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Les néo-nazis grecs et leur stratégie de la nounou
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Va et vient...

Alors que la pression monte en Grèce et en Europe, le parti néo-nazi de L'Aube dorée pourrait conforter sa présence au Parlement grec dimanche a développé une politique sociale visant à pallier les failles de l'Etat providence en perdition.

Nicolas Pitsos

Nicolas Pitsos

Nicolas Pitsos est chercheur au Centre d’Études Balkaniques (CEB) de l’INALCO et chargé de cours d’histoire des Balkans à l’ICES. Il a participé à la rédaction de La Grèce inconnue d’aujourd’hui : de l’autre côté du miroir. Ses recherches actuelles portent sur les réceptions médiatiques des conflits ainsi que sur les représentations de l’altérité.

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Le 7 juin dernier, sur le plateau d’une chaîne de télévision grecque, un des candidats du parti néonazi de l’Aube Dorée, agresse deux députées des partis du Syriza et du KKE formations politiques de gauche avant de s’enfuir. Le temps d’une séquence, les téléspectateurs ont assisté à la mise en scène de pratiques violentes chères aux membres de ce groupe d’extrême droite. A vrai dire, il ne s’agit là, que de la médiatisation d’un phénomène plus large, celui d’attaques racistes et fascistes ayant comme cible des immigrés et des sympathisants des partis de gauche. Ces agressions sont de plus en plus fréquentes ces derniers temps et se sont multipliées après les résultats des élections du  6 mai dernier.

Ce soir-là, des candidats néonazis entraient au Parlement grec. Quelques années auparavant une autre formation d’extrême droite antisémite, nationaliste et xénophobe, le parti LAOS (dont les initiales signifient, Alerte populaire orthodoxe), obtenait 5% (contre 3% en mai 2012) des votes exprimés. Cette fois, avec 7 %, l’Aube Dorée, parti déclaré illégal jusqu’à récemment en raison des actes criminels de caractère raciste commis par ses membres, obtenait 7% (contre 0,2% en 2009). Il profitait à la fois d’une adhésion d’électeurs qui avaient voté lors des dernières élections pour la Nouvelle Démocratie (droite) et le PASOK (centre) ainsi que par un déplacement des voix de l’autre parti d’extrême droite grecque (LAOS).

Leurs orientations idéologiques sont communes à toute formation d’extrême droite depuis le XIXe siècle, à savoir, l’anti-intellectualisme, l’anti-cosmopolitisme, l’opposition aux valeurs du libéralisme politique, les discours militaristes, nationalistes, le racisme biologiste et/ou culturaliste, ainsi que le culte de la force et de la virilité. Ce qui les a récemment distingué c’est leur position face à la crise économique et financière que traverse le pays. Le parti de LAOS a adopté une politique d’austérité d’inspiration néo-libérale, tandis que l’Aube Dorée s’y est opposé.

Dans un contexte de crise de confiance envers les deux partis (PASOK, ND) qui ont dominé la scène politique en Grèce depuis le rétablissement d’un régime démocratique en 1974, et dont plusieurs membres ont été compromis dans des affaires de scandales et associés à une mauvaise gestion de l’argent public avant et pendant la crise, et face aux retombées sociales désastreuses de la recette néolibérale de la Troïka (FMI, BCE, UE)  rien de plus prévisible que l’éloignement des électeurs des partis jugés responsables de l’impasse actuelle. Cependant, dans le cas de l’Aube Dorée, s’agit-il seulement et vraiment d’un vote de contestation ? Ou autrement dit, pourquoi les électeurs qui ont choisi le bulletin de ce parti néonazi, ne se seraient-ils pas tournés vers d’autres partis qui incarnaient eux aussi ce vote de protestation, aussi bien à la droite qu’à la gauche de l’échiquier politique ? Si l’on exclut la théorie d’un vote irréfléchi, on pourrait s’interroger sur d’autres raisons susceptibles de rendre compte de ce choix.

Cette hypothèse d’un vote conscient, semble être plus pertinente dans un pays où d’une part,il y a toujours eu des sympathisants des régimes autoritaires et totalitaires (par exemple, la dictature monarcho-fasciste de Metaxas dans les années 1930) et oùd’autre part, une ‘catharsis’ politique n’a jamais eu lieu, dans le sens de procès de ceux qui avaient collaboré avec les nazis ou la dictature des colonels (régime militariste, nationaliste, anticommuniste et ultra-conservateur, des années 1967-74). Dans une telle mise en perspective, la rhétorique anti-austérité de ce parti néo-nazi aurait donné l’occasion aux nostalgiques de ces régimes d’afficher ouvertement leurs convictions politiques.

Ces références historiques prises en compte, le pourcentage obtenu par les deux partis de l’extrême droite en Grèce serait également révélateur à mon avis de plusieurs phénomènes, présents depuis bien longtemps au sein de la société grecque et que l’on pourrait retrouver dans des dimensions et des manifestations diverses et variées au sein de la plupart des sociétés européennes de nos jours.

Tout d’abord, on a assisté à partir des années 1990 et dans le cadre de l’effondrement du bloc soviétique et suite à la multiplication des conflits militaires déclenchés après la Guerre Froide, à la transformation de la Grèce en une destination privilégiée pour des immigrés- réfugiés issus de ces régions du monde. L’Etat grec et une partie de ses habitants ayant bénéficié auparavant de soutiens financiers et économiques significatifs suite à l’adhésion de ce pays au bloc de l’OTAN et à la CEE, ont pu s’enrichir grâce à l’exploitation d’immigrés démunis. Ces immigrés-réfugiés n’ont pas seulement été exploités par leurs grands et petits patrons, ils ont également été victimes des discours et des pratiques racistes relayés par certains médias et par des représentants du monde politique. A partir du moment où les immigrés étaient montrés de doigt comme responsables de tous les maux de la société grecque, le glissement vers un parti qui base tout son programme politique sur leur stigmatisation et expulsion devenait désormais plus facile.

En même temps, des quartiers entiers à Athènes ou dans d’autres grandes villes, étaient délaissés et abandonnés par les instances étatiques et/où par les mouvements de gauche qui n’avaient pas su/pu mettre en place des politiques visant au dépassement des ségrégations socio-spatiales des phénomènes de paupérisation et de dégradation urbaine. Des discours contribuant à la construction d’une peur collective ainsi qu’à la stigmatisation des immigrés, ont dressé les habitants les uns contre les autres et préparé le terrain pour l’intervention des groupes néonazis. A l’instar des faisceaux de combat mussoliniens, ils y font régner leur ordre, synonyme de ‘protection’ à l’égard de tout individu correspondant à leurs critères physionomiques, linguistiques, confessionnels et d’intimidation à l’envers de tout individu n’étant pas conforme à leurs préférences.

De surcroît, la Grèce est un pays dont la société n’a jamais voulu regarder en face son passé dont la lecture se fait surtout à travers le prisme d’un regard nationaliste et d’une mémoire sélective. On relève par exemple une signalétique lacunaire ou absente des lieux de mémoire liés à la présence des communautés juives d’avant la Shoah ou des communautés musulmanes d’avant leurs expulsions en 1923 (traité de Lausanne) ou après la deuxième guerre mondiale. En revanche, on assiste à une inflation signalétique de la moindre pierre de tel ou tel autre monument de l’antiquité gréco-romaine et byzantine (les deux périodes choisies comme des piliers de la narration de l’histoire de la nation grecque par l’idéologie officielle et par celle des partis d’extrême droite).

Les récits d’une mythologie nationaliste sont aussi perceptibles dans la définition des expéditions d’un expansionnisme impérialiste et colonialiste ayant façonné les frontières actuelles de l’Etat grec tout au long du XIXe et au début du XXe siècle, en tant que campagnes de libération, minimisant ou occultant l’ampleur des pratiques d’exclusion/expulsion des populations se retrouvant dans les territoires conquis et pratiquant des langues et des confessions autres que celles officielles. Cette lecture du passé partielle et partiale est également favorisée par la diffusion de l’amalgame entre nationalité grecque et confession chrétienne orthodoxe. Il s’agit d’une équation mentale, due entre autres à l’absence d’une séparation entre Eglise et Etat et qui en alimentant le mythe et l’obsession d’une homogénéité nationale, occulte le passé multiple et le présent pluriel en termes confessionnels et ethnolinguistiques à la fois de l’espace qui constitue la Grèce de nos jours ainsi que de sa société.

D’autres phénomènes et caractéristiques de la société grecque offrent un terrain propice à l’éclosion des idées de l’extrême droite, comme par exemple les conditions régissant l’obtention de la nationalité, soumises à la notion du droit de sang, ou encore le déroulement des défilés militaires dans le cadre des célébrations à l’occasion des fêtes nationales, réminiscence déplorable des régimes fascistes, incitant les participants à une exaltation militariste et nationaliste.

Ce dimanche, des nouvelles élections auront lieu. Les pourcentages des partis d’extrême droite pourraient selon les derniers sondages diminuer. Pourtant, les échos de leur idéologie ne risquent pas vraiment de s’affaiblir, sans changements préalables.

Sans tout d’abord, un véritable travail de dépassement des cadres de la définition de l’individu en termes de nation, nationalité, identité nationale, laissant sa place à une définition de l’individu en termes d’appartenance citoyenne.

Sans, la remise en question des pratiques d’exclusion, comme par exemple le mur construit aux frontières terrestres entre la Grèce et la Turquie, pratique plébiscitée par ailleurs par les instances de l’Union Européenne et dont l’image en tant que ‘forteresse’ fermée à des individus venant d’Ailleurs, d’un Ailleurs souvent dévasté à cause de l’interventionnisme politique et le néocolonialisme économique pratiqué par ses Etats-membres, ne correspond pas à une Europe ouverte au monde mais à une Europe voulant s’imposer dans le monde.

Enfin sans une analyse de la crise actuelle non pas en termes nationalistes, culturalistes et moralistes, désignant des pays ou des sociétés parias, à l’instar de ce que font les partisans de l’extrême droite au sein de nos sociétés, mais dans une approche multifactorielle et dans une volonté de dépassement des inégalités et des relations d’exploitation au sein de chaque société et entre les différents Etats.

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