Nouvelle réforme de l’assurance chômage : l’idée demi-ringarde de Gabriel Attal<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Gabriel Attal a insisté mardi 27 février sur sa volonté de « continuer à réformer » afin de « réduire nos déficits ».
Gabriel Attal a insisté mardi 27 février sur sa volonté de « continuer à réformer » afin de « réduire nos déficits ».
©Dimitar DILKOFF / AFP

Réformisme

Depuis le Salon de l'agriculture, Gabriel Attal a promis de "continuer à réformer" afin de "réduire nos déficits" en se disant favorable à ce qu'on "rouvre le chantier" de l'assurance chômage pour avoir "un modèle social qui incite davantage à l'activité".

Bruno Coquet

Bruno Coquet

Bruno Coquet est docteur en Economie, Président de UNO - Etudes & Conseil.

Voir la bio »
Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Atlantico : Depuis le Salon de l'agriculture, Gabriel Attal a promis de "continuer à réformer" afin de "réduire nos déficits" en se disant favorable à ce qu'on "rouvre le chantier" de l'assurance chômage pour avoir "un modèle social qui incite davantage à l'activité". Derrière cette annonce, le Premier ministre souhaite-t-il envoyer un signal politique vis-à-vis de l’assurance chômage ? Gabriel Attal ne se trompe-t-il pas de méthode dans sa réforme de l’assurance chômage et de diagnostic dans l’analyse de la réalité du marché du travail et du chômage en France ?

Bruno Coquet :Il y a d’abord un problème de diagnostic et d’évaluation. Cela fait quatre fois en quatre ans que le gouvernement entend réformer le marché du travail et donc l'assurance chômage, sur la base d’affirmations contradictoires. Mais aucun diagnostic n’est véritablement établi. C’est la grande confusion.

Un seul exemple : Les chômeurs indemnisés sont accusés de ne pas reprendre assez vite un emploi, mais en même temps plus de la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés par l’Unedic. Les allocations chômage ne sont donc évidemment pas le motif principal des difficultés de recrutement ni de la remontée du chômage.

Il y a aussi l’argument de la trajectoire financière qui dériverait. Or depuis 25 ans j’amais les dépenses d’assurance chômage n’ont dépassé les recettes de contributions. Le déficit de l’Unedic vient des factures que l’Etat a mis à sa charge : Pôle Emploi/France Trvail, frontaliers, activité partielle, etc. et maintenant 12 milliards de prélèvements (en fait une taxe sur l’épargne des chômeurs) d’ici 2026. Si l’assurance chômage ne fonctionne pas correctement et qu'elle a des problèmes financiers, la première chose à faire serait de ne pas alourdir inutilement ses charges. Tout cela pour que l'État finance ses propres dépenses qui sont, elles, effectivement à la dérive : c’est le pompier pyromane.

Chaque année, le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport sur la gestion de l'assurance chômage. Cela est inscrit dans la loi. Il n'y en a jamais eu un seul qui aurait permis d’éclairer sur les réformes urgentes et vitales à mener.

Philippe Crevel : La France se caractérise par un taux d'emploi nettement inférieur à celui de la moyenne de ses partenaires. Le taux d'emploi en France est de 68 % alors que la moyenne est aux alentours de 72 % en Europe et à 78 % pour les États d'Europe du Nord et d'Allemagne. Le gouvernement souhaite donc améliorer ce taux d'emploi avec plusieurs axes de travail dont la réforme des retraites avec le report de l'âge légal et une refonte de l'assurance chômage. Cette disposition est menée en plusieurs étapes depuis le premier mandat d'Emmanuel Macron. Il y a une volonté d'inciter les chômeurs à retrouver le chemin de l’emploi à travers une diminution des droits au chômage et en particulier de la durée d'indemnisation. Ce mécanisme doit inciter un plus grand nombre de Français à pourvoir des postes dont un certain nombre sont vacants depuis de nombreux mois. 

Gabriel Attal n’oublie-t-il pas que d’autres facteurs ont un rôle majeur en France sur la réalité du marché du travail et sur le chômage ?  La principale difficulté ne concerne-t-elle pas le fait que les emplois créés aujourd’hui n'offrent plus la même qualité d’intégration économique et sociale qu’il y a 40 ou 50 ans ? Comment permettre d’inverser cette tendance ?

Bruno Coquet : C’est bien le constat que l’on peut faire de cette après crise sanitaire : le taux d'embauche en CDI a augmenté en France et le marché du travail se porte mieux car y a plus d'offres d'emplois. Mais fondamentalement, la France reste dans un marché du travail où il y a beaucoup de précarité, beaucoup de CDD.

En effet, contrairement au mantra gouvernemental ce n’est pas le travail qui paye. C’est la redistribution qui paye, l’Etat doit complète les revenus : prime d'activité, chèques divers et variés, bonus-malus, boucliers tarifaires, etc.  mais le travail ne permet pas aux gens de vivre décemment ou de vivre tout court. Il est important de permettre aux citoyens de mieux vivre de leur travail. Les réformes qui ont été mises en œuvre n’ont pas permis de faire évoluer cette situation. Et si la redistribution est massive elle est aussi inefficace car rien n’est résolu.

Philippe Crevel : Depuis deux ans, la France connaît de forts mouvements sur le marché du travail a connu un grand nombre de créations d'emplois, des emplois qui sont essentiellement dans les services et à faibles rémunérations. Cela peut évidemment conduire à des refus de la part des personnes qui sont à la recherche d'emplois. D'autre part, il y a aussi des emplois à forte pénibilité, à horaires décalés qui peuvent aujourd'hui ne pas satisfaire une population qui a un niveau de compétences plus élevé qu'il y a 20, 30 ou 40 ans. Cela pose évidemment la question de la spécialisation économique de la France qui a plutôt opté pour des emplois de services à domicile, de services de proximité, de services à la personne, de loisirs liés au tourisme et moins d'emplois industriels. 

Toute la volonté du gouvernement est de réorienter les emplois vers l'industrie, mais cela va prendre énormément de temps et nécessiter évidemment des compétences particulières qui ont été un peu délaissées ces dernières années. La France paye sa spécialisation économique en termes de qualité d'emplois. Cela génère une certaine frustration légitime de la part d'une partie de la population qui est touchée directement par des emplois à faible qualification et à faible rémunération.

Pourquoi la France s’est-elle résignée à accepter un modèle de croissance faible, un peu auto-infligée par la politique de la BCE, entraînant un manque d’emplois disponibles pour absorber la totalité du chômage existant ? Comment tenter de surmonter ce problème macro-économique ? La réforme de l’assurance chômage y parviendra-t-elle ?

Bruno Coquet : Je ne crois pas que la France soit résignée à un taux de croissance faible. Tout le monde aimerait le voir plus élevé. Il faut identifier les raisons pour lesquelles il est faible.

Sur le plan macroéconomique global, la France se caractérise par un taux de prélèvements obligatoires très élevé.A chaque fois que quelque chose ne va pas, l'Etat intervient et tente de résoudre la crise. Généralement, le problème s'aggrave.

La protection sociale est un bouc émissaire facile : mais tant qu’il n’y a pas de déficit, ce sont les cotisations qui paient les prestations et on ne peut pas dire qu’il y a trop de protection. Le problème c’est de faire passer les assurances sociales dans la redistribution, qui elle est une boîte noire mal gérée et donc très coûteuse. Pour couvrir cette inefficacité on coupe dans les dépenses en culpabilisant les assurés.

La réforme de l'assurance chômage s’inscrit dans cette course où rien n’étanche plus la soif de ressources budgétaires pour financer des dépenses inefficientes (le « pognon de dingue » dixit le Président de la République). Pour l'assurance chômage, les droits sont toujours baissés sans jamais diminuer les cotisations alors que le régime est équilibré en dehors des prélèvements de l'État.

Cette fuite en avant n’inversera pas la courbe de la croissance, bien au contraire.

Depuis 2019, le point de référence avant la crise du Covid, la France est le pays européen dont la dette a le plus augmenté, que ce soit en volume ou en pourcentage du PIB. Mais cett stratégie dépensière a donné de mauvais résultats : la France n’est jamais en t^te du peloton européen, au mieux dans la moyenne, pour la croissance par exemple, souvent à la traîne, comme avec le taux de chômage où elle se classe toujours dans les cinq derniers pays européens. Pendant ce temps six à sept pays ont été en mesure de ramener leur niveau de dette publique à un niveau inférieur à ce qu'il était avant le Covid.

La France est donc un pays où il y a une forte intervention d'un Etat très inefficace et pour pallier l'absence de résultats, l'Etat en vient à culpabiliser les citoyens, leur prescrit des potions magiques qui loin de soigner aggravent les maux du pays.

Philippe Crevel : La France, comme la plupart des pays européens, connaît une croissance faible. La population active augmente faiblement et est amenée à diminuer du fait du vieillissement de la population. Les gains de productivité ont disparu. L'économie se tertiarise plus qu'elle ne s'industrialise. La difficulté est de retrouver des gains de productivité dans les prochaines années pour pouvoir avoir de la croissance. Le gouvernement espère que la réindustrialisation portera ses fruits. Cela nécessite du temps et pourrait permettre d’augmenter le nombre d'emplois occupés, ce qui génère de la richesse qui permettra également d'avoir de la croissance. La France est dans une situation compliquée en termes économiques. Ce faible dynamisme est vraiment lié à des facteurs structurels.

Ces difficultés pour réformer l’assurance chômage et sur la réalité du marché du travail s'expliquent-elles par d’autres facteurs clés comme les problèmes de coût du logement liés à certaines pénuries de main d’œuvre et au fait que le rapport au travail ait changé ?

Bruno Coquet : Les dépenses contraintes  ont augmenté en pourcentage du revenu : logement, alimentation, énergie, etc.. Malgré une intervention publique colossale depuis des décennies dans le domaine du logement, la situation ne s’est pas améliorée. Et par ailleurs, comme depuis vingt cinq ans on subventionne les emplois à bas salaires avec des exonérations de charges, logiquement on crée des emplois à bas salaires.

Ce ne sont que quelques exemples, mais il est clair que l’Etat qui intervient partout toujours plus, sans boussole, et cela ne va jamais mieux. Il s’agit d’une constante différenciante de la France.

Philippe Crevel : Les dépenses liées au logement constituent le premier poste de dépenses pour les ménages dépensent. Il a augmenté ces dernières années, que ce soit sous la forme de la location ou de l'acquisition de la résidence principale. Le poids du logement peut aller pour des salariés à faibles revenus jusqu'à 40 % de leur budget.

Cela crée des tensions sociales non négligeables. Cela peut amener à vouloir changer de lieu de travail. La rémunération du travail ne peut pas permettre de vivre dignement. Ce problème de logement est un problème de long terme, qui est récurrent depuis des années. Le nombre de constructions est insuffisant pour faire face aux besoins. Il est fréquemment répété qu'il faudrait 500 000 constructions de logements quand aujourd'hui on peine à atteindre 300 000 constructions de logements par an. Il y a une politique qui est plutôt malthusienne de raréfaction du foncier à travers la loi ZAN, à travers le processus de zéro artificialisation nette.

Il y a donc de nombreuses contraintes qui pèsent sur le logement. Par ailleurs, les taux d'intérêt extrêmement faibles ont généré un processus spéculatif. Si les ménages ont cru faire une bonne affaire en empruntant de l'argent à faible, à faible coût, en revanche, ils ont dû supporter des hausses de prix de l'immobilier extrêmement fortes. Ils n'ont pas été forcément gagnants, contrairement à ce que certains peuvent penser des taux d'intérêt faibles. Il y a donc aujourd'hui une double peine avec à la fois les taux d'intérêt qui vont remonter et il y a le passif de cette période de taux historiquement bas. Il faut sortir de la politique malthusienne. Il faut relancer la construction de logements et une certaine neutralité fiscale est nécessaire pour la location saisonnière, qui bénéficie aujourd'hui d'avantages fiscaux excessifs ou exorbitants.

Quelles seraient les pistes pour favoriser le retour à l’emploi et sortir le modèle français de son impasse ?

Philippe Crevel : La France souffre des prélèvements élevés qui minent le secteur productif. Une diminution des prélèvements est nécessaire pour améliorer la compétitivité et pour favoriser le travail par rapport au non-travail. Et d'autre part, cela suppose, et c'est là évidemment où se situe la difficulté, d’avoir un certain courage. Cela suppose de remettre en cause le niveau des prestations sociales et le niveau des dépenses sociales, qui représentent aujourd'hui un tiers du PIB. Nous avons le record mondial en la matière. Il s’agit d’une spirale infernale. Aujourd'hui, certains types d’emplois offrent des faibles rémunérations qui nécessitent une correction par des dépenses sociales élevées. Et ces dépenses sociales élevées empêchent l'augmentation des rémunérations professionnelles et des salaires. Il faut donc sortir de cette spirale infernale pour offrir des perspectives et améliorer la compétitivité du pays. Or, aujourd'hui, la tendance est plutôt à vouloir conserver un niveau élevé de dépenses sociales au prix d'un déficit excessif qui, un jour ou l'autre, mènera le pays au bord du précipice. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !