête-à-tête. Ils dînent à la mi-juin dans un restaurant du XVIIe  arrondissement de Paris. Pour détendre l’atmosphère, elle commence par plaisanter sur sa ligne et le risque d’être à nouveau paparazzée cet été. Aussitôt, Buisson a le réflexe prosaïque du conseiller politique : au contraire, estime-til, le glamour et l’intérêt de la presse people sont l’un de ses meilleurs atouts pour toucher l’électorat populaire. Elle semble trouver le propos méprisant et un poil misogyne. Le dîner commence bien…

Arrive la discussion de fond, et cette fameuse « Convention de la droite » que les proches de Marion ont secrètement mise sur les rails. Patrick Buisson lui dit franchement son scepticisme :

— Je ne comprends pas ce que vous voulez faire. Vous ne vous donnez pas de perspective politique, vous n’êtes pas candidate, vous allez intervenir au moment où l’on voit que votre tante fait preuve de résilience… Vous allez dans le mur.

Évidemment, Marion Maréchal n’est pas d’accord. Certes, elle n’est candidate à rien, mais elle trouve qu’il faut encourager cette initiative pour tenter de faire bouger les lignes à droite. Car pour elle, c’est bien sur le flanc droit que tout se joue, là où Patrick Buisson trouve que cette analyse est dépassée. Ce soir-là, nos deux dîneurs se quittent sur un constat de désaccord.

Patrick Buisson n’en démord pas : la ligne défendue par Marion Maréchal n’est pas adaptée au contexte politique. « L’union des droites, je suis d’autant mieux placé pour en parler que je l’ai défendue pendant vingt ans, estime-t-il.

Ne pas tenir compte de l’évolution de la sociologie et du rapport de forces électoral me paraît une aberration. » Sa préconisation? « Il faut une autre stratégie, l’union nationale, que l’on ne peut comprendre que si l’on se plonge dans les racines de l’archè, le fondement de la nation française. Ce qui peut battre Macron, c’est une alliance des patriotes sur l’identité et le social. Le déclassement des classes moyennes paupérisées, conjugué au délitement des lieux de sociabilité, ouvre un espace contre le macronisme, qui dirige le pays sur une base sociologique ultra-minoritaire. » Un espace qui doit se construire d’abord à droite, mais sans exclure l’électorat de gauche : « Quand on observe que la moitié des électeurs de Mélenchon rejoint l’électorat RN sur les questions migratoires, cela ouvre des perspectives intéressantes. »

En fait, Patrick Buisson trouve que la bonne ligne pour l’emporter en 2022 est plutôt portée par… Marine Le Pen. Mais le patronyme de la patronne du RN reste un problème à ses yeux. Il le lui dit d’ailleurs lors d’un déjeuner, à la mi-octobre 2019 :

— La bonne stratégie, c’est le RN derrière un candidat non issu du RN.

— Donc, c’est tout le monde sauf ma pomme? rétorque Marine Le Pen.

À vrai dire, Buisson fait la même analyse à propos de la nièce : « En cas de candidature, elle sera Maréchal au premier tour et Le  Pen au second. Toutes les inhibitions et tous les tabous autour du nom de Le Pen reviendraient massivement et représenteraient une hypothèque aussi décisive que celle qui pesait sur son grand-père ou sa tante. »

Patrick Buisson n’a pas de contacts réguliers avec elle. Il déplore qu’elle fasse fausse route devant ses interlocuteurs, par exemple le député RN Sébastien Chenu, lors d’un déjeuner à l’automne 2019. Et il la flingue dans des entretiens à la presse. Pourtant, il l’assure : « Je n’ai aucune animosité contre Marion Maréchal. C’est plutôt une personne qui lit, travaille et a un peu de finesse. Mais derrière elle, il y a un entourage extrêmement médiocre, un mélange de boy-scouts attardés et d’amateurs, qui représentent le niveau zéro de la politique. Ils sont idéologiquement fossiles et stratégiquement invertébrés. »

Non, Patrick Buisson n’aime pas ces jeunes gens qui s’empressent autour de Marion Maréchal. Dans son viseur se trouve particulièrement Jacques de Guillebon, qu’il soupçonne de se répandre contre lui dans la presse. « Buisson fait du Philippot avec dix ans de retard », persifle en retour le directeur de la rédaction de l’Incorrect. Dans le numéro de septembre 2019, Guillebon consacre d’ailleurs son éditorial à descendre Buisson sans le nommer. Ironisant sur ceux qui « prônent des alliances adolescentes, espérant rassembler tous les “antilibéraux” », il prône plutôt « l’élargissement du domaine de la droite ». Il conclut : « Voilà qui réclame un esprit d’aventure, de conquête, de courage, qui réclame parfois de brûler ses vaisseaux et de se soucier du monde avant de songer à son compte en banque. »

Car pour Jacques de Guillebon et d’autres proches de Marion Maréchal, Patrick Buisson chercherait surtout un nouveau client auquel vendre ses conseils, après sa rupture avec Nicolas Sarkozy. Et serait vexé que l’ex-députée ne lui prête pas plus d’attention. Une version que l’intéressé balaie d’un revers de la main : « Je n’ai absolument pas de souci d’existence. »

Reste qu’en ce début d’été 2019, Buisson refuse donc l’invitation que lui adressent les organisateurs de la Convention de la droite. Pour lui, ce n’est pas un évènement politique, mais une simple opération de levée de fonds pour l’Issep, qui consiste surtout à promouvoir la ligne de droite libérale promue par le milieu entrepreneurial lyonnais qui finance l’école. Le 16 septembre, dans un restaurant italien proche du boulevard Saint-Germain, Patrick Buisson tente une dernière fois de convaincre Eric Zemmour de ne pas participer à la convention :

— Que vas-tu faire dans cette histoire? Tu vas servir de faire-valoir à une entreprise de promotion de Marion Maréchal, qui ne reviendra pas en politique. Et ça ne repose sur aucune analyse cohérente!

Zemmour ira, en dépit de son affection ‒ réelle ‒ pour Buisson. Avec lui et Marion Maréchal, les organisateurs rempliront facilement la Palmeraie, cette salle au décor tropical qu’ils ont réservée dans le XVe arrondissement de Paris. Ils fermeront d’ailleurs les inscriptions au bout de cinq jours.

Mais les ardents marionistes ne s’en tiennent pas à leur duo de choc. Pour eux, la Convention de la droite doit brasser large, comme son modèle américain, tout en essayant de renouveler les intervenants. D’ailleurs, Marion Maréchal a préalablement rayé de leur liste des figures habituelles de la droite « hors les murs », comme Philippe de Villiers ou Henri Guaino. Et elle n’est pas follement enthousiaste à l’idée d’inviter Robert Ménard : elle sait que le remuant édile parlera de sa ville de Béziers et se plaindra de ces colloques parisiens sans lendemain. Il sera convié tout de même.

Le trio Erik Tegnér-François de Voyer-Jacques de Guillebon s’est fixé une règle : ne pas inviter de chef de parti, puisque l’idée est de dépasser les appareils. En revanche, les sollicitations pleuvent sur les parlementaires LR et les cadres du RN jugés les plus proches de leurs positions. La pêche est médiocre. Côté Républicains, François-Xavier Bellamy invoque un déplacement prévu de longue date, la députée de Marseille Valérie Boyer décline, tout comme son collègue de la Manche Philippe Gosselin, qui envoie tout de même un long texto d’excuses. Sans surprise, Christian Jacob ne donne pas suite, lui qui deviendra quinze jours plus tard le nouveau patron de LR. Finalement, seul le député de l’Ain Xavier Breton viendra, lui qui avait participé à l’apéro d’élus avec Marion Maréchal en juin. Au RN, Marine Le  Pen a découragé les vocations, alors qu’une dizaine d’élus ont été conviés, dont Nicolas Bay, Sébastien Chenu, Louis Aliot, Philippe Olivier ou Thierry Mariani. Seul Gilbert Collard honorera l’invitation.

Les organisateurs essuient aussi nombre de refus chez les intellos et experts de tout poil. Le sociologue québécois Matthieu Bock-Côté s’excuse, tout comme le politologue Jérôme Sainte-Marie. Roger Scruton, philosophe star du conservatisme britannique, donne son accord mais son état de santé l’empêchera de venir (il décédera quatre mois plus tard). Finalement, la vingtaine d’intervenants annoncés sont pour la plupart les visages habituels des petits cercles conservateurs. On y retrouve les polémistes Elisabeth Lévy et Gilles-William Goldnadel. Le directeur de l’Institut de formation politique, Alexandre Pesey, et l’écrivain Laurent Obertone feront une intervention. Tout comme Jean-Frédéric Poisson, du Parti chrétien-démocrate, ou l’inévitable Paul-Marie Coûteaux. Les organisateurs présentent comme un véritable évènement la présence de Candace Owens, une jeune polémiste américaine connue pour ses positions pro-Trump.

Le philosophe libéral Raphaël Enthoven a accepté de porter la contradiction sur scène, mais il n’y aura pas d’élu macroniste. Invité, le député Thierry Solère, un ancien de LR passé à La République en marche, a caressé l’idée de venir, mais sa proximité avec Édouard Philippe l’a poussé à décliner. Quant à son jeune collègue Aurélien Taché, adepte de positions proches du communautarisme, il se décommande après une polémique sur les accréditations délivrées à la presse. Les organisateurs ont en effet tenté de trier les journalistes, en retoquant ceux de Libération, l’Express, l’Opinion et l’émission Quotidien. Ils ont vite changé d’avis quand le directeur du Figaro, Alexis Brézet, a menacé dans un tweet de ne pas couvrir l’évènement! Ce n’est pas la seule note d’amateurisme qui apparaîtra au cours de la convention.

C’est d’ailleurs l’une des craintes d’Arnaud Stephan, toujours en guerre contre le trio Guillebon-Voyer-Tegnér. L’ex-communicant de Marion Maréchal observe de loin cette nouvelle agitation qui l’agace au plus haut point. Par texto, il tente de dissuader son ancienne protégée :

« Qu’est-ce que tu vas foutre dans cette galère? » Elle se justifie : « Au moins, ça a le mérite d’exister… »

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Extrait du livre de Louis Hausalter, "Marion Maréchal, le fantasme de la droite", publié aux éditions du Rocher. 

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