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Montée du Brexit Party dans les sondages : Le Royaume-Uni en voie de s'enfoncer dans l'une des plus graves crises politique de son histoire
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 
Le 19 mai 2019


Mon cher ami, 

J’espère qu’au milieu de toutes les vélléités qui entourent le Brexit, nous n’avons pas perdu notre sens de l’humour. En tout cas, l’Union Européenne ne saurait penser à tout. Il va se passer jeudi prochain quelque chose de cauchemardesque, en tout cas du point de vue de l’Europe continentale et de l’Irlande: nous allons voter avant la France, l’Allemagne et la plupart des autres pays aux élections européennes.  Et vu ce que nous annoncent les sondages, nous aurons de quoi nous amuser. J’imagine d’avance la déclaration intempestive du président français, la crise de nerfs de Donald Tusk, la gaffre de tel ou tel commissaire européen, la provocation de Matteo Salvini, qui s’ensuivront. 

Pensez donc, le dernier sondage paru ce matin place le Brexit Party à 30%, le Labour tombe à 24, les Conservateurs sont à 12 et les Libéraux-démocrates à 11. Un autre sondage, publié hier donnait le Brexit Party encore plus haut, à 34%, les Libéraux faisant jeu égal avec le Labour, à 15%, et les conservateurs à 9% ! Comme le fait remarquer un commentateur, ce serait le plus mauvais résultat de leur histoire depuis la fondation du parti conservateur moderne, en 1834. Ce qui est intéressant dans ces tendances, c’est le fait que les deux grands partis, qui ont essayé de biaiser avec le résultat du référendum, s’en tirent mal: les Conservateurs subissent un véritable exode de leurs électeurs vers le parti de Nigel Farage. Mais les Travaillistes contribuent à remettre en selle le parti libéral-démocrate. 

Je veux bien que les sondages pour les élections générales rendent pour l’instant le pari de Jeremy Corbyn gagnant: le Labour arriverait en tête d’une élection à la Chambre des Communes. Mais aucune projection ne lui donne de majorité absolue. Et puis, surtout, Jeremy Corbyn devrait se rendre compte de la détérioration soudaine de l’opinion en sa défaveur. Tant que Madame May et la Chambre des Communes pouvaient donner le sentiment à l’opinion publique que le Brexit allait arriver, il restait une forme de stabilité. A présent, je pense que les mouvements de plaques tectoniques vont s’accélérer. Attendons le résultat de jeudi. Mais il est peu probable qu’aucun des partis puisse continuer à faire de la politique comme auparavant. Je pense que le résultat de l’élection européenne va avoir trois conséquences majeures: 

1. Elles vont tuer l’idée d’un second référendum, s’il est encore besoin. En faisant un calcul un peu simplificateur qui part de l’idée que 2/3 des électeurs restant au Labour dans les sondages voteraient Remain; et 2/3 des électeurs conservateurs voteraient Leave, on arrive à 52 ou 53% en faveur du Brexit. Ce n’est pas seulement dû au fait que les pro-Remain sont éclatés entre Libéraux-Démocrates, Verts, Change UK et les deux grands partis. Une dynamique s’est créée, qui serait accrue par une campagne, avec son cortège de colères de la part des partisans du Leave et de gaffes des autres dirigeants européens essayant d’influencer le vote. 

2. Le système des partis établis va être secoué jusqu’au tréfonds. On a vu, vers 1920, le parti libéral s’amoindrir au point de devoir céder la place aux travaillistes dans le jeu bipartisan. Peut-on imaginer qu’il arrive la même chose au parti conservateur, qui serait remplacé par le Brexit party ? Il se produirait un mouvement où les électeurs travaillistes déçus par l’évolution de Jeremy Corbyn rejoindraient le Brexit Party. Tandis que le Labour converti à un blairisme gauchisant, se rapprocherait des Libéraux-Démocrates pour avoir une majorité, dans une sorte de macronisme britannique. Le parti conservateur aura-t-il le sursaut nécessaire? Nous savons que Theresa May a enfin annoncé son départ. Mais sera-t-il possible de rassembler les troupes, de panser les plaies, et de faire comme si nous sortions d’un cauchemar de trois ans? 

3. Nous avions toutes les raisons d’être satisfaits il y a trois ans: le Royaume-Uni prenait de l’avance sur ses partenaires européens pour éviter une crise populiste. A présent nous voici plongés, comme le reste de l’Union Européenne, dans une crise de ce type. il est à redouter que nous plongions dans un affrontement encore plus dur entre progressistes Remainers et faragistes Leavers. Quelles en seront les conséquences pour l’intégrité du Royaume-Uni? 

Il y a bien une solution raisonnable, qui consisterait à voter l’accord de retrait de Theresa May sans le backstop et de dire à une Union Européenne elle-même traumatisée par le résultat des élections européennes, maintenant c’est à prendre ou à laisser! Mais les solutions raisonnables sont peu probables dans les moments de crise. Et nous voici plongés dans l’une des plus graves crises de notre histoire politique. 

Mon cher ami, pour paraphraser votre Bonaparte, la politique est un art simple et tout d’exécution. C’est ce qu’ont oublié Theresa May et Jeremy Corbyn. Nigel Farage, lui, l’a compris. 

Bien fidèlement à vous

Benjamin Disraëli

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