Mohamed Louizi : “Plus de 70% des mosquées françaises ont été infiltrées par les salafistes et plus nous attendons, plus la réaction sera douloureuse”<!-- --> | Atlantico.fr
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70 à 80% des mosquées françaises auraient été infiltrées par des réseaux salafistes
70 à 80% des mosquées françaises auraient été infiltrées par des réseaux salafistes
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Entrisme

Mohamed Louizi, essayiste, auteur du livre "Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans" (Éd. Michalon), réagit pour Atlantico sur l'entrisme des mouvements salafistes au sein des mosquées françaises

Mohamed Louizi

Mohamed Louizi

Mohamed Louizi est un ancien membre du mouvement marocain Attawihid wal'Islah, du PJD et de l'UOIF, ex-président des Étudiants musulmans de France (Lille) Il est ingénieur. Il anime depuis 2007 le blog "Écrire sans censures !".

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Atlantico : Une note confidentielle des Renseignements territoriaux, récemment rendue publique par la presse, fait le point sur les méthodes employées par la mouvance salafiste, qui cherche à déstabiliser plusieurs des mosquées de France. Quel état des lieux peut-on dresser, pour commencer ? 

Mohamed Louizi : Le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Il prend ses racines dans le milieu des années 1970, à l’issue de la première crise pétrolière. L’Arabie Saoudite bénéficiait alors d’un avantage en Belgique : l’installation, en plein cœur de Bruxelles, d’une grande mosquée et d’un important centre culturel. La prise de contrôle de l’Arabie Saoudite sur cet édifice a eu des ramifications sur l’ensemble du sol belge et également sur le territoire français.

Le salafisme, rappelons-le, ne se limite pas au wahhabisme. Il comprend aussi la mouvance des Frères musulmans, qui se définit elle aussi comme un mouvement salafiste mais qui revêt une apparence plus moderne. Les Frères musulmans ne s’habillent pas de façon traditionnelle, par exemple, et pensent qu’il est possible de rester fidèle à l’Islam des origines (lequel est éminément politique) tout en bénéficiant d’un certain espace d’adaptation pour modifier la règle du jeu. Concrètement, cela signifie utiliser les lois issues des démocraties européennes et de la démocratie française en particulier, avec dans l’idée de changer les mentalités et le regard que les occidentaux peuvent avoir sur leur propre représentation de l’Islam, de sa pratique… puis de l’ensemble des revendications issues de la charia. Il s’agit donc, pour eux, de rendre la loi républicaine compatible avec la charia.

Dans les faits, nous faisons face à deux démarches mais un seul et unique salafisme. Le point de départ est le même, mais le mode opératoire diffère. D’un côté, on retrouve un mouvement très traditionaliste, qui veut rompre tout de suite avec la démocratie et ses lois, y compris par la violence si cela s’avère nécessaire. L’autre facette du salafisme, le frérisme, est plus maligne. Elle affirme pendant un certain temps, quelques dizaines d’années en général, que les lois de la République ne lui posent pas de problème, qu’elle est compatible avec la République. En parallèle, elle mène un travail de sape sur le long terme des fondations de la démocratie, qui passe par des assauts sur les lois existantes ou la revendication de nouvelles lois plus compatibles avec la charia.

Ces deux démarches ne sont pas antagonistes. Elles sont complémentaires. L’une vise à travailler la base, la seconde chercher à travailler les élites. Dans les deux cas, il s’agit de planter les graines d’un avenir souhaité par le salafisme.

 Il importe aussi de rappeler que ce processus est aujourd’hui en phase d’accélération, du fait des évolutions démographiques que l’on observe notamment en France. L’immigration, suivie du flux des naissances qui accompagnent assez mécaniquement la fondation de familles sur le sol français, fait que tout ce que les salafistes ont semé dans la tête des parents se retrouve ensuite dans la tête des enfants.

Une écrasante majorité des mosquées françaises est menacée par ce phénomène. La matrice idéologique de l’Islam sunnite, dans sa version wahhabite comme dans sa version frériste, se partage le marché du prosélytisme religieux. C’est vrai également pour les mosquées qui ont des relations avec des puissances étrangères comme le Maroc, l’Algérie ou la Turquie. Les islamistes ont pris le pouvoir, parfois indirectement, dans un certain nombre des pays où a pu se dérouler le printemps arabe. Ils influencent, depuis, cet islam en particulier. Cela n’est pas sans impact sur les autres mosquées… mais il va de soi que toutes ne sont pas toutes influencées au même degré.

Les salles de prières préservées de toute forme d’Islam politique demeurent malheureusement très minoritaires. 

Les Frères musulmans gouvernent des mosquées-cathédrales qui s’adressent à des masses que l’on peut compter par milliers à l’occasion du ramadan ou d’autres fêtes religieuses. 

En fin de compte, me semble-t-il, 70 à 80% des mosquées en France sont menacées. La situation est d’autant plus inquiétante qu’il s’agit parfois de salles de prières massives, impactées par l’idéologie islamiste dans sa version wahhabite ou sa version frériste. 

Comment procèdent les salafistes, au juste ? Que sait-on de leur mode opératoire ? 

La première étape consiste à jeter l’anathème, pour excommunier ou presque, les dirigeants initiaux de la mosquée ; fragiliser les équipes cultuelles déjà en place. Le plus souvent, on prétend alors qu’ils se sont égarés et l’on prêche un Islam de la surenchère, qui s’incarne dans la revendication. C’est un discours qui s’avère efficace pour parler à une certaine jeunesse, puisqu’il est souvent compatible avec l’idéal salafiste (au sens wahhabite ou frériste) dans lequel cette dernière se reconnaît. Il est ici question de s’opposer à la France, que les wahhabites et les fréristes considèrent comme un État mécréant. En outre, il s’agit aussi de faire miroiter un avenir meilleur à cette jeunesse dans le cadre de la religion musulmane et de l’application de ses principes. 

Dans mon livre "Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans", je raconte notamment comment se déroulent les élections de renouvellement des conseils d'administration. On est dans un noyautage en bon et due forme. Pour rester dans le respect des statuts des associations, les Frères musulmans mobilisent de nombreuses personnes acquises à la cause, qui paient la cotisation pour pouvoir voter les nouvelles équipes et les nouveaux statuts… quitte à ce que celles-ci ne vivent pas dans la ville ou à proximité de la mosquée concernée. Mais parce que ces personnes paient la cotisation, elles deviennent membres de l’association cultuelle par la force des choses et peuvent alors jouer de leur nombre pour assurer la victoire des Frères musulmans. 

La mosquée de Villeneuve-d'Ascq, que je connais très bien, a fait l’objet d’un putsch entre 1999 et 2000, il y a 23 ans. Sans l’intervention de la préfecture, survenue l’année passée sur la base de soupçons de détournement de fonds de privés et d’abus de confiance, je suis convaincu que l’équipe serait encore en place. La longévité dont jouissent ces équipes cultuelles n’est égalée que dans les dictatures arabes. Certaines mosquées sont gérées par les mêmes personnes depuis le début des années 1980, qui passent de trésorier à secrétaire puis de secrétaire à trésorier pour pouvoir garder leur place. C’est un vrai jeu des chaises musicales.

En 2014, le frère Mohamed Karrat prêchait contre l’Etat hébreu et les Israéliens. Dans quelle mesure ce discours, que vous avez par ailleurs analysé sur votre site, permet de mieux comprendre l’idéologie frériste du Hamas ?

Les Frères musulmans, et Mohamed Karrat en a fait l’écho dans son prêche de 2014, considèrent la question palestinienne comme un sujet essentiel. Elle est fondamentale et pourrait être considérée comme plus importante que le dogme religieux. Cela n’est pas étonnant : c’est un sujet qui permet de se victimiser, de galvaniser et de se placer comme le défenseur de la cause islamique, des lieux sacrés musulmans. Derrière tout cela, on retrouve bien évidemment la part antisémite de l’idéologie.

Il est important de réaliser que même si la question palestinienne n’existait pas, les Frères musulmans trouveraient tout de même le moyen de répandre l’antisémitisme. Que ce soit au sein de leurs cercles de formations fermés ou dans leurs activités, de façon détournée. Les textes religieux, du Coran ou du Hadith, pré-datent considérablement la question palestinienne. Ils comportent une part d’antisémitisme importante et sont responsable de sa diffusion.

La question palestinienne, pour les Frères musulmans, n’est qu’un alibi. Avec ou sans, l’antisémitisme fait partie de l’idéologie islamique, depuis quatorze siècles. 

Comment combattre ce genre de mouvance, au juste ?

Je ne prétends pas détenir la solution absolue. Pour autant, j’ai beaucoup réfléchi à cette question. 

Tout d’abord, il y a le niveau sécuritaire, mais il atteint très vite ses limites parce qu’il permet aux Frères musulmans de se victimiser davantage et donc de facilement galvaniser leur troupe, de gagner d’autres à leur cause. Comme toutes les idéologies, la ligne des Frères musulmans ne va pas disparaître. Les idées voyagent, elles connaissent une apogée, puis des retombées mais c’est un phénomène cyclique. C’est pourquoi je crois que la démarche sécuritaire, si nécessaire soit-elle à court terme, ne peut être suffisante.

Il faudra bien sûr déraciner ce qu’on peut déraciner, taper les fondations. Evidemment, cela n’a rien de facile et cela va faire mal. Mais il ne faut pas perdre de vue que la France souffrira que l’on s’attaque à l’islamisme ou non. Mieux vaut, dès lors, opter pour une attitude combative contre les Frères musulmans et assurer l’unité nationale par la suite plutôt que de se contenter de demi-mesures qui ne permettent pas de combattre l’idéologie, le réseau ou la diffusion de leur discours. Les Frères musulmans n’auront alors qu’à attendre un meilleur moment pour se dévoiler.

On peut aussi parler de la nécessité de faire émerger un contre-discours sur ce qu’est le bon ou le mauvais Islam mais force est de constater que ce n’est pas à la République Française de statuer là dessus. Cela ne fait pas partie de ses prérogatives. C’est pourquoi les citoyens français musulmans doivent jouer leur propre rôle, qui consiste à se désolidariser, à protéger leurs enfants en ne les plaçant pas dans les mosquées et les écoles que gèrent ces gens-là, ne pas hésiter à quitter une salle de prière quand des propos antisémites, anti-France ou anti-occident y sont tenus. Les élites et les intellectuels musulmans doivent se prononcer sur ces questions, sans attendre de potentiels attentats. C’est un travail de longue haleine qui n’est pas fait. 

Il n’existe pas seulement un djihadisme d’atmosphère, comme l’expliquait Gilles Kepel. Il y a aussi, en amont, un véritable islamisme d’atmosphère. Le Maroc l’a bien compris et s’est organisé politiquement pour que les islamistes travaillent involontairement à leur propre éradication politique, en pointant les incohérences (à l’aide de la presse locale) et les hypocrisies entre le discours et la pratique réelle de ces personnes. Cela a permis de les discréditer électoralement. Peut-être devrions-nous nous en inspirer. Une chose est sûre : nous ne devons pas nous résigner. Il faut s’attaquer à ce problème et cela ne peut plus se faire dans la douceur. Nous aurions pu le faire dans la douceur dans les années 80-90. Aujourd’hui, il faut désormais payer le prix.

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