Mois décolonial à Grenoble : le bal des hypocrites<!-- --> | Atlantico.fr
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L'organisation d'un "Mois décolonial" a créé la polémique à Grenoble.
L'organisation d'un "Mois décolonial" a créé la polémique à Grenoble.
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Grenoble, épicentre du décolonialisme ?

Où l’on apprend que la mairie de Grenoble, l’Université Grenoble-Alpes et Science po Grenoble avaient prévu de participer au « Mois décolonial » en juin prochain, avant de se rétracter devant la polémique. Et si Grenoble était la preuve manquante qui confirme que l’islamo-gauchisme est bien une réalité ?

Michel Villard

Michel Villard

Michel Villard est universitaire. Il écrit sous pseudonyme.

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Mais que se passe-t-il à Grenoble ? En mars dernier, l’Institut d’études politiques (IEP) avait déjà créé un profond émoi lorsque les noms de deux enseignants avaient été placardés sur les murs sous l’accusation de « fascisme » et « d’islamophobie ». L’enquête indépendante menée par deux inspecteurs de l’Education nationale avait rapidement pu établir que tout était parti d’un syndicat étudiant issu de l’UNEF qui faisait régner un climat épouvantable dans l’institution, harcelant la direction et le personnel, terrorisant les autres étudiants et assumant explicitement de s’affranchir des règles minimales de l’Etat de droit et du débat démocratique. Ces étudiants ne voulaient rien de moins que contrôler l’institution, y compris le contenu des cours. L’un d’entre eux ambitionnait même d’obtenir, dans une logique somme toute très impériale, le titre de vice-directeur.

On croyait avoir tout vu, on n’avait encore rien vu. Les révélations de ces derniers jours concernant le « Mois décolonial », ce festival à la gloire du décolonialisme prévu du 10 au 30 juin, ont montré que le problème ne s’arrête pas là. On découvre en effet que cet événement, organisé par plusieurs associations (Contre-courant, Peps, Mix’Arts), a été soutenu par une série d’acteurs institutionnels : la ville de Grenoble, l’Université Grenoble-Alpes (UGA) et Science po Grenoble.

Si le soutien de la mairie n’est pas vraiment une surprise, la présence d’institutions universitaires dans une opération aussi explicitement militante et idéologique, plonge dans un abîme de perplexité. Comment en est-on arrivé là ?

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Un maire trop démocrate ?

Le maire de Grenoble s’est justifié en disant que sa préoccupation est d’encourager le débat. « En démocratie, la liberté d’expression et de débat est fondamentale. Je suis fier que Grenoble soit un lieu de connaissances, d'engagements et de contradictions. Et je suis disponible pour débattre ». Il a ajouté : « la droite et l'extrême droite coalisées demandent, ici, autre chose : faire taire les voix et les idées qui ne leur conviennent pas. Les interdire. Ce procédé n'est pas démocratique, et je le dénonce ».

Ce plaidoyer en faveur du débat est très honorable, mais le maire en fait un peu trop : le festival n’a jamais été menacé, personne n’ayant appelé à l’interdire. La question est plutôt de savoir pourquoi la ville de Grenoble figure parmi les partenaires, ce à quoi Eric Piolle se garde bien de répondre.

En réalité, le plaidoyer du maire en faveur du débat ne convainc guère. Où a-t-il vu que le mois décolonial allait être une manifestation ouverte et pluraliste, soucieuse d’organiser des débats contradictoires ? Cet événement est un pur monolithe idéologique. L’un des organisateurs, Rodrigue Blot, responsable de l’association Contre-Courant, l’admet volontiers : « Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir des informations, de comprendre, pas de savoir si on doit déconstruire ou non, mais comment. Sinon, on se retrouve sur un débat sur CNews ! ». Indirectement, ce militant admet que le débat est désormais passé à droite, ce qui est plutôt ennuyeux pour la gauche, mais très cohérent avec la posture qui est désormais prônée ouvertement par les nouveaux leaders comme Geoffroy de Lagasnerie, partisan du retour pur et simple à la censure des idées de droite.

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Admettons toutefois que le maire soit un ardent partisan du débat et du pluralisme. Dans ce cas, pourquoi avoir battu en retraite ? Pourquoi avoir donné le sentiment de céder si facilement à ses opposants ? Un recul aussi rapide laisse sceptique. Le maire n’a-t-il pas tout simplement cherché à botter en touche pour éviter d’avoir à se prononcer sur le fond, autrement dit d’expliciter quelles sont ses affinités avec l’idéologie décoloniale.

Car ne tournons pas autour du pot : depuis son arrivée à la mairie, Eric Piolle n’a cessé d’envoyer des messages favorables à cette mouvance. On peut notamment rappeler sa déclaration problématique sur « l’homme blanc », ses positions très hostiles à la police, son soutien aux actions illégales en faveur des migrants, ou encore son attitude pour le moins ambigüe face aux opérations burkini dans les piscines municipales.

Si Eric Piolle était franchement hostile à l’idéologie décoloniale, cela se saurait. D’ailleurs, lui-même a commis une petite erreur révélatrice. Dans son tweet du 27 mai, il écrit à propos du festival décolonial : « La Ville de Grenoble est une institution publique qui n'a pas à être pas associée, en tant que telle, à ce festival militant ». Ici, la double négation devient affirmation : la ville doit donc être associée à ce festival. Coquille ou le lapsus ?

En tout cas, le programme annoncé coche toutes les cases des grandes orientations du maire. Le titre de l’affiche est explicite : « Le mois décolonial : pour l’émancipation, l’écologie et la justice sociale ». De quoi faire frissonner n’importe quel écolo-progressiste en herbe. L’affiche elle-même est très aguichante : joyeusement colorée en bleu et vert, avec une jolie fleur au premier plan, elle présente pas moins de six mosquées en arrière-plan. Tant pis pour les Eglises et les synagogues, mais une affiche plus œcuménique aurait-elle eu le même succès auprès du peuple décolonial ?

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Pour quelqu’un comme Eric Piolle, une difficulté demeure cependant. Si le décolonialisme est assurément un bon créneau pour séduire les cercles militants (surtout à Grenoble où existe un écosystème très actif), est-ce une thématique très attirante pour les électeurs ? On peut avoir un doute. Une retraite tactique est donc le meilleur compromis : maintenant que le message décolonial est passé, il est plus judicieux de faire marche arrière plutôt que de rester au centre de l’arène. Il joue ainsi sur les deux tableaux : je soutiens, je ne soutiens pas.

La porosité entre le décolonialisme et l’Université

Le cas de l’UGA et de Science po est autrement plus complexe et plus sérieux. Que faisaient ces deux institutions dans cette galère ? Dans un communiqué commun, l’UGA et l’IEP ont justifié leur retrait en prétendant avoir « découvert par voie de presse de nombreuses évolutions de programmation de ce festival, non partagées en amont par les organisateurs, ainsi que des niveaux d’engagements, tels que “ partenariat”, qui n’ont pas été validés ».

Reprenons ces deux arguments. Un partenariat n’aurait donc pas été officialisé ? Pourtant, comme vient de le révéler Marianne, des subventions ont bel et bien été attribuées : 10.000 euros du côté de l’UGA et 1.000 euros du côté de l’IEP. Or, verser une subvention, c’est créer de fait un partenariat. Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle les étudiants ont placé les logos de l’UGA et de l’IEP sur leur affiche : il s’agit de remercier ses donateurs, ce qui est bien la moindre des choses.

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Ensuite, on aimerait bien savoir quelles sont les « évolutions de programmation » qui ont amené les deux établissements à annuler leur participation. Que savaient-ils exactement du projet initial, lorsqu’il a été présenté ? Les étudiants n’ont jamais avancé masqués, semble-t-il. Ils n’ont jamais caché le terme décolonial. Même la participation de Rokhaya Diallo était visiblement connue depuis longtemps. Comment expliquer, dès lors, que l’UGA et l’IEP se soient lancés dans un tel soutien, à la fois symbolique et financier ? L’argent public peut-il servir à financer des projets qui, sans participer d’aucune façon à un réel débat démocratique, ne visent qu’à attaquer frontalement la République ? Il reste aussi à savoir ce que vont devenir ces subventions : un remboursement est-il prévu ?

A ce stade, il paraît donc difficile aux responsables universitaires de s’en tenir à une ligne de défense aussi simpliste. Au minimum, des explications supplémentaires sont attendues. Mais le problème paraît plus profond. Qu’une affaire de ce type puisse surgir maintenant, quelques semaines seulement après l’affaire de Science po Grenoble, lors de laquelle les instances académiques n’ont guère brillé par leur défense acharnée des principes républicains, ajoute une inquiétude supplémentaire quant à la porosité qui s’est instaurée entre le monde universitaire et les réseaux de la mouvance décoloniale.

L’inquiétude est d’autant plus grande que Grenoble n’est certainement pas un cas unique. Il va donc désormais falloir s’atteler sérieusement à cette question des dérives de l’université. Les enseignants qui s’époumonent à dénoncer une chasse aux sorcières qui n’existe que dans leur tête feraient mieux d’expliquer comment tout ceci a pu se produire et comment on peut en sortir.

L’affaire de Grenoble n’est pas terminée.

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