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Nouvelle réduction massive des effectifs bancaires : pourquoi les banques n'ont toujours pas compris le nouveau monde dans lequel elles sont plongées depuis 2008
©Reuters

Et c’est pas fini

Plusieurs grandes banques mondiales (Nomura, Morgan Stanley, Credit suisse) ont choisi de réduire leurs effectifs. Alors qu'il est souvent vu comme prospère et puissant, le secteur financier semble aller plus mal qu'on ne le pense. Déjà responsable de la crise économique de 2008, les banques pourraient bien à nouveau être source de désordres.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : La banque japonaise Nomura a décidé de réduire 30 % ses effectifs en Amérique du nord. Ces derniers mois plusieurs grands groupes bancaires ont annoncé ces derniers mois des suppressions d'emplois (Credit Suisse, l'américain Morgan Stanley, Société générale, etc.). Est-il possible de dresser un parallèle avec la situation de 2008 ? Le secteur financier est il dans une situation comparable ? 

Mathieu Mucherie : Ce qui se passe, depuis quelques mois, n’est pas le signe annonciateur d’une nouvelle crise mais, plus prosaïquement, la poursuite de la gestion et de la digestion de la crise que connaît ce secteur depuis l’été 2007. On l’a encore vu récemment avec la décision de la BCE de réactiver des mesures de liquidité (TLTRO) qui ne sont après tout que le dernier avatar des dispositifs chargés de se substituer à un marché interbancaire défaillant : la confiance n’est toujours pas de mise, et la déflation agit encore comme une bombe à neutrons pour tout le secteur. Pour résumer toute l’affaire, rien ne vaut la capitalisation boursière totale de ce secteur en zone euro : le pic de début 2007, à près de 1000 milliards d’euros, est suivi logiquement d’une chute abyssale, mais par la suite il n’y a jamais eu de vraie reprise, même dans les phases favorables (whatever it takes à l’été 2012, QE début 2015…) :

Cette chute n’est pas arrivée aux entreprises non financières et internationalisées, peu endettées, stimulées par les QE de la FED et innovantes (donc habituées à gérer des prix qui baissent) : pendant que les banques de la zone euro rapetissaient, la capitalisation de Google ou d’Apple était multipliée par quatre. Stratégiquement, au cours de toute cette séquence de déflation, et comme par le passé en pareilles circonstances, il fallait sous-pondérer les bancaires et surpondérer les technologiques.

De façon amusante, la plupart des gens dans ce secteur des banques eurolandaises n’ont toujours pas bien compris ce qui leur arrive, comme lors de la grande dépression aux USA, et comme on le voit à la grande popularité de Mario Draghi, et comme on le voyait naguère à leur grande passivité vis-à-vis des attentats commis par Jean-Claude Trichet. Juste une illustration, en passant : il y a quelques jours, dans une revue financière, un article était basé sur un sondage qui listait les sources de problèmes pour l’industrie bancaire (impacts de la réglementation, pour l’essentiel, et taux négatifs, à la rigueur) ; la déflation n’était jamais citée, et la japonisation n’est qu’un vague "risque".

Pourtant, on le sait depuis longtemps, bien avant Irving Fisher : les banques, qui fonctionnent avec un levier de 10 ou 12, n’aiment pas du tout la déflation, qui sape leur activité (moins de demande pour le crédit), qui augmente le coût du risque, etc. Au fond, malgré tous les progrès qu’elles ont pu faire pour se diversifier et pour se désensibiliser du cycle, les banques restent fortement dépendante du seigneuriage, encore de nos jours leur principal foyer de revenus. Elles communiquent beaucoup sur le conseil en fusions-acquisitions, sur l’assurance, sur la gestion d’actifs ou l’immobilier ; mais au fond le seigneuriage, ce trésor régalien qui leur a été délégué, reste le cœur du business, et ce cœur n’est plus irrigué en cas de déflation.

Dès lors, les réductions d’effectifs sont logiques et, pour tout dire, souvent assez timides : maintes fois les banques ont cru que la reprise était proche, d’où une rétention importante de main d’œuvre, rétention que seul un secteur assez peu contrôlé par des actionnaires regroupés pouvait se permettre. Plusieurs banques ont dû diviser par deux la taille totale de leur bilan, sans pour autant réduire la voilure à due proportion pour les effectifs, en particulier en France. C’est pourquoi beaucoup de gens s’ennuient depuis 2008 dans ce secteur. Surtout les matheux Bac +8 qui ont été formés pour structurer des produits complexes et qui se retrouvent (avec la crise et son corollaire "back to basics") avec des produits "vanille" que des bac+2 pourraient traiter les yeux fermés. Ce n’est pas la joie sur de nombreux desks. Et ce climat mortifère n’est pas terminé, quand on voit les comptes de nombreux établissements, RBS, Deutsche Bank ou Crédit Suisse en tête.

Le phénomène dépasse largement la zone euro, mais cette dernière est bien l’épicentre et de la déflation et des taux négatifs et des tracas bancaires : les banques américaines ont dégazé depuis longtemps, et ont grandement bénéficié de trois vagues de détente monétaire (et c’est tant mieux car les amendes et autres frais juridiques ne sont pas anecdotiques, et surtout la demande agrégée US n’est plus vraiment ce qu’elle était et les taux non plus). La BCE de son coté s’est longtemps contentée de faire joujou avec la liquidité, puis avec les taux, puis avec la supervision, puis enfin avec un QE mais dans le genre Potemkine. Toutes les guerres perdues se résument en deux mots : trop tard.

Les difficultés du secteur ne vont pas aider la croissance mondiale, et en particulier le commerce international en crise depuis 2008. Mais c’est surtout un problème pour la zone euro compte tenu de sa sensibilité au crédit bancaire, en particulier à la périphérie : le risque est qu’à la crise de demande s’ajoute une crise de l’offre bancaire, en clair que l’Italie et l’Espagne rechutent alors que depuis deux ans ces pays réalisent l’essentiel du "rebond" eurolandais et le gros du discours baba-structurel de nos autorités. Toutes les magouilles espagnoles ont été validées et récemment ce sont 200 milliards d’euros d’actifs bancaires italiens douteux qui ont été retraités, en attendant de nouvelles tranches d’aides pour la Grèce et peut-être pour le Portugal. Tout cela est archi-sensible, à un moment clé, et à 12 et 18 mois d’échéances majeures en France et en Allemagne. C’est pourquoi tout le monde prie "pour que ça passe", et personne ne se révolte devant les mesures consanguines de la BCE, pleines de conflits d’intérêts avec les banques.

Alors que le secteur financier a connu une forte croissance au cours des dernières décennies, prenant un poids de plus en plus important au sein du PIB mondial, est il possible, aujourd’hui, de connaître un monde moins dépendant du secteur financier ? Un changement de tendance est il seulement possible ? Peut-on considérer qu'un monde moins dépendant du secteur financier est un monde plus stable ? Ou est-ce que le niveau de risque, aujourd’hui imputé à ce secteur, sera transféré à un autre secteur ?

Le simple fait que le débat monétaire se concentre désormais sur le concept de monnaie hélicoptère, après des années de déni et d’autodafé des livres de Milton Friedman, en dit long sur le besoin de se passer des intermédiaires gênants et coûteux que sont les marchés financiers et les banques pour aller délivrer le QE directement, au peuple : aux consommateurs, si on passe par des vouchers distribués à tous et valables quelques mois (comme au Japon en 1999, mais il ne s’agissait que de 175 dollars), aux contribuables si la création monétaire pure finance un tax cut significatif (ce qui est plus intelligent que de financer une réduction d’impôts par des déficits, mais qui suppose une collaboration entre les autorités budgétaires et monétaires qui n’existe pas en zone euro…), et aux entrepreneurs si tout cela s’accompagne d’une dévaluation et d’une baisse des taux réels.

>>> A lire aussi : Mais où sont donc les bulles spéculatives tant redoutées par les critiques de la BCE et de la Fed ?

Que reproche-t-on, au juste, aux intermédiaires ? Pour ce qui est des banques, nous avons vu qu’elles sont très mal en point, et que leur tendance à faire l’autruche est presque systématique. Elles risquent d’utiliser la moindre impulsion monétaire pour se refaire quelques marges, surtout qu’elles portent encore des coûts importants. Certes, la BCE les tient, et bientôt à ce rythme elle décidera de la couleur des chaises et de l’épaisseur des moquettes. Mais elle doit bien sentir que ses dernières magouilles (par exemple, cette idée saugrenue et soviétique de conditionner l’accès des banques à des taux de -0,4% à des volumes de prêts) n’iront pas très loin tant que la demande de crédit fait défaut. De toute façon, ces mécanismes créditistes qui ont partout échoué (Funding for Lending au Royaume-Uni, etc.), s’ils aboutissaient à quelque chose en zone euro (une mauvaise allocation du crédit à mon avis, mais passons), se heurteraient vite à … la BCE, gendarme du risque en zone euro depuis que ce risque n’a pas du tout été gendarmé entre 1999 et 2007. Il en va un peu de même du coté des marchés financiers, toujours accusés à Francfort de manigancer des bu-bulles à chaque détente monétaire. Il suffit de voir les "travaux" de Weidmann et de la BRI, une réédition des pires bêtises de la FED en 1937. Au-delà de ces suspicions, surréalistes au moment où les dernières bulles crèvent les unes après les autres (matières premières, high yield…), comme on l’a déjà développé plusieurs fois dans ces colonnes, il est vrai que les marchés sont eux aussi arrivés à un tournant, ou à un seuil de compétence dans le décryptage des signaux cabalistiques de notre banquier central. Leur réaction au paquet de mesurettes de la BCE en mars est révélatrice : ils n’ont pas vraiment apprécié, après avoir été déjà très déçus en décembre par Mario. Pour la BCE, c’est la preuve qu’ils sont en mode junkies, jamais satisfaits, et qu’ils en demanderont de plus en plus. Le champ lexical des narcotiques a toujours été très utilisé à Francfort. Pour moi, c’est plutôt le signe que les marchés voudraient enfin de la clarté, de la forward guidance de la part de la BCE, et qu’ils en trouvent de moins en moins avec cette juxtaposition de dispositifs, cette absence de programmation au-delà de mars 2017, ces injonctions contradictoires sur le crédit et sur l’effet richesse. Quelle que soit l’explication retenue, les marchés n’ont pas la taille requise en zone euro pour véhiculer la détente monétaire qui s’impose : ils ne sont pas du tout à l’échelle américaine, surtout après ces dernières années (les émissions de dettes corporates non financières ont fondu depuis 2008, et aujourd’hui la BCE ne pourraient pas en acheter plus de 500 milliards d’euros sur le segment investissable), et pour obtenir un effet majeur par ce canal il faudrait sans doute que la BCE achète des actions (ce qu’elle n’a pas du tout l’intention de faire à ce stade, toujours au nom de la pseudo "non perturbation des signaux de marché", quelle blague).

Une autre façon, moins extrême que la monnaie hélicoptère ou que le "Chicago Plan", de débarquer les intermédiaires ou du moins de ne pas mettre leur santé au premier rang au détriment de la fin ultime de la politique monétaire, est de passer par une nouvelle cible, la croissance du PIB nominal. Ce serait, pour la BCE, mettre fin à la primauté des indicateurs créditistes et à la volatilité des indicateurs de marché : autant d’initiatives que nécessaires pour stabiliser une trajectoire donnée, et non une communication axée sur les moyens. Les banques et les marchés y gagneraient plus en clarté que ce qu’ils y perdraient en calinothérapie hypocrite.

Il serait donc assez logique que l’on passe dans les années à venir par des canaux moins traditionnels que les banques ou les marchés pour délivrer le QE, ce qui ne signifie pas plus de stabilité mais, peut-être, un jour, le desserrement de l’étau déflationniste en zone euro. Il faudra alors s’adapter à un nouveau cycle, et à des risques différents, bien sûr. Mais il y aura toujours le marché, dans son rôle de grand évaluateur. Un mauvais juge à très court terme, dit souvent Warren Buffet, mais une balance fiable à moyen et long terme. Et ce que cette balance nous dit, depuis des années, c’est qu’une ancienne start-up fondée il y a moins de 20 ans par deux jeunes en sandalettes vaut plus que l’ensemble des 128 établissements bourrés de Bac+5 que la BCE supervise. Les banques vont devoir se réinventer sérieusement et adopter une attitude plus adulte vis-à-vis de la BCE si elles veulent rester au centre de la création monétaire, là où tout se joue. 

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