Objectif plein-emploi : mais quel est le secret des 2% de chômage en Suisse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour la première fois depuis 22 ans, le taux de chômage en Suisse a reculé à 2%, en 2023.
Pour la première fois depuis 22 ans, le taux de chômage en Suisse a reculé à 2%, en 2023.
©Fabrice COFFRINI / AFP

S'en inspirer ?

Emmanuel Macron songera-t-il à s’inspirer de ce qui se passe de l’autre côté du Jura en allant à Davos parler de sa politique économique et de son plan pour l’emploi en France ?

François Garçon

François Garçon

Auteur de France défaillante, Il faut s’inspirer de la Suisse, Ed. L’Artilleur, 2011, prix Aleps du livre libéral 2022. François Garçon a rédigé plusieurs ouvrages sur les mérites de la Suisse (Le modèle Suisse, Perrin – Le Génie des Suisses – Tallandier) , et a enseigné pendant plusieurs années à la Sorbonne.

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Atlantico : Pour la première fois depuis 22 ans, le taux de chômage en Suisse a reculé à 2%, en 2023. A titre de comparaison, il s’établissait à 2,2% l’année précédente. Nos voisins Helvètes gagnent d’ailleurs plus, en moyenne, que les travailleurs français. De quoi cette réussite est-elle le nom, exactement ? L’Etat Français devrait-il se montrer moins intrusif, ainsi que le prônent nos voisins ?

François Garçon : La réussite suisse, mal connue en France, se résume eu un mot : subsidiarité. Il signifie que toutes les tâches doivent être assumées par les responsables qui sont au plus près des problèmes à trancher. L’État, en l’occurrence le gouvernement fédéral, mais aussi les gouvernements cantonaux, interviennent le moins possible, voire pas du tout. En Suisse, les employeurs et leurs salariés considèrent qu’ils sont les mieux à même de trouver les solutions à leurs problèmes et pouvant les opposer. Le niveau hiérarchique supérieur est toujours source de méfiance, voire d’hostilité. Son débarquement dans une négociation est la marque d'un échec des parties. Il n’est pas de négociation qui ne commence avec, en perspective dans l’esprit de chacun, un nécessaire compromis à trouver, compromis qui vaut toujours mieux qu’un affrontement. « Compromis » : un substantif qui, en France, reste malheureusement synonyme de compromissions, de trahisons, etc. Nous sommes restés des bambins agrippés à nos hochets ; par comparaison, les Suisses sont un peuple adulte, un peu ennuyeux parfois, mais qui regarde au-delà de la cour de récréation.

Quelles sont les principales différences entre la France et la Suisse en matière de régulation du travail ? Sur quels points l’Hexagone devrait-il prendre des notes, selon vous ?

Il est difficile de répondre à cette question. Le Code du travail, en France, est le fruit de décennies de guerres sociales, de grèves, de lois bâclées rédigées dans la foulée d’un fait divers, etc. En Suisse, il n’est qu’un chapitre du Code des obligations. Il est d’autant moins épais qu’encore une fois le législateur ne s’immisce pas dans les négociations entre partenaires sociaux. Ce sont eux qui, dans les 82 Conventions Collective du Travail (CCT) recensées actuellement, négocient et fixent les règles dans leur secteur d’activité : temps de travail, salaires, vacances, licenciement, etc. Toujours et encore la subsidiarité ! 

La dimension légale ne constitue qu’un seul des aspects de ce succès helvétique. Dans quelle mesure la différence des mentalités patronales entre les chefs d’entreprises suisses et leurs homologues hexagonaux pourrait fournir des pistes d’explication à une telle performance économique ?

En tant qu’historien des mentalités, je crois que c’est probablement la principale différence entre les deux pays. La France est un pays où la rente constitue le but ultime de la réussite. C’est une rente qui se décroche vers 20/24 ans, avec le premier diplôme. Si vous avez obtenu l’un des trois ou quatre diplômes qui « comptent », soit l’ENS, X ou l’ENA, vous pouvez, si vous le souhaitez, entamer une longue sieste jusqu’à une paisible retraite. Vous pouvez aussi aller vers l’entreprise où, en raison du statut que vous confère votre diplôme, vous vous comporterez en mâle (ou femelle) alpha avec vos collaborateurs, que vous regarderez avec mépris, condescendance ou patience. Mais jamais comme des êtres capables d’apporter une réelle plus-value à l’entreprise. C’est féodal, mais c’est ainsi. L’université français est atteinte de la même pathologie. Le management vertical, directif est évidemment incompatible avec la subsidiarité vue plus haut. Le problème français est que ce mode opératoire pollue l’ensemble du marché du travail : vous identifierez toujours quelqu’un dans une réunion que vous pourrez mépriser au motif que son diplôme est de rang inférieur au vôtre. La France est le seul pays au monde où, lorsqu’un journaliste des Echos fait le portrait d’un conseiller politique de 75 ans, il est rappelé que l’intéressé est sorti major de l’ENA, 52 ans plus tôt… La Suisse n’ignore nullement l’importance du diplôme – ses deux écoles polytechniques fédérales ringardisent au plan de la notoriété internationale notre prestigieuse École Polytechnique, où j’ai enseigné, je le signale, pendant vingt ans – mais le diplôme ne fige pas celui qui en est détenteur dans un statut. Il lui faut faire et refaire encore la démonstration de sa valeur comme manager ou salarié, chez Nestlé ou comme caissier à la Migros.

Apparaît-il possible de simplement transposer la solution suisse en France ? De telles propositions sont-elles vraiment adaptées à notre modèle social ?

Même Tom Cruise ne parviendrait pas à transposer la solution suisse en France. Je mets au défi les meilleurs scénaristes de Mission Impossible d’en imaginer le scénario. Les deux pays, depuis dix siècles, vont dans des directions diamétralement opposées. La France se centralise toujours plus – observez la provenance géographique du gouvernement Attal - , la Suisse n’a jamais été décentralisée car, sauf parenthèse impérialiste napoléonienne- n’a jamais été centralisée. Et, armés de leur démocratie directe dont ils usent avec une inépuisable énergie, ses citoyens, en 2024, prennent soin de tenir leur État en laisse. Une laisse singulièrement courte.

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