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Najat Vallaud-Belkacem entend faire vivre la social-démocratie… en oubliant les raisons pour lesquelles elle est morte
©Reuters

Nécromancie

En guise de première intervention depuis son départ du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem s'est posée en défenseur de la social-démocratie dans le Nouveau Magazine Littéraire.

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent, ancien élève de l’ENA, est professeur d’économie à Sciences-Po Paris. Il est l’auteur de Qu’est-ce que le conservatisme (Les Belles Lettres, 2016).

 

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Atlantico : Après un silence de plusieurs mois, Najat Vallaud-Belkacem publie un texte, dans le Nouveau Magazine Littéraire à paraître ce 18 décembre consacré à la social-démocratie « Oui, je l'aime, . Les commentateurs la proclament morte ? Je veux la faire vivre. ». Dans cette perspective de faire revivre la social démocratie, l'ancienne ministre de l'éducation, mais également certains de ses partenaires socialistes, ne sont ils pas confrontés à une profonde difficulté qui est celle de la raison d'être actuelle de la social-démocratie ? Alors que les conquête des systèmes sociaux est achevée, alors que la redistribution semble avoir atteint un plafond, la social-démocratie n'est elle pas arrivée au bout de sa logique ? 

Jean-Philippe Vincent C’est dire que je ne crois pas un instant à sa conversion à la social-démocratie. Il s’agit d’une pure manifestation d’opportunisme, à moins que la social-démocratie soit le parti des opportunistes, hypothèse historique qui mériterait d’être testée.

On a beaucoup fait, dans les années 1980, la théorie de la social-démocratie. Je renvoie sur ce point au livre d’Alain Bergounioux et Bernard Manin (PUF, 1989). On y a vu une habile synthèse entre la démocratie, le mouvement syndical et sa participation au pouvoir, la nationalisation de certaines entreprises, la cogestion dans certains cas et la gestion par les "partenaires sociaux" de l’Etat-providence. C’est une lecture, mais elle me semble artificielle. Selon moi, le seul et unique mérite de la social-démocratie a été de réaliser un compromis entre la démocratie, l’intégration dans le jeu démocratique de forces politiques et sociales potentiellement révolutionnaires, et l’économie de marché. C’est parce qu’elle était un compromis politique et social que la social-démocratie a marché, au moins pour une temps.

Aujourd’hui, le vrai social-démocrate c’est Emmanuel Macron, car il est le seul à pouvoir et à vouloir maintenir le compromis politique initial qui a fondé la social-démocratie, un compromis entre efficacité et égalité. Le fait qu’il réalise ce compromis à sa façon – plus technocratique que démocratique, n’empêche pas qu’il est assez fidèle à l’idée initiale de la social-démocratie. Face à un social-démocrate de ce calibre, les chances de Najat Vallaud Belkacem me semblent infimes.

Dans un tel schéma, la gauche social-démocrate n'est elle pas contrainte de glisser vers une autre approche que celle de la redistribution, en passant par exemple, du côté d'une gauche plus radicale visant à changer le système plutôt qu'à la "gérer", cette "simple gestion" pouvant être perçue comme la cause de son effondrement ? 

On a fait à la Social-Démocratie un crédit très excessif. Dans beaucoup de pays, en France notamment mais également en Allemagne, ça n’est pas la Social-Démocratie qui a créé les systèmes d’assurance sociale (maladie, retraites, accidents du travail, famille), mais des gouvernements conservateurs. Sait-on que la mise en place des assurances sociales s’est faite en France de 1926 à 1932 sous des gouvernements conservateurs : Poincaré et Tardieu, notamment ?

Quant à la fameuse redistribution, le bilan qu’on peut en faire après 1945 doit très prudent et est en fait assez mitigé. La redistribution étatique n’a en fait guère redistribué. Dans un très beau livre, L’Ethique de le Redistribution, Bertrand de Jouvenel faisait remarquer qu’au milieu des années 1950 les inégalités étaient tout aussi criantes qu’en 1938. C’est normal. Les politiques publiques de redistribution ne répondent pas à une logique économique et sociale. Elles répondent à une logique du pouvoir : il s’agit de redistribuer le pouvoir du secteur privé vers le secteur public et le pouvoir politique. Il n’y a rien d’étonnant, après cela, à ce que ses résultats soient fragiles ou décevants.

Effectivement, gérer la redistribution est extrêmement ingrat en période de croissance faible. D’autant que cela impliquerait de remettre en cause certains avantages acquis de catégories de population, d’opinion progressiste, qui ont, elles, contrairement aux catégories les plus pauvres, réellement bénéficié de la redistribution. Tâche pratiquement impossible. Je ne crois donc absolument pas aux chances d’un renouveau social-démocrate sous la houlette de Najat Vallaud Belkacem. Mais, Emmanuel Macron peut sans doute y réussir à sa façon, s’il parvient à créer un nouveau compromis.

Comment peut on imaginer le retour d'une gauche social démocrate, ou sa transformation ? Une telle transformation pourrait elle également permettre un retour à un clivage plus traditionnelle entre social démocratie et une droite libérale conservatrice ? 

Emmanuel Macron est un homme habile. Il s’en tient pour l’instant à son slogan « ni droite, ni gauche ». Mais la pression des faits autant que ses convictions profondes vont inévitablement le déporter progressivement vers sa gauche. Le phénomène va se faire mécaniquement, il n’y a aucun doute à ce sujet, d’autant que le mouvement En Marche est – pardonnez cette expression – un « ectoplasme », sans aucune réalité partisane et électorale. Or le temps des élections viendra et il replacera ce mouvement à sa place, celle de la social-démocratie.

Pour la droite conservatrice et libérale, cela créera naturellement de l’espace. En attendant, il faut que les conservateurs se dotent d’une armature intellectuelle solide, à la fois conservatrice et libérale. Ils s’y essayent, avec des fortunes diverses. Je crois que c’est la pression de l’électorat conservateur qui créera le mouvement. Des conservateurs libéraux convaincus, j’en croise tous les jours. Il faut seulement que les hommes politiques de droite se convertissent aux idées de leurs électeurs ! Ca se fera.

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