Pragmatisme sans frontière
Parler une langue étrangère rend plus immoral mais plus rationnel
Une étude publié en juin 2015 montre qu'il existe un lien entre les décisions difficiles que l'on prend et la langue dans laquelle nous communiquons. Parler une langue étrangère aurait donc un impact plus important qu'on ne le pense.
Atlantico. Une étude publiée en juin 2015 suggère que lorsque l'on présente à des personnes des dilemmes moraux dans une langue étrangère, leurs décisions seraient moins affectées par l'émotion que dans leur langue maternelle. En clair, l'usage d'une langue étrangère aurait un impact sur les décisions que l'on prend, les rendant plus rationnelles et moins soumises à nos émotions. Comment ce processus fonctionne-t-il ?
Nous devenons donc plus calculateurs et plus rationnels quand nous communiquons dans une langue étrangère ? Sommes nous pour autant dénués de toute émotion ?
Non, bien entendu : ce que montrent ces études, c'est que les réactions émotionnelles sont atténuées par le filtre de la langue étrangère, mais pas qu'elles sont inexistantes, bien au contraire. De plus, les psychologues qui défendent l'idée selon laquelle la décision de sacrifier une personne pour en sauver cinq serait la plus rationnelle pensent tout de même que cette décision se fonde ultimement dans nos émotions (même si ce sont des émotions moins violentes). En effet, juger qu'il est au final moralement acceptable de sacrifier une personne pour en sauver cinq suppose que l'on attribue une valeur à la vie humaine, et ce jugement serait ultimement fondé dans nos émotions (comme l'empathie). Etre rationnel, ce n'est pas nécessairement être un psychopathe.
Pour autant, quelle est la langue qui nous rend le plus juste. Notre langue maternelle ou bien les langues étrangères que l'on pratique ?
C'est une question à laquelle la psychologie seule ne saurait répondre à elle seule, car elle suppose une prise de position philosophique. Est-il plus juste de refuser de sacrifier un innocent, qu'importent les conséquences ? Ou est-il plus juste de prendre en compte le bonheur de tous ? C'est une question sur laquelle s'écharpent chaque jour les philosophes déontologistes (pour lesquels la mort d'un innocent ne saurait être justifiée par les bonnes conséquences qui en découle) et les philosophes utilitaristes (pour lesquels l'action juste se juge à l'aune de ses conséquences). Les premiers recommanderont plutôt de se cantonner à sa langue maternelle, tandis que les seconds vont diront d'y penser à deux fois (et dans plusieurs
langues). Dans un autre domaine, ces études montrent aussi que penser dans une langue étrangère rend plus permissifs envers les crimes sans victimes de nature sexuelle, c'est-à-dire les actes sexuels jugés immoraux par certains alors même qu'ils ne font de mal à personne (comme l'inceste
entre adultes consentants). Là encore, ces résultats sont cohérents avec d'autres résultats dans la littérature et suggèrent que les personnes qui ont un penchant pour l'abstraction et le goût du raisonnement condamnent moins souvent ce type d'actions. Mais là encore, savoir s'il faut penser en langue étrangère dépend de votre position sur de telles questions.
L'emploi d'une langue étrangère est-elle l'unique moyen de créer une barrière de ce type diminuant la portée de nos émotions sur les décisions que l'on prend ?
Non. Certaines études montrent que prendre son temps avant de répondre, ou répondre après s'être entraîné sur des problèmes de raisonnement un peu "piégeux" produit le même type d'effets.
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