Paralysie de la décision : les référendums locaux ou le dernier symptôme en date de l’impuissance politique <!-- --> | Atlantico.fr
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Le référendum, signe de l'impuissance des politiques.
Le référendum, signe de l'impuissance des politiques.
©Reuters

Aveu de semi échec

Lors de l'ouverture de la 3ème conférence environnementale, François Hollande a déclaré que la "démocratie participative en matière d'environnement doit devenir la règle", prônant également la nécessité d'avoir recours au référendum local en cas de blocage. Une situation qui illustre un phénomène, celui de la difficulté grandissante pour les politiques à décider.

Geoffroy Lauvau

Geoffroy Lauvau

Geoffroy Lauvau est chercheur associé au CIPPA (Centre International de Philosophie Politique Appliquée) à  l'Université de Paris – Sorbonne. 

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Atlantico : Est-ce que l'inflation des processus décisionnels a pu avoir comme conséquence de bloquer la prise de décision en France ? La seule manière d'y remédier est-elle de recourir au référendum ?

Geoffroy Lauvau : Le rôle du politique est en effet perçu différemment selon qu’il délègue totalement la décision (référendum) ou qu’il s’appuie sur une consultation pour prendre la mesure de ce qui conditionne sa décision (quitte à argumenter contre un avis qui serait majoritaire, en essayant de justifier les raisons pour lesquelles il ne l’adopte pas).

Il est difficile de répondre de façon générale à cette question, tant cela dépend vraiment des types de décisions ou de contextes. Les hypothèses habituelles sont effectivement celles des pressions politiques, économiques et sociales. Une des difficultés qui marque particulièrement la France est la superposition des niveaux administratifs de la décision, ce qui d’ailleurs recoupe un des enjeux de la récente réforme territoriale. Néanmoins, si les décideurs sont parfois en contradiction, je ne pense pas qu’il faille véritablement incriminer des obstacles structurels : il est par exemple souvent possible de neutraliser en partie ces contradictions en ayant recours à des expertises indépendantes lorsqu’un problème se pose.

Le référendum n’est en revanche pas la seule méthode d’implication des acteurs sociaux dans le processus décisionnels : on pourrait très bien imaginer d’autres types de consultation ou de méthodes de délibération, passant par un dialogue social réunissant des acteurs sociaux représentatifs, comme les associations, les représentants de ONG, des représentants de la société civile, etc. L’avantage de ces autres méthodes est peut-être de déconnecter la décision elle-même des éléments qui contribuent à sa formation, et de ne pas donner le sentiment de se débarrasser de la décision, de ne pas l’assumer, ou encore de ne pas en être capable. 

Le fait de considérer que la démocratie participative serait une méthode adaptée à la question de l’environnement n’est pas vraiment surprenant, dans la mesure où les questions environnementales sont particulièrement sensibles politiquement, comme peut en attester le relatif succès des verts aux élections locales et comme le traduit une prise de conscience plus générale de la problématique environnementale dans les sociétés développées. En outre, si l’on considère qu’un des principes politique et éthique qui structure l’appréhension des questions écologiques est le principe de précaution (qui recommande notamment de faire en sorte d’agir en minimisant les risques pour l’environnement et les générations futures), il est assez naturel de considérer, dans des situations d’incertitude où l’expertise est parfois difficile, que la plus grande prudence exige de faire appel à une décision impliquant le maximum de parties prenantes. Enfin, et plus largement, lorsque la légitimité des décideurs traditionnels est mise en question, quelles qu’en soient les raisons (soupçons de collusion d’intérêts, manque de compétence, éloignement des préoccupations locales, discrédit de la parole technocratique, etc.), il est normal de supposer que la légitimation populaire est une bonne méthode.

Dans quelle mesure cet ensemble de parti-pris, initialement légitimes, peuvent-ils détourner d'une mesure réellement adaptée ?

Il est évident qu’ils pèsent et jouent un rôle important, comme nous pouvons le voir dans le cafouillage de Sivens, dont on sait que la critique de viabilité et de l’intérêt du projet ne date pas des évènements malheureux de cet automne. De ce point de vue, le recours systématique à une expertise indépendante semble devoir devenir sinon une obligation tout au moins une coutume.

En quoi cela pourrait-il limiter le rôle du politique à un rôle d'arbitrage ?

Il y a certes un effet d’opportunité dans les déclarations du Président, tant au regard de l’actualité de Sivens qu’en ce qui concerne son discrédit dans l’opinion, mais on ne peut pas non plus totalement lui ôter l’intelligence politique qu’il y a à promouvoir des méthodes décisionnelles plus en phase avec les attentes de la société. Néanmoins, si l’enjeu, notamment au regard de notre histoire, est d’éviter les défauts du bonapartisme, il m’aurait semblé plus opportun de prôner d’autres méthodes que le référendum, qui est souvent une fausse légitimation qui revient à tenter de retrouver par un biais détourné une légitimité directe perdue. Cela recoupe en partie ma première réponse, dans laquelle je distinguais implicitement démocratie participative et démocratie délibérative, la première pouvant être taxée d’une défausse de responsabilité dans la décision, alors que la seconde conserverait la responsabilité politique de la décision, mais au risque d’une impopularité si cette décision ne suit pas les préconisations de la délibération.

Dans les deux cas toutefois, je ne pense pas que le rôle du politique se réduise à un arbitrage, puisqu’il faut s’impliquer fortement pour instruire la délibération ou organiser la participation. Le fait de s’éloigner d’un modèle paternaliste n’implique pas la perte de toute autorité, mais plutôt sa reconfiguration.

En quoi ces référendums locaux pourraient-ils aller jusqu'à déplacer les fondements de la démocratie ?

Je crois à une reconfiguration de ses méthodes, comme je l’évoquais à l’instant. Délibérer ou participer implique de proposer, d’orchestrer, de comprendre, d’expliquer, de concilier et finalement d’arbitrer : il faut donc encore bien des programmes politiques, qui auraient peut-être d’ailleurs ceci de plus convaincant qu’ils devraient être moins dans la promesse idéale et intenable que dans la mise au jour des choix, dans leur rationalisation et, finalement, beaucoup moins dans la caricature d’une seule position présentée comme providentielle. 

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