Mixité sociale à l’école : les dangereuses erreurs intellectuelles de Pap Ndiaye<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, avec Emmanuel Macron
Le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, avec Emmanuel Macron
©Sebastien NOGIER / POOL / AFP

Revoir sa copie...

Pap Ndiaye, le ministre de l'Éducation nationale, s'est récemment exprimé sur le manque de mixité sociale au sein des écoles privées. Il a dit souhaiter plus "d'engagement" de la part de ces établissements et a même évoqué des "objectifs chiffrés"...

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

Voir la bio »

Atlantico : Pour Le Figaro, Pap Ndiaye est revenu sur les différents enjeux qui secouent l'Éducation nationale en matière de mixité sociale à l’école. Que penser de son analyse de ces enjeux ?

Erwan Le Noan : Le ministre part d’un constat probablement exact, mais doublement incomplet, et en tire de très mauvaises conclusions.

Il constate en premier lieu qu’il y a un problème de mixité sociale en France. Ce constat souffre de deux manques.

Il manque d’abord à son analyse l’explication qui démontre pourquoi le déficit de mixité sociale est un sujet qu’il faut traiter. Pourquoi est-il important que, dans nos écoles, les milieux sociaux se mélangent ? Cela peut être pour favoriser la construction du sentiment collectif, important pour la communauté nationale. Cela peut être aussi pour des motifs de performance : la mixité sociale permet aux élèves de mieux réussir. Cela peut être pour les deux aussi.

Il manque ensuite un autre élément dans son constat : la qualification de ce déficit de mixité sociale. Est-ce qu’il concerne le système éducatif en général ? Le secteur public ? Le secteur privé ? Est-on en mesure de l’expliquer ? Comment s’explique ce manque de mixité ?

Une première étape d’explication est que les familles qui le peuvent fuient les établissements publics sinistrés. Celles qui peuvent suivre cette stratégie sont celles qui ont le plus de capital financier (les plus riches – et en réalité, souvent, il s’agit des moins pauvres) ou de capital intellectuel (il y a dans beaucoup de villes des établissements qui sont connus parce qu’ils accueillent un grand nombre d’enfants d’enseignants qui savent choisir les bonnes options pour aller dans les meilleures écoles).

Une seconde étape d’explication est de comprendre pourquoi les établissements publics n’attirent pas… C’est un peu court de laisser entendre que ce serait parce que les familles qui vont dans le privé ont, en gros, peur des pauvres…

Comme il ne fait pas cet effort de clarté, le ministre en tire, en second lieu, des recommandations erronées, en prétendant qu’il faut demander aux établissements privés de faire des efforts.

En attendant « un engagement » des écoles privées, n’essaie-t-il pas  de reporter sur le privé les problèmes que le public s’est auto infligés ? Risque-t-il d’y reproduire les mêmes effets ?

Le ministre désigne les établissements privés comme étant, implicitement, fautifs : il se trompe de cible. D’abord, parce que le déficit de mixité sociale dans les établissements publics ne vient pas des errements du privé, mais des lacunes du public. Ensuite, parce que sa mesure sera au mieux un gadget, qui ne résoudra rien aux problèmes structurels du secteur public. Enfin, parce qu’il semble partir du principe que les établissements privés n’ont pas de mixité sociale, ce qui est inexact.

Sur les problèmes de mixité sociale de l’Éducation Nationale, les propositions de Pap Ndiaye peuvent-elles faire autre que s’attaquer aux symptômes là où il faudrait traiter les causes ?

En réalité, il ne s’attaque même pas aux symptômes. Il n’en vise que quelques-uns, parce qu’ils concernent le secteur privé. Quel est l’imaginaire implicite auquel il fait appel ? Celui selon lequel, le privé, c’est les riches. C’est caricatural.

Si on veut parler d’égalité des chances : dans les statistiques, les enfants d’enseignants s’en sortent souvent (un peu) mieux que les enfants de CSP+. Faut-il sanctionner les enseignants pour cela ?

Ce discours est-il cohérent et crédible de la part d’un ministre de l’Éducation Nationale qui a inscrit ses propres enfants dans la prestigieuse École Alsacienne ?

Evidemment non… Si le ministre estime que la mixité sociale implique un effort de chacun, on attend qu’il envoie ses enfants dans un lycée d’une banlieue difficile parisienne.

Chacun comprend pourquoi il ne le fait pas : parce qu’il veut le meilleur pour ses enfants. C’est fort légitime. Le problème, c’est que la déconnection entre ses paroles et ses actes renvoie l’idée qu’il veut bien faire de la mixité sociale, mais uniquement avec les enfants des autres ; il veut bien faire des expérimentations sociales, mais pas avec ses enfants. Pourquoi faut-il toujours commencer par les enfants des autres, l’argent des autres, le bien des autres ? C’est d’une hypocrisie insupportable et, pire encore, c’est destructeur de la confiance politique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !