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Petit coup de projecteur sur le classement très discret des vrais salaires des hauts-fonctionnaires
©Reuters

Dépenses très privées

1.000 hauts fonctionnaires en France gagnent officiellement plus de 10.000 euros par mois. C’est ce qui ressort de notre analyse attentive du Projet de Loi de Finances pour 2020.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Les 10.000 premiers salaires de la haute fonction publique sont supérieurs à 6.500 euros bruts mensuels. Encore ces chiffres s’appuient-ils sur les données moyennes fournies par Bercy. La réalité est sans doute encore plus édifiante. Rappelons que 0,1% des salariés du privé dépassent les 10.000 euros mensuels, soit moins de 20.000 personnes en France. Et ils ne bénéficient pas de l’emploi à vie.

Ce tableau décompose la rémunération des hauts fonctionnaires selon leur ministère de rattachement et selon le programme auquel ils participent. Depuis la mise en place de la loi organique sur les lois de finances (LOLF), au début des années 2000, le budget de l’Etat est en effet structuré en « programmes » qui permettent de suivre (en principe) l’activité réelle des services.

Les colonnes chiffrées du milieu donnent le « coût annuel » chargé moyen des hauts fonctionnaires de chacun de ces ministères, puis leur traduction en brut mensuel, auquel il faut enlever les cotisations salariales. Le nombre des fonctionnaires concernés par ces volumes est indiqué dans la quatrième colonne.

Le salaire des hauts fonctionnaires, un secret bien gardé!

Ces chiffres résultent d’une compilation des données contenues dans les jaunes budgétaires. De là à soutenir que la loi de finances permet une transparence satisfaisante sur le salaire des hauts fonctionnaires, il y a un pas que personne ne franchira.

En effet, la technostructure a mis en place de nombreux stratagèmes pour brouiller les pistes.

Il y a par exemple cette distinction qui émaille les jaunes budgétaires entre « coût global annuel » et « rémunération d’activité », qui sème le doute sur les sommes effectivement perçues par les hauts fonctionnaires. Par convention, nous avons retenu ici le coût global, que nous avons divisé par douze et minoré de 15,5% de cotisations patronales. La méthode vaut ce qu’elle vaut.

Un autre stratagème consiste à ne pas isoler clairement la rémunération des hauts fonctionnaires, et à la fondre dans la masse des catégories A aux salaires nettement plus faibles. Cette façon de cacher la vérité pose de véritable problème. Elle est utilisée par de nombreux ministères, dont celui de la Défense, qui n’isole ni le salaire des officiers généraux ni celui des administrateurs civils, mais aussi la Culture ou pire, le quai d’Orsay.

Dans le cas des Affaires Etrangères, le budget fait masse du salaire de tous les fonctionnaires et distinguent seulement la rémunération du réseau et celle du siège du ministère. C’est évidemment un artifice qui conduit à minorer les rémunérations réelles, beaucoup plus élevées que ce qui apparait sur notre tableau.

Un secret qui pose un problème de contrôle démocratique

La question n’est pas de savoir ici si les hauts fonctionnaires sont trop ou trop peu payés. La question porte plutôt sur la qualité du contrôle démocratique entourant cette rémunération. Qui aujourd’hui maîtrise la rémunération attribuée aux hauts fonctionnaires, qui bénéficient par ailleurs de la garantie de l’emploi et d’une impunité en cas d’échec?

Il est évident que le Parlement ne s’intéresse guère à ce sujet et n’entreprend pas de contrôler sérieusement les rémunérations de ceux qui tiennent la technostructure. Il est tout aussi évident que le jeu de piste mis en place pour dissimuler le véritable montant des rémunérations doit tout autant perdre les ministres qu’il ne perd les parlementaires.

En réalité, la rémunération des hauts fonctionnaires est le produit d’un entre-soi dont les hauts fonctionnaires eux-mêmes sont les seuls juges. Les volumes versés, les critères d’attribution n’appartiennent qu’aux fonctionnaires. La démocratie est ici exclue de tous ses pouvoirs, et seul règne ce fameux gouvernement profond dont Emmanuel Macron parlait… à notre suite.

L’absurdité des rémunérations des hauts fonctionnaires

Cette absence de contrôle démocratique se traduit par de véritables absurdités politiques, preuves de la déconnexion entre l’aristocratie administrative au pouvoir et la volonté politique et populaire.

Ainsi, les hauts fonctionnaires les mieux payés aujourd’hui sont ceux des Douanes? On aurait pourtant pu penser qu’avec la mise en place des accords de libre-échange, avec le marché unique, le rôle de la Douane justifierait une décroissance des salaires. Eh bien non! la rémunération moyenne des Douanes est supérieure d’environ 30% à celle de la Cour des Comptes.

Pourquoi favoriser une direction dont l’utilité est contestable, au détriment de corps qui paraissent directement plus utiles aujourd’hui à la conduite des affaires de l’Etat? Seuls les fonctionnaires sont juges de cette situation, et aucune autorité ne semble vouloir adapter la politique de rémunération des hauts fonctionnaires aux politiques publiques du pays.

On verra sur ce point l’illustration des dérives auxquelles le désordre actuel de l’Etat conduit.

Pour un contrôle parlementaire des rémunérations dans la haute fonction publique

Tout ceci plaide évidemment pour qu’une clarification sans concession intervienne par le biais d’un contrôle parlementaire réel. Après tout, dans toutes les grandes entreprises privées cotées sur les marchés réglementés, la rémunération des dirigeants est soumise aux actionnaires. Rien ne justifie qu’une démarche analogue n’intervienne pas dans le service public.

Cette étape d’un contrôle démocratique est d’autant plus importante que la corrélation entre rémunération des dirigeants et performance collective est une tarte à la crème du management « éthique ». Sur ce point, tous les ministres de l’économie ont dénoncé les abus du secteur privé, mais aucun d’eux ne s’est soucié de les combattre dans leur département ministériel.

On ajoutera que, sans aller jusqu’à la fin du statut pour les directeurs d’administration centrale, qui serait la clé de voûte d’une véritable réforme de la fonction publique, Emmanuel Macron avait annoncé qu’il évaluerait personnellement les 400 détenteurs de potes clé dans l’administration. Cette promesse est restée lettre morte. Elle était pourtant de salubrité publique.

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