Philippe Juvin : « J’assume de dire que notre civilisation est meilleure que les autres »<!-- --> | Atlantico.fr
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Philippe Juvin est l’un des cinq candidats à désignation comme candidat LR à la présidentielle.
Philippe Juvin est l’un des cinq candidats à désignation comme candidat LR à la présidentielle.
©JOEL SAGET / AFP

Grand entretien

Entretien avec l’un des cinq candidats à désignation comme candidat LR à la présidentielle. Pour celui qui est probablement le plus libéral, s’il faut un Etat régalien fort, il est aussi essentiel que la droite revienne à la défense d’une Liberté qu’elle a quasi oubliée parmi ses valeurs.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Philippe Juvin

Philippe Juvin

Philippe Juvin est professeur de Médecine, chef du service des urgences, HEGP, Paris. Il est également député des Hauts-de-Seine et conseiller municipal de La Garenne-Colombes.

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Jean-Sébastien Ferjou : Vous êtes peut-être celui que connaissent le moins les électeurs de droite ou les Français au sens large. Pour vous définir sur une échelle de 1 à 5 de la droite, à quel degré vous inscrivez-vous, et notamment par rapport aux mots clés de la droite comme liberté, autorité, ordre, souveraineté… ?

Philippe Juvin : Je suis à 5 sur tout ça ! Surtout, j'ai typiquement un parcours qui n'est pas celui des autres candidats qui m’entourent. Ça compte puisque le parcours ça forge une colonne vertébrale. Je suis le seul qui a un métier et qui continue à l’exercer en plus de mes mandats. Je suis aussi le seul maire en exercice. Le maire c'est un lien social, un ciment de la République. Je suis le seul à avoir une expérience internationale avec Michel Barnier. Je suis le seul à avoir été soldat. Je n’ai pas été combattant, mais j'étais officier dans un pays en guerre et donc je sais prendre des décisions qui sont difficiles, je pense que c'est ma première différence.

Ma deuxième différence, c'est que je crois à la fois à la nécessité d'un Etat régalien très fort. Mais conjuguée à la nécessité de rendre de la liberté, de l’autonomie aux Français.

Nous devons reconstruire des services publics efficaces. Nous ne rétablirons pas l’ordre si nous le faisons pas. Le service public, c'est à la fois de l'équité de traitement sur le territoire et de l'efficacité. Pas d'école, cela veut dire pas d'ingénieurs vingt ans plus tard, pour fabriquer une centrale nucléaire ou inventer un vaccin.

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Mais comment l’Ile-de-France a-t-elle pu perdre près de 50% de ses lits de réanimation depuis un an ?

PJ :On les perd, vous avez raison. Le Prix Nobel de chimie est parti en Allemagne. Et quand vous voyez que seulement 25% des polytechniciens restent au service de l'Etat alors qu’ils qui sont les scientifiques de l'Etat, ça montre que le sujet est majeur.

Au-delà de ce régalien fort, je crois comme je vous le disais -et c’est là mon côté Raymond Aron- à la nécessité de donner de la liberté aux gens pour qu'ils expriment leurs potentialités. C'est fondamental ! Il faut que le chercheur puisse chercher, l'entrepreneur, entreprendre et librement. Et le professeur avoir une grande autonomie. Les maires, c'est pareil. C'est toujours la même philosophie. Je suis pour le pouvoir communal parce que je fais confiance aux maires, je fais confiance aux entrepreneurs. Je suis pour le libéralisme économique. Parce que je fais confiance aux chercheurs, je ne veux pas les enfermer dans des programmes de recherche comme aujourd'hui. Ça demande de la liberté la recherche. Aujourd'hui, on demande aux chercheurs de chercher dans trois domaines qui ont été définis par les pouvoirs publics comme s’ils étaient plus qualifiés pour le faire.

"Je ne crois pas du tout à l'Etat stratège !"

JSF :Vous êtes donc pour un Etat fort, mais pas nécessairement stratège dans le détail ?

PJ :Je ne crois pas du tout à l'Etat stratège ! Je pense qu’il y a eu quelques succès : le nucléaire, Ariane, mais l'Etat ne sait pas tout. La majorité des grandes évolutions de la société, ce n'est pas l'Etat, ce sont les individus. Google, Facebook qui ont bouleversé nos villes, ce n’est pas l'Etat, ce sont des individus qui les ont développés. Les Restos du cœur, qui sont une invention d'une solidarité de proximité, c'est pareil. Idem pour Emmaüs. Je ne crois pas à ce mythe que l'État a réponse à tout. Je pense que c'est même une erreur. En revanche, il est le gardien de l'ordre. Je veux que l'Etat soit fort, mais surtout qu'il soit efficace.

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Or en France, il est à la fois inefficace et il veut tout faire. Nous avons besoin de l’inverse.

Ce dont nous avons besoin, c’est de retrouver un modèle qui enrichisse le pays, intellectuellement comme économiquement. Si vous n'enrichissez pas le pays, tout le reste est vain. Je pense que nous devons déployer deux grandes réformes afin de remettre de l'argent dans le système. La première c’est la réforme des impôts de production. Les entreprises françaises payent autant d'impôts de production à elles seules que la totalité des entreprises de 23 pays de l'Union, y compris l'Allemagne. La seconde, c’est la réforme des retraites qui coûte dans son système actuel de financement extrêmement cher. La retraite par répartition pure ruine le cotisant, la société et les retraités au regard de notre démographie actuelle. Il faut que nous passions à une réforme, au moins en partie, de 20 à 30%, par capitalisation, pour tous les acteurs, y compris privés.

Si vous prenez les agents de catégorie B et C de la fonction publique qui sont nés en 1980 et après, avec le système actuel, ils auront une pension de retraite inférieure à 45% de leur traitement actuel, c'est à dire au-dessous du seuil de pauvreté. Donc, ce n'est pas un sujet à la marge mais un sujet absolument majeur. Autre exemple un euro cotisé en 1980, devient en 2020, 1,9€ par répartition. Par capitalisation avec 50 % d'actions et 50 % d'obligations 1 euro 80, vaut 21 euros en 2020. Donc on a un système qui nous appauvrit. Un système par capitalisation pure, c'est une soixantaine de milliards de PIB qu'on perd tous les ans, c'est massif !

Beaucoup de politiques qui sont actuellement présentées au débat public sont en réalité des politiques qui ne font que redistribuer de la richesse à périmètre constant, c'est à dire redistribuer la pénurie. C’est encore pire quand on prétend l'augmenter.

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Un quatrième item m’est cher : la démocratie représentative. On n'y croit plus et donc on invente des « machins » comme la convention citoyenne, le grand débat, etc. On se plaint que la vie politique n'ait plus la confiance des gens mais on fait en réalité tout pour la détourner

Donc voilà mes 4 axes : premièrement, un Etat fort sur le régalien et efficace, avec publication des résultats et des services publics, et c'est la raison pour laquelle que je suis contre la diminution des fonctionnaires aujourd'hui parce que ce n'est pas le moment. Deuxièmement, on fait confiance aux gens : décentralisation pour les maires, on fait « péter » le système de l'Inserm ou du CNRS, partenariat public privé, etc. Troisièmement, de la richesse créée : il faut que le gâteau soit plus grand. Et quatrièmement, la démocratie renouvelée avec des corps intermédiaires revitalisés. .

"On en arrive à un point où les mots de liberté et droite deviennent quasi incompatibles ! Mais la liberté, c'est notre valeur la plus chère. Si la droite ne la défend pas, qui la défendra ?"

JSF : David Lisnard a gagné l'élection à la tête de l'AMF. Dans la presse il est souvent qualifié de droitier. Ce qualificatif vous surprend-il ? Est-ce que ça n’en dit pas long, finalement, sur la manière dont la droite est perçue dans le pays ?

PJ : David Lisnard est très proche de ce que je dis. On s'entend bien. Il croit comme moi qu'il faut donner de la liberté aux individus. En tout cas, pas les enfermer dans une gangue administrative et normative. Vous vous rendez compte que cette simple idée suffit à catégoriser ceux qui l’émettent dans une sorte de droite ultra ? Alors que nous ne sommes que les disciples de Raymond Barre, pas plus, pas moins.

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Qu’est-ce que ça nous dit en creux ? Que d’autres veulent soit condamner la droite à l'État stratège, mais en ce qui me concerne, je ne crois pas au plan, je n'y ai jamais cru, soit la réduire à une vision hyper sécuritaire. On en arrive à un point où les mots de liberté et droite deviennent quasi incompatibles ! Mais la liberté, c'est notre valeur la plus chère. Si nous ne la défendons pas, qui la défendra ?

JSF : Si, justement, on en arrive à un moment ou un positionnement libéral est perçu comme droitier ou ultra, quelle est la responsabilité de la droite, y compris de la droite d'aujourd'hui ?

PJ : Une responsabilité majeure parce c'est une défaite intellectuelle. Nous avons eu honte de définir que nous étions des libéraux au sens où nous aimons la liberté. Ce mot libéral a toujours été suspect en France alors qu’il est vertueux aux Etats-Unis puisqu'il a un sens quasi contraire.

JSF : Il y signifie plutôt gauche morale en effet…

PJ : Oui. Nous avons toujours été des défenseurs honteux de la liberté. On a continué à parler du plan, on a continué à parler de l'État stratège, on a continué à croire en la vertu d'un pouvoir jacobin et centralisateur. Jean-Pierre Raffarin a fait une réforme de décentralisation qui était très bonne. Mais à de rares exceptions près, on voit bien qu’on a perdu notre boussole. Le problème de la droite est celui d’une défaite intellectuelle. On ne sait plus où est. La droite est devenue une droite identitaire, sécuritaire, euro grincheuse. Je ne dis pas europhobe parce que ce n'est pas vrai, ni eurosceptique. Elle est euro-grincheuse, jamais contente. On bénéficie de beaucoup des vertus de l'Europe, mais on n'ose même plus le dire. Donc, oui, il faut balayer devant notre porte.

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JSF : Vous dites que la droite a presque oublié le mot de liberté. L'autre grand pilier des partis de droite de gouvernement dans la plupart des démocraties, c'est d'assumer une part de conservatisme. Est-ce aussi un mot que vous êtes prêt à accepter ou à revendiquer ?

PJ : Si le conservatisme est la vertu des permanences, j’y crois. Je crois à la vertu de s'inscrire dans une histoire longue qui donne des références. Je crois à la vertu de définir ce qu'on est, de tracer frontière. Pour moi, le conservatisme, c'est cela. Le conservatisme, c'est aussi la protection de l'environnement. Ces aspects-là du conservatisme, je les défends. Le conservatisme n'est pas, en revanche, l'idée qu'il faudrait réguler la façon dont je m'habille, je mange, qui j'aime ou je n'aime pas, etc.

JSF : Et en matière de filiation ?

PJ : La question, c'est l'équilibre entre la liberté individuelle et l'intérêt général. Si la question c’est faut-il laisser la filiation aux couples de même sexe ? Cela existe déjà. Je pense qu'il faut laisser les gens tranquilles. Je ne crois pas qu'il y ait un droit à l'enfant. En revanche, je ne suis pas du tout opposé à la PMA. J’y suis favorable pour toutes. Mais je suis opposé à la GPA car la personne qui porte ne le fait pas gratuitement et donc la réification est poussée à l'extrême.

"En nous opposant systématiquement, y compris sur des sujets sociétaux mineurs, nous préparons le terrain pour des défaites sur des terrains bien plus importants comme la GPA ou l’euthanasie"

JSF :Et comment la droite peut-elle s'opposer au passage de la PMA à la GPA puisque l’argument juridique avancé par les militants de la GPA est celui d’une égalité entre les couples de femmes et les couples d’hommes ?

PJ : Au nom de la non-patrimonialisation du corps. Le corps, ça ne se loue pas, ça ne se vend pas. Le corps n'est pas une chose. Dans le Code civil, vous avez deux catégories, vous avez les choses et les personnes, le corps appartient à la personne et donc vous ne pouvez pas louer. Je n'ai pas le droit de vous vendre mon sang.

La droite qui s'était opposée, par exemple à la PMA ou avant au mariage pour tous, n'avait probablement pas eu de véritable réflexion sur ce qui est acceptable ou pas. A force de prétendre que tout est inacceptable, on finit par tout perdre. Et le plus grave, c’est qu’en s’opposant systématiquement, y compris sur des sujets sociétaux mineurs, vous préparez le terrain pour des défaites sur des terrains bien plus importants comme la GPA ou l’euthanasie.

JSF : Avec la chute du mur de Berlin, le communisme s’est effondré comme système de croyances en même temps que se sont effondrées les démocraties populaires et leurs modèles socialistes. En 2008, le capitalisme financiarisé mondialisé s'est effondré, en tout cas dans la confiance que les gens, y compris de droite, pouvaient avoir en lui. Et tout est resté comme avant. En tant que libéral, que peut-on dire dans cet environnement de confusion idéologique à des gens de droite ?

PJ : Le projet de prospérité peut s’inclure dans une vision d'Europe puissance. Nous sommes un continent qui a une histoire et une civilisation, qui a des frontières. Moi, je crois à la suprématie de notre modèle de civilisation. Je pense que nous avons une civilisation qui est meilleure que les autres. Il faut que nous soyons capables d'aller jusqu'au bout de cette croyance. Dès lors que vous en êtes persuadé, vous défendez ce modèle contre les coups de boutoir identitaires, mais aussi sur le plan commercial, éventuellement au plan militaire.

JSF : Vous parlez de supériorité, c’est un mot très fort. Comment vous qualifieriez cette supériorité du modèle de civilisation européenne ?

PJ : Je pense qu'on a tout inventé. La philosophie, l'histoire, on a même inventé un Dieu qui nous donne en même temps le libre arbitre, c'est à dire la capacité de nier sa propre existence. La civilisation européenne est évidemment en interaction avec ses racines : la Grèce, Rome, la chrétienté, les Lumières. La civilisation européenne est une civilisation chrétienne qui a inventé le libre arbitre. Nous sommes les seuls à avoir inventé ça. La conséquence, c'est que derrière, ça donne la laïcité, l'athéisme, le marxisme,…

"Le wokisme ou le sépartisme musulman ne sont forts que parce que nous sommes faibles"

JSF : Et le wokisme ?

PJ : Malheureusement oui. L’Europe est arrivée à la négation d'elle-même, la négation de sa propre existence. Ca n’est pas la première fois que ça lui arrive. La tentation de tout casser s’est déjà présentée dans notre histoire. Cela aurait pu être le grand schisme, Luther qui placardait ses 95 thèses sur les églises, mais il n’a pas gagné. Ça aurait pu être le communisme. Il n'a pas gagné non plus. Ça pourrait être le wokisme et j'espère qu'il ne gagnera pas.

Pourquoi l’Europe a-t-elle finalement résisté à toutes ces pulsions d’auto-destruction ? Parce qu’à chacun de ces moment, les gens qui vivaient à ces époques ont compris le danger de se laisser aller à ces conséquences ultimes du libre arbitre et se sont dit que le modèle initial est meilleur parce qu'il est supérieur, Si nous sommes persuadés que notre modèle de civilisation est supérieur, ce que je crois, le wokisme disparaîtra lui aussi.

Donc oui, le wokisme n’est fort que parce que nous sommes faibles. Il en va de même pour les séparatistes musulmans. Je pense que la droite, la gauche aussi, ont trahi. La droite aurait certes pu s’y opposer car c’était peut-être plus dans son ADN, mais la gauche aussi. Michelet n'était pas un homme de droite et il a théorisé l'histoire de France. Renan n'était pas un homme de droite et il a théorisé la nation. Donc il y a des hommes de gauche qui ont cru à cette importance du lien. La gauche a aussi participé au roman national.

Pourquoi la droite a-t-elle abandonné ça ? Je pense que c'est un mélange de raisons. D’abord il y a un certain nombre de gens qui ne savent pas pourquoi ils sont à droite. Il y a aussi une une baisse générale du niveau. Quand vous n’apprenez plus rien, arrive un moment où vous êtes de droite pour de mauvaises raisons. Vous êtes de droite puisque vous voulez renvoyer les immigrés chez eux. Cela, c’est la mauvaise droite. La vraie droite est celle qui croit en la raison.

JSF : La raison impose de vouloir garder tous les immigrés....?

PJ : Non, la raison impose d'avoir une idée de la supériorité de notre modèle de civilisation. Julien Benda dans La trahison des clercs disait que la différence entre la droite et la gauche était que la gauche était une gauche de l'hypersensibilité et que la droite, incarnait la raison. Je pense que c'est pour ça que je suis de droite. Je crois à la raison.

JSF : Laprétention à détenir le monopole de la raison a produit beaucoup d'effets négatifs dans l’histoire...

PJ :C'est pour ça qu'il faut être habité par le doute raisonnable, l'intelligence. Et pourquoi la droite a-t-elle abandonné ce terrain ? Parce que je pense qu’elle n'en a pas saisi toute l’importance. Probablement a-t-elle cédé à des sirènes. La jonction entre le capitalisme, la nécessité du libre-échange totalement débridé, a conduit à ce qu'on en oublie les raisons pour lesquelles on pouvait penser que notre modèle était meilleur. Les gens ont oublié pourquoi ils étaient de droite.

"Une partie des problèmes de l’Europe est liée au manque de sérieux des Français."

JSF : Vous parliez de la puissance de la civilisation européenne. Si on regarde le contexte macroéconomique n’avons-nous pas un problème avec, non pas l’existence de l’euro, mais la manière dont nous l'avons gérée depuis son entrée en vigueur depuis 18 ans ? Est-ce que la France n'est pas un peu asphyxié par le fait qu'elle se soit laissé dicter une politique monétaire inadaptée à ses besoins à elle, notamment par les pays du nord de l'Europe et l'Allemagne ?

PJ : D'abord, il faut être honnête et ne pas mettre les maux dont nous souffrons sur le dos de l'Europe, alors que les maux dont nous souffrons sont essentiellement liés à nous-mêmes. Avec les mêmes règles, l'Allemagne fonctionne bien, idem pour le Danemark. Je défends toujours l'Union européenne, pas parce qu'elle est parfaite, mais parce que je trouve que nous avons cette propension française à nous débarrasser de notre propre responsabilité sur le dos des autres.

Je défends le marché unique, il fonctionne. Donc, on a bien défendu le consommateur européen. Le problème, c'est qu'on n'a pas défendu le citoyen, on ne l’a pas construit. Pour mille raisons qui sont liées probablement aux objectifs, au fait que les autres pays ne le voyaient pas comme ça, etc. Les pays du Nord sont des pays marchands : la Hollande, le Danemark, la Finlande sont des pays qui n'ont jamais été puissants en eux-mêmes, qui n'ont jamais existé que grâce au commerce. Ils ont eu un poids. Il est d'ailleurs très étonnant de voir que la Suède, dans le processus de la fabrique de la loi européenne, est très puissante, alors que c'est un tout petit pays.

Une partie des problèmes de l’Europe est liée au manque de sérieux des Français. Nous avons éclairé le monde plusieurs fois de notre histoire et nous pensons qu’il est naturel que ça continue. Mais ça n’est possible que si on continue à vouloir tenir le manche ! Or, nous l’avons lâché. Ceci dit, je pense que ce n’est qu’une question de rapport de force à l'intérieur de l’Union. Depuis 1995, et Delors, il n’y a pas eu un président français de la commission, du Conseil, de la diplomatie, etc.

JSF : N'est-ce pas un biais français de se battre pour avoir des Delors, des commissaires plutôt que des directeurs de cabinet ou de conseillers qui écrivent des règlements ou des directives ?

PJ : Nous n’avons ni l’un ni l'autre. Un député européen allemand fait 3,5 mandats au Parlement européen. C'est l'Institut Schumann qui l’a montré. Un député européen français fait 1,3 mandat. Nous ne sommes pas sérieux et on attend que la France parle et ce n’est pas le cas. Notre puissance, il faut la prouver tous les jours. Par exemple, j'ai demandé que le président de la République française s'installe à Bruxelles pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qu’il occupe son siège.

JSF : Vous voulez qu’Emmanuel Macron fasse campagne depuis l'étranger ?

PJ : Qu'il fasse campagne c’est son problème. Il aurait pu ne pas être président de l'Union puisque certains de nos partenaires proposaient de décaler la présidence française. Je pense que nous ne savons pas utiliser les outils de puissance. On n'a pas imposé des gens dans les bons postes et les partis politiques eux-mêmes ne jouent pas le jeu puisqu'ils envoient des gens qui ne restent pas longtemps.

JSF : Quand vous en parlez chez Les Républicains, on vous répond quoi ?

PJ : On me dit « c’est intéressant, tu as raison… » 

Quand j'étais le rapporteur du Parlement européen sur une directive sur les concessions de services marchés publics. J'ai reçu huit fois en un an les visites administratives de la chancellerie allemande. Les Français sont venus voir une fois, une fois, et m’ont envoyé une équipe qui ne parlait pas anglais. Nous ne sommes ni sérieux, ni vertueux. On prend des engagements qu'on ne remplit jamais. Donc, il y a une stratégie d’influence française à bâtir. Je veux par exemple que les quinze premiers de l'Ecole nationale d'administration sortent et aillent à Bruxelles pendant deux ans, qu’on envoie les meilleurs.

JSF : Mais l’ENA n’existera plus au 1er janvier 2022…

PJ : Moi, je rétablis l’ENA. Il faut une école nationale d’administration, c’est une aberration sinon. Que les énarques ne doivent pas faire de la politique gratos et prennent le pouvoir des politiques, c'est une chose. Mais il faut des haut-fonctionnaires.

JSF : Quels sont, de votre point de vue, les plus graves des dysfonctionnements dans la gestion de la crise Covid et comment les expliquer ?

PJ :Je pense que la réponse est dans réponse du maire d'un district de Séoul à qui on demandait : « mais pourquoi ça marche chez vous et pas chez nous ? » Il nous répondait, ce qui marche chez nous, c'est la confiance en la parole publique. Je crois que c'est la clé de tout. Si le gouverné n'a pas confiance dans le gouvernant ça ne peut pas fonctionner. Il faut que la parole publique soit plus sage, moins communicante, plus appuyée sur les chiffres. Qu'elle sache s'excuser. Mark Rutte, Premier ministre néerlandais, au mois de juillet, a convoqué une conférence de presse avec pour ordre du jour présenter des excuses. C'est quelque chose qu'il faut apprendre à faire en France. D'ailleurs, d'une certaine manière, Edouard Philippe est devenu brutalement populaire le jour où il a dit : « Je ne sais pas répondre à une question ». La parole publique descendante rend la gestion de la crise impossible. L'Allemagne a mieux répondu à la crise avec un débat démocratique vigoureux. Nous, on n'a pas de débat démocratique, sur rien.

JSF : Comment expliquer que l’opposition ait aussi peu fait pour contrôler l’action gouvernementale, notamment sur la question des libertés ?

PJ :Le système entier a laissé faire le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel, ils ont avalisé des trucs incroyables. Nicolas Baverez explique en août 2020 dans la revue Commentaire que les pays où les libertés individuelles ont été les plus respectées sont les pays qui ont le mieux résisté à l’épidémie. Je partage cette thèse. L'Allemagne a toujours eu un débat démocratique très vigoureux sur la question de la lutte contre l'épidémie et ils s'en sont sortis mieux que nous. Nous avons toujours cette croyance que l’Etat sait tout et nous avons le culte du chef. Je crois que le culte du chef, c'est la négation de la démocratie. Je viens d'une famille gaulliste pour laquelle la Cinquième République et le mode de scrutin uninominal à deux tours sont l'alpha et l'oméga de la démocratie mais j'ai découvert la vertu d'un Parlement fort au parlement européen, parce que c'est un Parlement où il n'y avait pas de majorité. J'ai découvert la vertu politique de cela.

JSF : On peut avoir un Parlement fort ou des parlementaires forts, même avec une majorité, non ?

PJ :Le fait d'avoir une majorité absolue vous empêche d’avoir un parlement fort. Depuis 1958, avons-nous l'exemple d'une seule loi qui a été votée contre l'avis du gouvernement ? Moi, je n’en connais pas. Au Parlement européen, c'est quotidien. Donc, je crois à la vertu des parlements qui, n'ayant pas de majorité écrasante deviennent très forts. C’est contre-intuitif, je sais.

"Même si c’est contre-intuitif, je crois à la vertu des parlements qui, n'ayant pas de majorité écrasante deviennent très forts"

JSF : Êtes-vous un gaulliste souhaitant sortir des institutions de la Cinquième République ?

PJ :Je suis un gaulliste et j'ai même été président de l'Union des jeunes gaullistes, mais je fais mienne la citation de Jean-François Revel quand il parlait de la Cinquième République, où l'absolutisme inefficace. On est arrivé à un système où tout se décide à partir d'un seul homme et par définition, rien ne peut plus être décidé de manière efficace. On l'a vu durant la crise.

JSF : Craignez-vous que cette atteinte aux libertés au nom de l’efficacité puisse être transposée à d’autres questions, comme le réchauffement climatique, sans se poser la question de la proportionnalité entre la restriction de liberté et l’efficacité réellement attendue ?

PJ : Exactement, c’est un sujet d’inquiétude majeur. On a appris récemment que le président de la République voulait relancer le nucléaire. Est ce qu'on a eu un débat sur le sujet ? Où est le débat démocratique ? La question du nucléaire, c'est un vrai débat démocratique. Je suis favorable au nucléaire, mais imaginez que le président ait dit totalement le contraire, c’est son droit mais alors, on aurait décidé le contraire sans débat ? On a une vision de la démocratie qui est folle. Il suffit que le président de la République prenne la parole et déclare qu'il va mettre 2 milliards d'euros pour l'emploi des gens. Mais au nom de quoi il décide cela seul ?

JSF : Le décide-t-il d'ailleurs vraiment ? Qui gouverne en France, le président ou la technostructure ?

PJ : Il y a toujours une technostructure dans le système. Ce qui est intéressant, c'est que la technostructure est d'autant plus tenue qu’elle n'a pas uniquement face à elle le président. Encore une fois, à Bruxelles et Strasbourg, tous les jours, le Parlement réécrit le texte de la Commission, au grand dam de la technostructure européenne. La Commission subit le Parlement. En France, le Parlement ne fait pas la loi, il la subit. Le parlement ne sert à rien en France. Il sert à la hauteur de ce que le gouvernement accepte de le laisser faire.

JSF : Vous êtes le seul à ne pas souhaiter réduire le nombre de fonctionnaires en France mais vous souhaitez une réallocation des emplois au sein de la fonction publique. Quel est votre plan pour le faire réellement sans provoquer une crise sociale ?

"Il est possible de réformer la fonction publique sans provoquer de crise sociale majeure si on mise sur la décentralisation et sur l’autonomie des agents"

PJ : Le plan est multifactoriel. D'abord, il repose sur la décentralisation. Quand vous décentralisez les pouvoirs, la réallocation se fait beaucoup plus naturellement et intelligemment. Le maire, le président du conseil général départemental et régional, sont au contact. De plus, ils n'ont pas le droit de voter du budget en déficit. Cela oblige à une efficacité.

Ensuite, je pense qu'il y a un deuxième élément qui va permettre de redonner à la fonction publique de l'efficacité. C'est donner de l'autonomie aux agents publics. Donner de la liberté, ça marche mieux et c’est moins cher. C’est ce que David Cameron a fait avec l'éducation dans son projet de Big Society. Il a dit aux professeurs et aux parents d'élèves qui souhaitaient ouvrir des écoles publiques qu’ils pouvaient les ouvrir. Il faut respecter le programme et puis des principes. Chez nous, ce serait par exemple bien sûr le principe de la laïcité. Et le gouvernement donne des financements. C'est une école publique, mais elle est autonome. Liberté pédagogique totale. Dix ans plus tard, il y a plus de 500 ou 600 établissements qui ont été créés, avec une augmentation du niveau général partout, y compris dans les écoles traditionnelles. Et 85% des établissements sont ouverts dans les zones défavorisées, parce que c'est là où les gens cherchent à s'en sortir.

En France, prenons l’exemple de l’hôpital de Valenciennes. Ils ont donné l'autonomie totale aux médecins qui s'organisent dans leurs services. En dix ans l'hôpital est devenu excédentaire, il embauche et la qualité des soins est remarquable. Donner de l'autonomie aux agents publics, ça va bouleverser les choses.

Les gens ne mesurent pas à quel point le système hospitalier est en train de s’effondrer. J’ai 15 lits d'hospitalisation dans mon service. Ce matin, j’avais 15 personnes plus 22 sur des brancards Pourquoi ? Parce que dans l'hôpital, il n'y a pas de lits disponibles pour les faire monter. J'étais à Châteauroux, la semaine dernière, Ils n’ont plus que quatre pédiatres pour tout le département, dont deux qui ont plus de 60 ans. Je ne sais pas comment on soigne et comment on va soigner demain. Actuellement, d'après la CNSA, il y a 1,5 million de Français qui sont des personnes âgées dépendantes. Selon l’INSEE, selon une autre catégorisation de la dépendance, ils seront 4,5 millions en 2050. Si vous n'avez pas de médecin pour aller les voir à leur domicile, ces gens iront des établissements qu'on n'a pas. On ne se rend pas compte d'une vague de gens qu'on ne peut plus soigner, ou avec retard. Un mois de retard sur un cancer, ce sont des métastases en plus.

JSF : En combien de temps est-il possiblederattraper les choses si tant est qu'il soit possible de le faire à court ou moyen terme ?

PJ : Je pense qu'il faut changer de système. Il faut évidemment former beaucoup de médecins tout de suite. Je crois qu’il faut doubler le nombre de médecins en deuxième année de médecine. Ils seront prêts d'ici dix ans. En attendant, il faut probablement former des infirmières qui existent déjà. Elles ont déjà un cursus de trois ans. En un an de plus, vous leur donnez une formation sur des pathologies particulières : le diabète, l'hypertension artérielle, etc. Il faut être disruptif et penser différemment, sinon on ne va pas y arriver.

"Si la droite continue à ne parler que de l'immigration et de l’insécurité, elle va perdre l'élection présidentielle. C’est une certitude."

JSF : On a beaucoup parlé de sécurité et d'immigration dans les premiers débats LR. Quels sont, au contraire, les sujets qui vous manquent ?

PJ : D’abordla question de la question de la santé. Il faut la voir différemment. C’est One Health, dit l'Organisation mondiale de la santé. Car c'est la médecine de ville, l'hôpital, les Ehpad, mais c'est aussi l'alimentation que vous mangez, l'air que vous respirez, la santé animale, la santé environnementale. Tout ça, c'est de la santé aussi.Un papier qui est sorti il y a deux semaines dans le journal of Psychiatry montre que la concentration de particules fines dans l'atmosphère est corrélée aux syndromes autistiques avant 8 ans et aux syndromes démentiels après 50 ans. Donc, on a des effets majeurs.

Ensuite, j’aimerais parler du logement, de l’agriculture. Je pense que c'est un sujet majeur. Nous étions une des grandes nations agricoles et on importe de plus en plus. La vision purement développement durable de la Commission européenne (Farm to fork) conduirait, en 20 ans, à avoir une diminution de 15 à 25 % de la production agricole européenne, c'est à dire un suicide.

La question de la décentralisation et l'idée du pouvoir aux maires en particulier. Je pense que les maires doivent redevenir les maîtres de l'aménagement de leurs communes. L'école et la recherche évidemment. Tout ces sujets sont aussi importants que l'immigration et la sécurité. Dans votre vie quotidienne, le problème est-il plus souvent le pseudo imam ou les femmes voilées ou bien le logement qui est tout petit, le pouvoir d'achat qui se dégrade et l’incapacité à voir un médecin généraliste ? J'aimerais moi pouvoir proposer une offre globale. Je pense que si on continue à ne parler que de l'immigration et de l’insécurité, nous allons perdre l'élection présidentielle. C’est une certitude.

JSF : Si les LR reviennent au pouvoir, sera-t-il envisageable pour vous de travailler avec des gens issus des rangs de la droite et qui sont partis chez Emmanuel Macron ?

PJ : Quand vous regardez une élection après l’avoir perdue, par définition, vous travaillez avec des gens qui vous avaient quitté à un moment. Donc oui évidemment. D’abord, je crois la rédemption. Et je pense qu'il faut s'entourer des intelligences qui partagent le même diagnostic que vous à savoir : si on n'est pas capable de promouvoir notre propre modèle de prospérité, il nous sera imposé par l'extérieur.

JSF : Vous êtes dans la position du challenger, donc peut être celui qui peut prendre le plus de risque. Quel est la chose la plus risquée que vous puissiez proposer ?

Je n’ai pas à prendre de risque ou pas. Je suis au contraire dans la position de celui qui est très tranquille et qui vous dit que la politique, ce n'est pas de la magie et que je ne fais que des propositions qui sont raisonnables, qui sont argumentées. L'Ifrap a évalué les recettes et les dépenses de mon programme et je suis largement à l'équilibre. Donc je suis le candidat des solutions sérieuses.

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