Obélix mangerait-il nos Steak-frites ? Petite histoire de l’évolution du goût de nos aliments<!-- --> | Atlantico.fr
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Obélix mangerait-il nos Steak-frites ?.
Obélix mangerait-il nos Steak-frites ?.
©Reuters

Série : l'évolution des goûts

Que mangeaient nos ancêtres ? Si on retrouve certaines similitudes avec la nourriture d'aujourd'hui, les goûts évoluent avec le temps. Deuxième épisode de notre série sur l'évolution des goûts.

Jean-Pierre Corbeau

Jean-Pierre Corbeau

Jean-Pierre Corbeau est Professeur de Sociologie de la consommation et de l’alimentation à l’Université de Tours où il est responsable de la licence professionnelle de « Commercialisation des vins ».

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Atlantico : Quels ont été les changements majeurs en matière de goût depuis pré-histoire ? 

Jean-Pierre Corbeau : Toute l’histoire de l’humanité est celle d’une mutation des goûts. La notion du goût est complexe, puisqu’elle comprend saveur et dimension affective. On parle de "gustation", qui prend en compte physiologie, texture et température. Il ne faut pas non plus oublier les modes qui modifient le goût en tant que préférence alimentaire.

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Des éléments n’ont pas beaucoup changés, par exemple le sucrée a toujours séduit parce qu’il rassure quant à la saveur amer, elle a souvent effrayée en renvoyant, notamment, au poison. A titre d’exemple, lorsque le nouveau-né  arrive au monde, il mange volontié du sucré mais fuit l’amertume.

Il faut aussi prendre en compte l’éducation alimentaire et gustative qui va nous apprendre l’amertume et au contraire nous inciter à ne pas manger trop sucré. Entre ces deux saveurs, si une société mange gras et culpabilise de manger si gras, elle consommera des aliments acides (du citron par exemple).  

Si l’on prend le pain par exemple, le pain avec levure est "assez" récent. Avant et dès la "nuit des temps" on  consommait du pain azyme, des galettes de céréales.

Qu'est-ce qui motive ces changements réguliers? Pourquoi l'homme a-t-il changé de goûts culinaires?

Jean-Pierre Corbeau : Le changement de goût au sens d’une préférence vient d’un mécanisme de distinction sociale. Quelque soit sa condition sociale et si on peut accéder aux mêmes goûts et aliments, les groupes privilégiés vont chercher des moyens de se distinguer des autres.

Pendant l’antiquité, les plus riches s’orientent  vers l’exotique en consommant du sucré, des épices… Quand le sucre se démocratise avec les betteraves, les plus privilégiés s’orientent alors vers autre chose. De la même façon lorsque tout le monde peut manger des protéines animales (deuxième moitié du 20ème), le goût pour les végétaux chers, chics qui viennent d’ailleurs apparaît chez les plus riches. C’est un moyen de se distinguer socialement. De même avec la banane, dès qu’elle est commune, la clientèle aisée va vers les bananes de plantains consommées en tant que légumes et non comme fruit. Aujourd’hui, on observe le même phénomène commence avec l’avocat, les plus riches le mangent comme dessert sous forme de soufflés ou de glaces.

La connotation diététique entre aussi en jeux. L’acide est considéré comme bon pour la santé quand le sucre est l’ennemi. Aujourd’hui, les grands restaurant mélange l’amer avec du sucré en vue de donner une émotion gustative, un moyen de se distinguer.

Les goûts varient aussi selon l’identité culinaire, la zone géographie. Dans la société traditionnelle et pastorale on mangeait principalement bouillie ou rôti. En Afrique, les fours étant rares, on frit beaucoup…

L'antiquité -notamment chez les riches familles romaines ou grecques- correspond-elle à l'apparition de la nourriture comme un plaisir? Au contraire, cette connotation apparaît-elle bien plus tard ou plus tôt? Quels mets étaient, à cette époque, convoités à la fois par les familles modestes et les familles plus aisées?

Jean-Pierre Corbeau : De tout temps manger fait plaisir. Particulièrement dans la société méditerranéenne avec les banquets. L’émotion gustative est très forte. La médecine d’Hippocrate entrevoyait la nourriture comme fondamentalement bonne, on pouvait manger comme on voulait tant que la nourriture était bonne et ne rendait pas malade. La notion de culpabilité n’est associée à la nourriture qu’à partir du 16è, 17è siècle notamment avec la Réforme et l’apparition du protestantisme. Dès lors, le plaisir est mal vu ; manger par plaisir c’est commettre un pêcher. En fait, à cette époque on peut se faire plaisir, mais rarement sans jamais être tributaire de ses pulsions.

On se représente le Moyen-âge comme étant l'époque à laquelle les manières de table étaient presque inexistantes. S'agit-il d'un cliché? Quels étaient les plats de choix à cette époque? 

Jean-Pierre Corbeau : Non, ce cliché sur le Moyen-âge et bel et bien fondé. Norbert Elias (sociologue) en a beaucoup parlé, Erasme aussi dans « Petit traité du savoir-vivre pour les enfants » dans lequel il expliquait que l’on s’essuyait sur la nappe…

Au Moyen-âge les grands seigneurs raffolaient de l’ours. On mangeait de la viande très faisandée : du sang noir. La baleine était aussi un met de choix, ce qui montre que la nourriture était déjà un luxe !

Il faut attendre Henri III pour que l’éduction à table progresse et Catherine de Médicis pour l’apparition des fourchettes.

L’élégance propre aux arts de la table naît sous le règne de Louis XIII, période à laquelle apparaît la salle à manger, la vaisselle de table (beaucoup de choix de verres, couverts, mise-en-scène du repas..). Sous Louis XIV le repas du Roi devient un véritable rituel, une sorte de théâtre à table (bien que le souverain mangeait très salement) : l’image du roi qui mange devient le « centre du monde ». Tout se structure autour de lui. Avec Louis XV c’est véritablement le début de l’élégance à table. Juste avant la Révolution Française apparaissent les premiers traités du savoir-vivre expliquant, entre autre, comment se tenir à table. La bourgeoisie en est friande, c’est sa façon d’imiter la noblesse avant de finalement prendre sa place politiquement. En fait, c’est vraiment ce changement d’attitude qui annonce la futur Révolution. Cet avant Révolution marque aussi l’apparition des premiers grands restaurants (tenus dans les hôtels particuliers des nobles ayant fui l’étranger pendant la Terreur).

La Renaissance et la Monarchie absolue sont souvent associées dans l'imaginaire collectif aux repas luxueux voire aux repas comme véritables rites. Comment expliquer ce changement ? 

Jean-Pierre Corbeau : Cette rupture est due au développement du commerce. Grâce à la modernisation des bateaux et à la découverte du nouveau monde on va plus loin et un négoce se met en place. Par exemple, on importe les épices d'Amérique, les saveurs viennent donc d'ailleurs. En France, Sully et Olivier de Serres (sous Henri IV) développent l'agriculture. Les seigneurs se passionnant pour celle-ci, la production locale fait des progrès immenses : des nouveaux produits apparaissent et le rendement s'améliore.

A partir de quelles époque retrouves des repas semblables aux nôtres ? Manger trois fois par jour est-il récent?

Loïc Bienassis : En 1900, le paysan pouvait bien avoir trois repas : matin (de la soupe – à l’oignon par exemple), midi (soupe, galettes, pain…), soir (soupe, pommes de terre, bouillies…). Mais, le plus souvent il mangeait de petites quantités tout au long de la journée.

En fait, avant les Trente Glorieuses, la structure du repas que nous connaissons était rare. Il faut avoir en tête qu’en 1946 les ouvriers consacraient 56% de leur budget à l’alimentation – contre 20 % aujourd’hui. Cela signifie qu’ils n’avaient pas les moyens de faire les repas riches qui sont les nôtres et que suppose l’architecture entrée, plat, fromage et dessert.

La bourgeoisie a inventé la formule des trois repas par jour en ajoutant, pour les femmes un goûter accompagné d'une boisson chaud (café, chocolat ou thé).

Avant les Trente Glorieuses une relative frugalité existe et n’est rompue que lors des grandes occasions. L’ordre des mets que nous connaissons est un héritage ancien, qui a certes connu beaucoup d’évolution, mais il est accessible au plus grand nombre depuis peu.

Depuis l’avènement de la modernité -au 19ème siècle- les goûts ont-ils beaucoup évolué ?

Loïc Bienassis : La modernité alimentaire… S’il fallait retenir une date je ne sais si le XIXe siècle serait celle à retenir. Au fond, les Trente Glorieuses constituent un changement sans doute plus fondamental encore. Certes beaucoup de phénomènes remontent au XIXe siècle : par exemple, le décloisonnement des marchés grâce au chemin de fer, le développement des villes (même si la France ne devient majoritairement urbaine que durant l’Entre-deux-guerres)… Il y a la question des goûts mais il y a surtout la question de l’environnement social et technique. Par exemple, si une chose a changé c’est la consommation de viande. Elle a connu une croissance à peu près continue depuis 1800, on était à 20-25 kilos par habitant vers 1850 à plus de 85 kilos aujourd’hui.

Qu'est-ce qui motive l'apparition de nouvelles modes culinaires ?

Loïc Bienassis : Les conditions sociales, techniques, les transformations dans les modes de vies… tous ces éléments se conjuguent pour conditionner l’évolution des comportements alimentaires. Le "manger sain" peut être interprété comme une attitude propre aux sociétés d’opulence qui sont les nôtres – même si, bien sûr, tout le monde n’y mange pas à sa faim. Se tourner vers certains produits exotiques réputés particulièrement sains est d’abord quelque chose de tout simplement possible en une époque où toutes les productions du monde sont à portée de main. On peut d’ailleurs noter la contradiction entre certaines injonctions, goût pour des produits lointain alors que l’on défend les filières courtes et les fruits/légumes de saison. Il y a aussi une soif permanente d’inédite nouveauté… Là encore il y a un paradoxe, on argue de la tradition (les Incas mangeaient ceci, les Chinois mangent cela… depuis la nuit des temps) pour introduire une nouveauté. Autre paradoxe : on se réfugie souvent derrière l’authentique alors que cette soif de nouveauté relève sans doute de comportements parfaitement consuméristes.

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