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Une photographie de l'appel à témoins affichée sur l'esplanade Beaugrenelle à Paris où un adolescent, le jeune Yuriy, avait été laissé pour mort dans une rixe.
Une photographie de l'appel à témoins affichée sur l'esplanade Beaugrenelle à Paris où un adolescent, le jeune Yuriy, avait été laissé pour mort dans une rixe.
©Thomas COEX / AFP

Nihilisme à tous les étages

Les récentes rixes entre bandes rivales, l'agression du jeune Yuriy, l'assassinat d'une adolescente à Argenteuil retrouvée dans la Seine ou bien encore les vidéos sur Internet de jeunes filles souhaitant rentrer en France après leur départ au coeur de l'Etat islamique soulignent une nouvelle fascination de certains jeunes pour la violence et la mort. Comment expliquer ce phénomène face à une société occidentale en pleine crise de sens ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Alors qu’une vidéo virale sur internet montre des jeunes filles voulant rentrer en France après avoir tenté l’aventure chez Daesh, les violences entre jeunes et les rixes se multiplient. Le point commun de ces deux phénomènes est-il la nouvelle fascination de certains jeunes pour la violence et la mort ?

Bertrand Vergely : Ces dernières vingt-quatre heures l’actualité  a été le théâtre de deux faits divers tragiques.  Apparemment éloignés l’un de l’autre ils sont  pourtant liés.

 Premier fait divers tragique.  Alors que Dimanche 6 Mars deux jeunes ont été gravement blessés à coups de couteaux au cours d’une rixe entre bandes, Lundi 8 Mars une jeune lycéenne de 14 ans a été retrouvée noyée dans la Seine à Argenteuil à la suite d’une dispute avec deux de ses camarades qui la harcelaient depuis des mois.

Deuxième fait divers tragique. Dimanche 7 Mars une vidéo  a montré des jeunes files actuellement détenues dans des camps de prisonniers en Syrie après être parties au moyen Orient mener la guerre sainte aux côtés de Daech. Ce n’est pas la première fois que des médias ou des organisations humanitaires alertent au sujet des jeunes femmes ou des enfants  détenus dans des camps de prisonniers en Syrie.

Des jeunes qui s’entretuent à coups de couteaux. Des jeunes filles qui partent soutenir un mouvement terroriste. D’un côté une violence sauvage, d’un autre une violence politisée. D’un côté des jeunes qui préfèrent la violence des banlieues à celle de Daech. D’un autre, des jeunes qui préfèrent la violence de Daech à celle des banlieues. Tout oppose ces violences. Dans tous les cas toutefois, un point commun :  la violence. Et, derrière cette violence, un autre point commun : la toute puissance masquant une jeunesse perdue.

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Dans les banlieues, les jeunes qui se livrent à la violence aiment jouer aux durs. Ils aiment pouvoir jouer aux caïds, aux grands chefs, à ceux qui font la loi, à ceux qui savent tout, à ceux que rien n’arrête.  En quête de toute puissance, ils ont l’impression de devenir tout puissants en étant dans des bandes qui leur donnent un sentiment de force Ils ont le sentiment d’avoir de la puissance en pouvant, au sein de ces bandes, pratiquer la violence à travers une violence ritualisée.  Daech en Syrie qui a compris comment fonctionnent les jeunes utilise ce phénomène de bande en créant  une super bande pratiquant une super violence censée pouvoir rénover le monde.  Dans les banlieues, les bandes font du mini terrorisme. En Syrie, Daech est une maxi-bande. Dans les banlieues, les bandes sont des mini-Daech.

Entre pratiquer la violence et la subir, il ne semble pas y avoir d’alternative. Est-ce dû à une absence de médiation ou à un refus de celle-ci ?

La médiation renvoie à l’intermédiaire. L’intermédiaire signifie un autre entre soi et ses désirs. Concrètement, cela se marque par le fait de passer par la réalité matérielle, la réalité humaine et sociale et la réalité symbolique en faisant ce que ces réalités exigent.

Nous croyons qu’être libre consiste à faire ce que l’on veut. Être libre consiste à faire ce qui est réel en obéissant aux règles que la réalité exige.  Quand on le fait, se mettant à exister vraiment, on commence à être libre et à pouvoir faire ce que l’on veut. D’où ce paradoxe : pour faire ce que l’on veut, il faut commencer par ne pas faire ce que l’on veut.

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Il importe de le rappeler. On a affaire là au problème de fond que rencontre la jeunesse, être jeune étant le moment crucial de la vie au cours duquel on apprend que pour être libre il fait faire ce qui est réel et nonce que l’on veut.

Cela demande du temps. Cela demande un travail. Cela demande d’accepter les autres, l’autre, l’altérité. Toute une partie de la société qui a de la culture, une éducation morale, des repères et des règles de  vie en société, le sait. Pratiquant la culture, la morale, les repères, les règles de vie en société, elle est à l’abri d’un monde sans culture, sans valeurs, sans repères, sans règles et sans éducation. En revanche, le monde comme le monde des jeunes qui ignore la culture, l’éducation, les repères, les valeurs et les règles devient la proie facile de prédateurs qui savent  exploiter l’immédiateté, c’est-à-dire la brutalité. 

On parle de fracture sociale. Il faut parler de fracture culturelle. Cette fracture est manifeste chez les jeunes qui ont tendance à vouloir faire partie d’un autre monde sur lequel les adultes n’ont aucune prise.

On parle d’une planète des jeunes. Sur Internet, c’est le cas, la communication facile donnant l’impression aux jeunes de faire partie d’un monde qui leur est propre. Elle leur donne surtout l’impression de pouvoir constituer, inventer, créer  ce monde. Daech le sait. Daech en use.

Les jeunes filles qui sont parties en Syrie ont été recrutées sur Internet. Quand des jeunes se mettent à harceler, c’est grâce aux possibilités offertes par la communication qu’ils le font. Internet qui permet de constituer très vite une société où tout devient communicable est la médiation d’un monde sans médiations. Pas besoin de travailler pour pouvoir communiquer. La communication est immédiate. Pas besoin des autres comme êtres réels.  Les autres  existent de façon virtuelle. Pas besoin de temps. Tout est accessible immédiatement en un clic. On s’émerveille à propos des possibilités offertes par la communication et on n’a pas tort. Il y a de quoi s’émerveiller. On n’aperçoit pas qu’il y a la face sombre de la communication. Quand on n’est pas structuré, on est happé par les possibilités de communication immédiate et multiple qu’offre Internet. On se retrouve ainsi très vite avec la capacité de pouvoir nuire ou bien encore de pouvoir  rentrer dans des organisations recrutant des militants.

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La société occidentale est-elle en pleine crise de sens, devenant ainsi le terreau d’une nouvelle fascination pour la mort ?

Le monde dans lequel nous vivons repose sur le culte de l’ego. Reposant sur le culte de l’ego, c’est l’ego qui le fascine.   L’ego le fascinant il aime pouvoir jouer avec tout et notamment avec la mort afin de satisfaire ce culte.

Dans les bandes de jeunes, avec Daech, on a affaire au comble du culte de l’ego, une bande étant un théâtre dans lequel le moi des jeunes peut se mettre en scène dans une attitude de toute puissance. Qui dit bande dit société parallèle avec des règles parallèles. Qui dit société parallèle dit règles parallèles basées sur un ego tout puissant triomphant. Avec Daech, le phénomène est le même, Daech étant une société parallèle avec des lois comme les lois islamiques qui ne sont pas les lois en vigueur dans la société  internationale.

C’est l’Occident qui a créé le culte du moi. Le culte du moi qui est l’essence de l’humanisme revient sous la forme d’un culte du moi antihumaniste à travers la barbarie religieuse ou bien encore la barbarie urbaine.

Si donc on veut pouvoir penser la violence qui s’est emparée des jeunes, il importe d’aller trouver ses racines non pas dans une fascination directe pour la mort mais bien plutôt dans une fascination pour la violence, celle-ci permettant la toute puissance qui va satisfaire l’ego.

Il faut oser regarder cette vérité en face. Les jeunes qui se livrent à la violence délinquante ou bien encore à la violence terroriste sont le reflet d’un monde  qui croit que le culte de l’ego est neutre. Le culte de l’ego est barbare. On veut faire croire qu’il civilise. Il ne civilise pas. Il rend barbare.

En 1955, Nicholas Ray a sorti un film avec James Dean qui a eu beaucoup de succès à l’époque La fureur de vivre. Ce film mettait en scène des jeunes jouant avec la mort en se livrant à des duels par voiture interposée. Il s’agissait de mettre en compétition deux voitures roulant à toute vitesse l’une face à l’autre. Le premier  conducteur  qui déviait sa voiture afin d’éviter la collision avait perdu.  Quand on parle de fascination pour la mort, ce film en donne la démonstration.

Lorsqu’on est fasciné par la mort, on est fasciné par le jeu avec la mort.  Comme James Dean dans La fureur de vivre, on est fasciné par la mise en  scène de la toute puissance du moi. Le film de Nicholas Ray a saisi le culte du moi dans le monde de l’après seconde guerre mondiale.  Non seulement on n’est pas sorti d’un tel culte, mais explosant depuis un certain nombre d’années,  il confronte la société contemporaine à se dérives aberrantes.

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