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La Chine peut-elle encore rivaliser avec les Etats-Unis dans son objectif de domination mondiale ?
La Chine peut-elle encore rivaliser avec les Etats-Unis dans son objectif de domination mondiale ?
©Anthony WALLACE / AFP

Ambitions chinoises

Alors que le président chinois a entamé une visite officielle aux Etats-Unis, la trajectoire de la Chine s’écarte des objectifs qui paraissaient à sa portée pendant le Covid.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : Alors que de nombreux analystes doutent que l'économie chinoise puisse surpasser celles des États-Unis, l'économie chinoise post-Covid est devenue atone (marché de l’immobilier embourbé et crise du crédit qui exacerbe la crise de la dette intérieure). Quelle est la réalité économique de la Chine ?

Emmanuel Lincot : C'est une  situation préoccupante puisqu'en juillet dernier le gouvernement avait annoncé plus de 20 % de chômeurs parmi les jeunes dans les villes. Depuis, le gouvernement ne communique plus ce qui signifie sans doute que la situation s'est dégradée, et plus particulièrement en milieu rural pour lequel nous n'avons pas de statistiques. Car s'il n'y a pas d'emplois en milieu urbain, les migrants des zones rurales sont également impactés. A cela s'ajoute, vous avez raison, la dette des provinces et la spéculation immobilière et de nombreux épargants ont éjà été spoliés par des fonds d'investissements qui menacent à tout moment de faire faillite. Pour autant, le régime est-il menacé ? Je ne le crois pas. En tout cas pas pour le moment même si sa crédibilité et celle surtout de Xi Jinping a été profondément ébranlée par la gestion pour le moins calamiteuse de la pandémie qui a détruit des millions d'emplois. Le contexte est d'autant plus difficile que la Chine n'a pas de système de sécurité sociale ni d'assurance retraite suffisamment  solide et encore moins de système d'allocation chômage. 

Jean-Marc Siroën : L’économie chinoise n’est pas sortie de la crise du Covid. Elle a certes, dans un premier temps, bénéficié de la reprise mondiale qui a dopé ses exportations, mais celles-ci ont chuté depuis deux ans et les autres moteurs traditionnels de l’économie – infrastructures, construction –, sont en pleine crise et la demande intérieure n’a pas pris le relais. Mais cette crise n’est pas seulement un ralentissement conjoncturel qui s’expliquerait par une sortie de crise post-covid plus longue que prévu. Elle est aussi et surtout structurelle : surendettement des particuliers et des collectivités locales, vieillissement de la population, épuisement des « vieilles » industries d’assemblage à l’origine du modèle chinois et limites d’un modèle d’économie hybride qui ne parvient plus à rendre compatible, voire complémentaire, l’économie de marché et l’économie d’État, inefficace et subventionnée.

Certes, toutes les perspectives ne sont pas sombres et la Chine a réussi à conquérir une position dominante aussi bien dans certaines matières premières stratégiques que dans certaines des productions industrielles, des panneaux solaires aux batteries et voitures électriques. Celle-ci pourrait certes tirer la croissance future, Mais, phénomène nouveau, les autres pays, à commencer par les Etats-Unis ne l’entendent pas ainsi.

Xi Jinping disait il y a 5 ans que d’autres pays devraient s’inspirer du modèle chinois. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? La Chine doit-elle revoir ses ambitions ?

Emmanuel Lincot : Oui, la Chine revoit à la baisse son projet des Nouvelles Routes de la Soie à destination de certaines régions de l'Afrique, par exemple. Mais cela ne signifie en rien un retrait de la Chine dans des régions qu'elle convoite, dans le domaine des infrastructures et des communications (numériques et ferroviaires notamment...) comme le Moyen-Orient, l'Asie centrale ou l'Asie du Sud-Est. Où que vous alliez dans ces régions du monde, la Chine y est partout présente. D'une part, parce que la demande y est forte et l'absence des Occidentaux facilite les intérêts chinois et d'autre part parce que ces pays partagent souvent une culture politique anti-occidentale dont la Chine tire également profit. Si la guerre en Ukraine compromet ses projets ferroviaires avec l'Union Européenne, première puissance économique et premier partenaire commercial de la Chine, ce n'est pas pour autant qu'elle renonce aux connectivités engagées vers l'Union Européenne en privilégiant notamment d'autres voies de passage: le Caucase et, dans son prolongement, la Turquie.

Jean-Marc Siroën : Ce que disait Xi Jinping il y a 5 ans était à peu près ce que disait Staline dans les années 1930 (et le pire, c’est qu’on l’avait cru !). Certes, la Chine d’aujourd’hui n’est pas l’URSS d’autrefois, mais il ne faut pas prêter trop d’attentions aux proclamations triomphantes qui détournent l’attention sur une réalité moins réjouissante. Très clairement, depuis qu’il est au pouvoir – 11 ans maintenant – l’ambition de Xi Jinping a été de remplacer les Etats-Unis comme première puissance mondiale non seulement sur le plan économique, mais aussi, et peut-être surtout, comme puissance politique. 

On remarquera néanmoins que même si le PIB chinois rejoignait celui des Etats-Unis son PIB par habitant resterait quatre fois inférieur à celui de son rival ! À l’horizon 2050, tous les scénarios, sont possibles même que la première puissance économique ne soit ni l’une ni l’autre, l’Inde peut-être. Tout dépendra de la capacité de la Chine à régénérer son modèle. Mais si on analyse la situation actuelle, le pays semble aujourd’hui plus proche d’un scénario à la japonaise que d’un scénario de conquête. Il serait inédit qui voit sa population baisser gagne en puissance surtout quand l’immigration n’est même pas envisageable.

Habituées à une croissance à 2 chiffres, les prévisions économiques de la Chine se font plus faibles : environ 5 points de PIB supplémentaire en 2023. Alors que le chômage des jeunes grimpe en flèche, le modèle chinois de croissance florissant s’effrite-t-il ? La Chine peut-elle, comme l’Europe, basculer en récession ?

Emmanuel Lincot : La croissance à deux chiffres appartient depuis longtemps  au passé. Avant même la crise financière de 2008, la Chine ne connaissait déjà plus un tel degré de croissance. Mais vous avez raison: en deça d'un certain seuil, le gouvernement ne pourra plus comme il l'a fait jusqu'alors et aussi facilement acheter la paix sociale. Si la situation venait vraiment à dégénérer Pékin opterait-il pour une aventure militaire ? L'irrationnel doit toujours être envisagé. Mais on peut par ailleurs être un peu plus optimiste depuis que Joe Biden et Xi Jinping ont décidé de se rencontrer. Pékin attend sans doute beaucoup des Américains pour un assouplissement des sanctions prises à l'encontre de la Chine. En prendra-t-on le chemin ? Pas si sûr quand on sait que la dureté de ton à l'égard de la Chine représente un véritable enjeu électoral aux Etats-Unis et Joe Biden ne peut pas l'ignorer alors que le compte à rebours des prochaines élections américaines est déjà lancé.

Jean-Marc Siroën : La dernière croissance à deux chiffres date de… 2010. Depuis on observe – hors Covid- une très nette tendance à la baisse d’autant plus que le taux de croissance est vraisemblablement très surestimé ce qui rapprocherait la croissance chinoise de la croissance américaine et même de la croissance presque nulle de l’Europe. Deux éléments laissent penser que ces chiffres officiels, déjà faibles pour un pays comme la Chine, le sont encore davantage dans la réalité. D’une part, effectivement, le chômage des jeunes dont la Chine a renoncé à publier les chiffres tant ils étaient mauvais, apparaît assez paradoxal dans une économie vieillissante qui devrait au contraire affronter une pénurie d’offre de travail. D’autre part l’absence d’inflation alors même que le pays est un grand importateur des matières premières dont les prix ont explosé est assez étrange, sauf si cette situation paradoxale était liée à une insuffisance de la demande et donc à une forme de récession qui ne s’afficherait pas dans les statistiques.

Face à cette économie en berne, le pouvoir durcit le ton et pratique la répression sur d’éminents hommes d’affaires. Des membres du gouvernement ont disparu. Cette répression s’est d’ailleurs élargie aux entreprises étrangères faisant fuir les investisseurs. La Chine se tire une balle dans le pied ?

Emmanuel Lincot : L'image du pays s'est évidemment ternie  et un climat de suspicion y règne. Ceci n'est pas bon pour les affaires. Pour autant, la conjoncture, politique notamment, est extrêment changeante et l'on sait que rétablir un climat de confiance peut très vite revenir aussi. Je ne pense donc pas que l'on puisse donc avoir un avis tranché et si le business se fait aujourd'hui un peu moins avec les Occidentaux, il pourra se faire avec d'autres partenaires dans le futur.

Jean-Marc Siroën : Cette confusion est une autre illustration des difficultés que rencontre la Chine pour faire évoluer son modèle. Rechercher la croissance tout en maintenant un système politique stalinien est un pari impossible. Certes Xi Jinping a sans doute bien compris les limites d’un modèle de croissance industrielle fondé sur la sous-traitance internationale et une main-d’œuvre abondante et bon marché. Mais il l’a interprété comme un excès de libéralisme et une insuffisance de contrôle de l’Etat. Il a donc cru que cette transition se ferait par un retour à l’étatisme et à des formes de planification surdimensionnées dont les « routes de la soie » sont l’expression la plus spectaculaire. Cette restalinisation économique implique une restalinisation politique avec son lot de purges qui permet de rejeter la responsabilité des difficultés sur des boucs émissaires. Cette restalinisation s’est aussi retrouvée dans la gestion catastrophique du Covid, que Xi Jinping voulait imposer comme modèle au monde et qui a finalement contribué à donner une image très négative du modèle chinois en encourageant les investisseurs étrangers à s’implanter ailleurs. Le montant net des investissements directs en Chine est en train de s’effondrer.

Présent à San Francisco pour le sommet de l’APEC, Xi Jinping va rencontrer son homologue américain, Joe Biden. Quels vont être les enjeux de cette rencontre ? La Chine peut-elle encore rivaliser avec les Etats-Unis dans son objectif de domination mondiale ?

Emmanuel Lincot : Pour les raisons décrites plus haut, Xi Jinping sera sans doute enclin à temporiser. Rien d'important ne va sortir de cette rencontre car l'avenir est suspendu au résultat des élections américaines mais aussi taïwanaises. Aux Européens de se saisir de ce moment opportun qui ne verra a priori pas grand chose se passer. A moins d'être supersttieux comme le sont beaucoup de Chinois et de penser que l'année du dragon qui vient sera marqée par de grands bouleversements. Wait and see...

Jean-Marc Siroën : Il ne faut évidemment pas attendre grand-chose de cette rencontre même si les deux parties ont intérêt à apaiser les conflits commerciaux et politiques qui ont gelé leurs relations. La guerre commerciale engagée par Trump et validée par Biden pèse sur les exportations chinoises et l’embargo sur les microprocesseurs gêne leur industrie. D’un autre côté, les Etats-Unis n’ont nullement envie d’ajouter Taiwan à l’Ukraine et au Moyen Orient. Une question reste ouverte : l’interdépendance entre les deux plus grandes économies du monde suffira-t-elle à apaiser leurs relations économiques ou l’espoir pour chacun de faire évoluer le rapport de force en sa faveur conduira-t-il à maintenir voir amplifier les tensions ?

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