Petits rappels historiques à l’attention de ceux qui accusent les religions d’être les pourvoyeurs exclusifs de violence et d’intolérance<!-- --> | Atlantico.fr
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Les religions créent-elles vraiment de la violence ?
Les religions créent-elles vraiment de la violence ?
©Reuters

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La religion a souvent bon dos quand il s'agit de trouver l'origine de la violence et de l'intolérance. Mais la tenir pour seule responsable ne nous permet pas de comprendre la complexité de phénomènes qui ne sont pas juste religieux, mais peut-être tout simplement humains.

David Engels

David Engels

David Engels est historien et professeur à l'Université Libre de Bruxelles. Il est notamment l'auteur du livre : Le déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine. Quelques analogies, Paris, éditions du Toucan, 2013.

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Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Quel lien y a-t-il entre religion et violence ? Les religions ne sont-elles pas toujours violentes ? Et n’ont-elles pas été à l’origine de de toutes les violences au siècle dernier ?

Bertrand Vergely : Arrêtons de grâce cet amalgame entre religion au singulier et religion au pluriel ainsi qu’entre religion et violence. Toutes les religions ne se ressemblent pas. Toutes les religions ne sont pas violentes. Et, dans une religion, tous les religieux ne sont pas violents. Comme le souligne Mircea Eliade, la religion désigne le lien que les hommes font avec une source transcendante de l’existence en vivant ce lien dans le plus profond recueillement à l’intérieur d’une tradition. De ce fait, l’homme religieux est un homme profond faisant religieusement les choses. Pour Mircea Eliade il est dans la nature de l’Homme d’être un animal religieux. Quand l’Homme rentre dans l’expérience religieuse il découvre différents niveaux de révélation de cette réalité transcendante qui correspondent aux différentes religions du monde. Il les découvre en étant un homme attentif, l’attention étant le propre de l’Homme religieux, ainsi que le dit Simone Weil mais aussi Krishnamurti. Par différence avec cela, il existe des phénomènes d’idolâtrie, qui sont des phénomènes passionnels d’adoration exclusive et violente. Ces phénomènes d’adoration sont perceptibles chez certains supporters d’équipes de foot, chez certains adorateurs de stars, chez certains militants politiques et dans certains mouvements religieux. Si donc l’on veut pouvoir comprendre quelque chose au phénomène religieux et à son rapport à la violence, il importe de distinguer la religion proprement dite et d’autre part l’idolâtrie. Toutes les religions ont connu des phénomènes d’idolâtrie au même titre qu’il en existe dans le foot ou dans le rock. Reste que ces phénomènes prennent une grande ampleur avec la religion, le religieux étant lié à la culture et à l’identité d’un groupe. Attaquez un groupe qui a une propension à s’idolâtrer, vous allez le précipiter dans la violence en touchant à sa culture et à son identité. Au XXème siècle, le fascisme et le communisme, qui ont développé des systèmes totalitaires, ont été non pas des religions mais des idolâtries de l’État  s’imaginant pouvoir créer un Homme nouveau à partir d’une race (le nazisme) ou d’une classe sociale (le communisme).  La violence aujourd’hui de l’islamisme renvoie à l’idolâtrie de l’Islam par certains groupes à la fois manipulés par des États ou des leaders religieux mais aussi manipulateurs, la religion étant un prétexte pour assouvir une soif de haine et de
violence.

David Engels : La religion, c’est essentiellement ce que l’homme en fait en fonction du stade de civilisation qu’il traverse. Si l’on regarde bien les préceptes moraux de toutes les grandes religions, paganisme, bouddhisme, dualisme et monothéisme, on constatera partout un consensus non-négligeable : tout le monde est d’accord sur l’impératif kantien. Ce qui diverge, c’est l’enrobage culturel – un point essentiel pour le scientifique ou le théologien, mais un détail du point de vue de la vie pratique. Certes, je ne nierais pas l’impact des querelles plus proprement théologiques, comme, par exemple, des affrontements souvent violents entre sunnites ou chiites, ou entre catholiques et protestants. Néanmoins, ces aspects plutôt agressifs, auxquels on pourrait ajouter le djihad et les croisades, la mihna et l’inquisition, sont survenus à des moments particuliers de l’histoire et sont plutôt les symptômes des crises sociales, politiques et intellectuelles du moment, que les conséquences logiques d’une dynamique purement religieuse. Autrement dit : "le" christianisme, "le" bouddhisme ou " l’" islam n’existent simplement pas en tant qu’entités historiques sérieuses, mais par contre, on peut dénombrer une multitude d’interprétations historiques différentes (et souvent divergentes, voire contradictoires) d’un même support scriptural ou institutionnel religieux. Ce ne sont pas les religions qui guident les civilisations, mais plutôt les dynamiques civilisationnelles qui façonnent les rôles pris par les religions. Ceci dit, que pouvons-nous en tirer pour le XXe siècle ? Et bien, le déclin ostensible des confessions traditionnelles en Europe, en analogie avec le déclin du paganisme traditionnel du monde méditerranéen tardo-républicain et hellénistique, est le symptôme d’un stade tardif connu par toutes les grandes civilisations : depuis les grandes révolutions, le christianisme a cessé d’être en symbiose avec la société et a été relégué au rang de « parti », de conviction « personnelle », tentant tant bien que mal de survivre. Certes, l’on peut reprocher à des segments du catholicisme d’avoir pactisé avec le fascisme italien ou espagnol, du protestantisme de s’être allié au national-socialisme ou de l’orthodoxie d’avoir joué le jeu de Staline. Mais alors, les générations futures reprocheront probablement aussi au christianisme de s’être merveilleusement accommodé au matérialisme capitaliste et d’avoir fait la sourde oreille à tout appel au retour, non seulement à la simplicité, mais aussi à la rigueur morale et à l’identité forte et inflexible du christianisme traditionnel...

Quel rôle jouent les idéologies et les dogmes ?

Bertrand Vergely : Le dogme étant l’affirmation de principes fondamentaux dans lesquels se reconnaît une religion, un groupe politique ou un groupe social et culturel, ceux-ci ne sont nullement condamnables. Tout groupe humain qui s’engage dans quelque chose a des articles de foi fondateurs. Même chose, pour l’idéologie. Une idéologie étant un système de croyances développant une certaine vision du monde, toute société, tout groupe humain, tout individu a une idéologie.  Le problème des dogmes et des idéologies surgit quand ceux-ci tiennent lieu de pensée et sont mis en avant pour se dispenser d’un travail intellectuel. On a alors affaire à des attitudes dogmatiques et idéologiques au sens péjoratif. L’idolâtrie a le don de faire déraper les croyances et les visions du monde en développant des croyances bornées et des visions bornées également dépourvues de toute élaboration intellectuelle. La bêtise est le fond de tous les dogmatismes et de toutes les attitudes idéologiques. Les idoles et leurs sectateurs sont toujours très bêtes.

David Engels : Ce qui a motivé les tragédies du XXe siècle, c’étaient justement les mouvements basés sur le vide métaphysique laissé par la disparition de l’omniprésence sociale et l’omnipuissance intellectuelle d’un christianisme millénaire : le nationalisme, le capitalisme ou le communisme. Tout le monde sait comment les totalitarismes ont modelé leurs institutions, rites, symboles et mêmes déclarations de foi sur le modèle du christianisme, animant les formes archétypales fondamentales du ressenti humain d’un nouveau contenu à la fois criminel et séduisant. Auschwitz et les Goulags auraient-ils été possibles dans un monde encore ancré dans un christianisme traditionnel ? Je ne crois pas. Mais bien évidemment, on peut se poser la question de savoir si les découvertes relativistes fondamentales d’un Einstein ou d’un Spengler auraient également été possibles dans un tel monde... L’ignorance est peut-être, parfois, le prix à payer pour le bonheur... Toujours est-il que l’élément irrationnel, contenu et sublimé par les institutions religieuses, mais jamais totalement contrôlé, restera probablement à tout jamais présent dans l’âme des humains. Car en dépit de toute notre volonté de nous assimiler autant que possible à des machines pensantes et de soumettre notre vie intellectuelle et affective à un contrôle rationaliste sévère, nous restons des êtres défaillants et émotifs, ce qui est d’ailleurs loin d’être notre faiblesse, mais plutôt notre force. Dès lors, même dans notre Occident en apparence si rationnel, individualisé et commercialisé, l’humain sera toujours sujet à des émotions fortes d’enthousiasme ou d’agression par rapport aux archétypes qui dominent notre inconscient. Et il ne s’agira que d’une question de temps avant que la crise généralisée qui touche de plus en plus notre continent trouve à nouveau son expression dans des convictions religieuses ou pseudo-religieuses fortes. Je pense ici évidemment non seulement à la radicalisation politique dite "populiste," mais aussi à l’influence des fondamentalismes qui, même dans leur variante musulmane, ne sont rien d’autre que des attitudes de rejet par rapport au vide métaphysique et moral laissé par notre société de consommation et donc, d’un certain point de vue, des simples "dérivés" des dérives de notre civilisation occidentale...

N’y a-t-il pas une propension dans la nature humaine à se fabriquer des raisons pour justifier violence et intolérance ?

Bertrand Vergely : Que l’être humain soit faible et qu’il soit de ce fait lâche, veule, salaud, menteur, pervers, manipulateur est malheureusement une évidence. Oui, l’être humain est faible et tous les salauds et toutes les brutes sont des faibles. Maintenant, ce qui est intéressant et surtout utile, c’est de comprendre comment et pourquoi un faible devient un salaud. Tout basculement dans la violence transformant un faible en salaud a une histoire. Il nous appartient de la trouver et de la nommer.

Pourquoi fait-on une erreur quand on accuse les religions de violence comme on le fait ?

Bertrand Vergely : Parce que c’est ainsi que l’on  ne réfléchit pas. À propos des attentats qui viennent de se dérouler, faites une confusion entre violence et religion puis entre toutes les religions et accusez au final toutes les religions. Vous êtes sûr de ne jamais rien comprendre à ce qui s’est passé et d’empêcher qu’on le comprenne jamais. Quand on veut comprendre quelque chose il faut écouter et regarder avant de parler. Et là, les réponses commencent à jaillir.

Ceux qui confondent religion et violence ne sont-ils pas intolérants ?

Bertrand Vergely : Ils sont surtout bêtes et incultes en faisant des amalgames comme les fanatiques qu’ils critiquent. René Girard l’a dit à maintes reprises. Attention au mimétisme ! La violence est mimétique. Témoin ce qui se passe. Quand on critique le fanatique religieux il n’est pas rare que l’on se mette à devenir fanatiquement anti-fanatique.

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