Olivier Marleix : « À force d’avoir découragé le capitalisme entrepreneurial, la France a fait le lit d’un capitalisme trop exclusivement financier » <!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo du logo de la société italienne de lunettes Luxottica sur le toit de la société de son siège à Milan.
Une photo du logo de la société italienne de lunettes Luxottica sur le toit de la société de son siège à Milan.
©Alberto PIZZOLI / AFP

Stratégie industrielle

L’assemblée générale d’EssilorLuxottica, le 21 mai, a marqué le début d'une nouvelle ère pour le géant de l'optique qui passe sous pavillon italien. Trois ans après la fusion entre Luxottica, numéro un mondial des montures de lunettes, et le fabricant français de verres correcteurs Essilor, cette assemblée générale a mis fin au pacte d’égalité des pouvoirs entre les deux parties. Olivier Marleix, Député d’Eure-et-Loir, revient sur le cas d'EssilorLuxottica et sur la stratégie industrielle de la France.

Olivier Marleix

Olivier Marleix

Olivier Marleix est député (LR) d'Eure-et-Loir. Il a reçu, en 2020, un Prix éthique de l'association Anticor.

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Atlantico : Trois ans après la fusion entre Luxottica, numéro un mondial des montures de lunettes, et le fabricant français de verres correcteurs Essilor, l’assemblée générale du vendredi 21 mai a mis fin au pacte d’égalité des pouvoirs entre les deux parties. En effet, le président-fondateur de Luxottica Leonardo Del Vecchio a placé son homme de confiance, Francesco Milleri, au poste de directeur général. Est-ce là un énième fleuron français qui va nous échapper ?

Olivier Marleix : Essilor était incontestablement une formidable épopée entrepreneuriale Française, issue du mariage en 1972 entre une société coopérative de lunetiers, Essel et la société des frères Lissac, Silor qui fut l’inventeur du premier verre progressif. Une entreprise qui avait su se développer par une stratégie d’acquisitions qui lui avait permis d’acquérir une dimension mondiale avec 22 Mds € de chiffre d’affaires et près de 70 000 salariés. Le nouvel ensemble Essilor-Luxottica est aussi une très belle entreprise, mais elle est désormais davantage italienne que Française.

Ce n’est pas une surprise, les « mariages entre égaux » sont des fables racontées par les communicants pour apaiser les salariés et les opinions publiques, mais il y a toujours une entreprise qui a l’intention de prendre le contrôle de l’autre. Regardez ce que sont devenus les « mariages entre égaux » entre Lafarge et Holcim, Alstom et GE, Alcatel et Nokia ou Technip et FMC… 

Le pacte d’actionnaire sensé maintenir le statu quo n’avait été rédigé que pour trois ans. La farce a donc tourné court. Le vainqueur c’est logiquement l’actionnaire de référence, celui qui détient le plus gros du capital, en l’occurrence Léonardo Del Vecchio. Quand vous fusionnez une entreprise qui appartient majoritairement à une famille avec une entreprise dont le premier actionnaire sont les salariés à 8 % puis les marchés financiers, c’est évidemment le premier qui fait valoir sa loi. C’est normal, comment s’en étonner ?

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La conséquence de tout cela ce n’est pas la nationalité en soi, tout le monde aime les Italiens !, mais c’est la préférence nationale qui sera toujours celle d’un entrepreneur quand il faudra décider du lieu du siège ou des investissements futurs. Les entrepreneurs familiaux ont toujours un esprit plus patriote que les fonds d’investissement ! C’est ce qui inquiète les salariés quant à la présence en France à long terme d’EssilorLuxottica. Notre histoire économique leur donne malheureusement des raisons de s’interroger.

Alors que Luxottica est dirigé par Leonardo Del Vecchio, un entrepreneur historique et expérimenté qui détient 32% du capital d’EssilorLuxoticca, Essilor a à sa tête une équipe de managers que d’aucuns diraient interchangeables. Le défaut français n’est-il pas de vouloir faire du capitalisme sans capital ?

Olivier Marleix : Oui, c’est le problème n°1 de l’économie Française : à force d’avoir découragé le capitalisme entrepreneurial nous avons fait le lit d’un capitalisme trop exclusivement financier.

Or une entreprise c’est d’abord une aventure humaine, celle d’un entrepreneur. Cela a plusieurs conséquences négatives : d’abord, nos entreprises, faute d’un actionnariat familial stable, sont mal contrôlées d’un point de vue capitalistique, elles sont donc plus facilement OPEAbles, En second lieu, leur trop grande dépendance aux marchés financiers les amène à faire des choix de court terme, favorisant leur rentabilité immédiate aux dépends du long terme. C’est toute la différence entre l’économie française et nos voisins allemands ou italiens. Une entreprise familiale a toujours beaucoup plus de considération pour son écosystème, c’est-à-dire, ses salariés, ses fournisseurs, ses sous-traitants, faisant primer ses relations de long terme sur le résultat d’une année N. Ce sont tous les acteurs de la chaîne de valeur qui souffrent donc de l’approche trop exclusivement financière de ces grandes entreprises mal contrôlées.

Pensez-vous qu'il existe une volonté de sciemment se priver des instruments de la réindustrialisation française ?

Heureusement non, c’est une faiblesse structurelle de notre économie. Nos entreprises, parce qu’elles sont mal contrôlées sont des proies tentantes dans un monde où les liquidités ne manquent pas et où il est donc très facile de lever de l’argent pour s’offrir le contrôle d’une pépite.

Peut-on rester dans la course sur le plan industriel sans capitaine d'industrie pour porter le secteur et faire rayonner la France ? Quelle stratégie faudrait-il adopter selon vous ? 

Olivier Marleix : Il faut remédier à ce défaut structurel et favoriser la reconstitution d’un capitalisme familial. Redonner du sens à l’envie d’être entrepreneur et de le rester. Cela passe à mon sens par une mesure d’urgence : la suppression des droits de succession notamment dans nos PME nos ETI. Il faut aller plus loin que le Dutreil. En Allemagne par exemple, il n’y a quasiment plus d’imposition des transmissions ; résultat le taux de transmission familial y est de 56 % contre 17 % chez nous. Mais comme cette mesure n’aura pas d’effet sensible avant quelques années, il faut nous doter d’un moyen de compenser notre faiblesse capitalistique quand nous avons besoin de défendre notre appareil productif. Je pense en particulier à ces 80 grandes entreprises qui réalisent à elles seules 50% du CA de notre industrie ; la solution que je propose serait la création d’un Fonds souverain, sous la forme d’un établissement public émettant un emprunt auquel les Français pourraient souscrire à travers leur assurance vie. On a là le moyen de constituer immédiatement un outil doté de 200 ou 300 Milliards d’euros qui pourrait nous permettre de mieux garder le contrôle de notre appareil productif.

 Olivier Marleix, Député d’Eure-et-Loir et auteur du livre « Les Liquidateurs » (éd. Robert Laffont)

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