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Merkel 1, Macron 0 : Emmanuel Macron perd une première bataille majeure dans le rapport de force avec l’Allemagne (et la “guerre” paraît mal engagée...)
©Capture Couverture Der Spiegel

Hollandisé

Là où Sarkozy et Hollande avaient échoué, Emmanuel Macron se promet de réussir. Mais Angela Merkel a su montrer au nouveau Président français qu'il ne s'agirait en aucun cas d'une promenade de santé.

Xavier Timbeau

Xavier Timbeau

Xavier Timbeau est directeur du département "Analyse et prévision" à l'Ofce.

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Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi

Maxime Sbaihi est économiste, directeur général du think-tank GenerationLibre.

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Atlantico : Angela Merkel a déclaré que le "soutien allemand ne pouvait remplacer les réformes françaises" et qu'elle ne voyait pas pourquoi l'Allemagne devait en priorité changer sa politique. Alors que la première visite officielle du nouveau Président devrait le mener comme son prédécesseur à Berlin, l'Allemagne n'essaye-t-elle pas de calmer les espoirs français et enthousiasmes allemands pour ce nouveau président afin de négocier en position de force ? Angela Merkel n'a telle pas déjà "tirer la première" comme elle avait pu le faire auparavant, dès le début du quinquennat Hollande? 

Xavier Timbeau : Angela Merkel exprime là une position qui n'est pas nouvelle pour l'Allemagne et pour elle. Celle-ci consiste à rejeter l'analyse selon laquelle l'Allemagne serait responsable des misères de l'Europe, et les excédents courants allemands seraient un problème que l'Allemagne devrait résoudre pour apporter du soulagement au reste de l'Europe. Le gouvernement d'Angela Merkel rejette cette thèse, alors que ce dernier est soumis à diverses pressions de la Commission Européenne, de différents partenaires européens, du FMI ou de l'OCDE. Tous ont, eux aussi, pointé du doigt cette dimension-là. Donc de ce point de vue, Angela Merkel ne s'éloigne pas de la ligne qui a été tracée précédemment. Il y a quelques jours, Wolfgang Schäuble s'est exprimé sur ce point. Il disait que la seule source de l'excédent allemand était la politique de Quantitative Easing de la BCE. Lui-même était opposé à cela. Dès que ce Quantitative Easing arrêterait, l'excédent Allemand ne serait plus un problème pour le reste de l'Union Européenne. Angela Merkel ne montre qu'une seule chose : une grande cohérence du message que les Allemands passent à la France et à l'ensemble du monde sur leur politique. 

Maxime Sbaihi : Pour comprendre Angela Merkel, il faut se mettre à sa place, et voir qu'il y a deux choses qui rentrent en compte pour elle. Tout d'abord, elle a elle-aussi une échéance électorale dans quelques mois. Elle cherche à l'emporter, et c'est même actuellement sa priorité absolue, bien avant le nouveau Président français. L'AfD et surtout le FDP (libéraux qui sont assez sceptiques sur l'euro)) montent en puissance, et le FDP pourrait en plus être un potentiel partenaire de coalition pour Angela Merkel. Dans ce contexte-là, elle n'a pas forcément envie de négocier ou envoyer des signaux positifs au nouvel exécutif français. Et il faut savoir que de toute façon elle est en position de négociation, elle n'a donc pas tellement intérêt à montrer tout de suite de l'enthousiasme à son partenaire. Elle est une fine tacticienne, et va certainement faire preuve de prudence et patience comme à son habitude avant de faire de vraie déclaration de soutien au Président Macron (là où elle pouvait le faire sans difficulté au le candidat). Il faut donc interpréter tout ce qu'elle dit dans ce contexte-là, celui des négociations et des élections.

Cela n'empêche pas pourtant de noter quelques points très positifs dans sa future relation à Macron. Elle l'a soutenu, l'a reçu à la Chancellerie et à même affirmé qu'elle souhaitait sa victoire dans un interview au Berliner Zeitung lors de l'entre-deux tours. C'est quelque chose d'assez fort. Cela fait cinq ans qu'elle attend cela de la part de la France : une main tendue, une opportunité et le mandat de François Hollande a été en ce sens un réelle déception. Et ce d'autant plus que Macron arrive à l’Élysée avec un autre discours que Hollande. Ce dernier était au début de son mandat moins européen, moins actif que son prédécesseur. Emmanuel Macron n'a pas tenu le même discours lors de sa campagne. Macron a beaucoup de réseau à Berlin. Il s'y est rendu officiellement à plusieurs reprises. Il a des relais très importants sur place. Certains cachent donc à mon avis leur joie à Berlin pour ne pas sortir de leur posture de négociateur. Ils sont prêts à lui accorder le bénéfice du doute. Mais ils veulent des preuves, car il y a eu beaucoup d'espoirs déçus avec Sarkozy et Hollande par le passé. C'étaient de grandes espérances qui se sont transformées en petites déceptions. Même si elle est prête à laisser la porte ouverte sur plusieurs projets, il y a toujours une certaine joie prudente à la Chancellerie. Il faut noter qu'un journaliste lui avait demandé récemment ce qu'elle pensait de la création d'un fond d'investissement commun mis en avant par Gabriel, et elle n'avait pas dit non. Une porte semble ouverte, mais elle l'est discrètement.

L'équipe du Président serait divisée sur la question allemande. Il y a quelques mois il prêchait lui-même le chaud et le froid, critiquant la politique de consolidation budgétaire allemande tout en plaidant pour des réformes structurelles rapides pour "restaurer la confiance". Quel attitude et donc quelle stratégie peut-il adopter face à l'Allemagne dans les prochaines semaines ? Quelles devraient être les priorités françaises dans l'équilibre franco-allemand?

Xavier Timbeau : On ne pourra pas faire bouger les Allemands, comme certains aimeraient le penser, en les obligeant à accepter une relance de leur économie et à prendre en compte la conjoncture européenne. Les efforts de la Commission Européenne pour parler du fiscal stance –de la politique budgétaire au niveau de la zone euro- se sont heurtés à une fin de non-recevoir de l'Allemagne, qui considère que, de ce point de vue-là, elle a le droit de mener les politiques qu'elle souhaite, dans son intérêt, et qu'elle ne va pas se plier à des considérations européennes. On n'arrivera pas à faire faire des choses aux Allemands contre leur intérêt, et contre leur gré. Ce que Emmanuel Macron avait pu suggérer quand il était ministre de l'Économie, qu'il pouvait y avoir une sorte d'échange où la France accepterait de faire des réformes structurelles, et l'Allemagne ferait un plan d'investissement n'a pas de sens politiquement. La seule chose que l'on pourrait obtenir des Allemands, serait d'essayer de briser la question de l'unanimité en Europe qui revient de faite à donner beaucoup de pouvoir au conseil de l'Europe, et d'aller vers une forme de décision plus démocratique en Europe. C'est un principe de démocratie auquel sont sensibles les allemands. L'intérêt des allemands d'avancer sur l'harmonisation fiscale, ou d'un impôt plancher sur les sociétés en Europe, peut leur donner envie de soutenir des règles de décision en Europe qui ne soit pas l'unanimité de chaque État membre, mais d'autres formes de décisions passant soit par le parlement européen, soit par une assemblée ad hoc de la zone euro par exemple. 

Maxime Sbaihi : Je pense qu'il faut privilégier la logique du donnant-donnant. Macron sur ce point a été assez clair lors de sa campagne, ce qui lui permets d'avoir de la crédibilité. Il a clairement eu un discours affirmant qu'il fallait clairement que la France reconnaisse ses lacunes avant de critiquer celle des autres. Ce que les Allemands ont apprécié. Ils ont l'habitude d'entendre les critiques des autres sans que la France n'écoute sérieusement ce qu'ils demandent. En ce sens Macron est assez novateur.

La stratégie a adopter est une attitude de patience et de bonne volonté. On ne peut pas demander à la chancelière de changer d'attitude juste avant les élections. L'équipe de Macron le sait. Tout ce qui va sortir, tous les commentaires allemands des quatre prochains mois sont à prendre avec des pincettes. Du côté de la France, il va falloir commencer par montrer des gages de sérieux. Le point crucial est celui de la réforme du marché du travail, que Macron a promis de mener dès cet été et par ordonnances. Cela serait un signal fort envoyé à l'Allemagne. Le terrain serait bien préparé pour l'après-élection, peu importe le vainqueur d'ailleurs, SPD ou CDU.

Il y a beaucoup de choses sur lesquelles ils peuvent être d'accord, et stratégiquement il serait intelligent de mettre ces dossiers sur la table en premier. Tout d'abord le Brexit, qui met d'accord Macron et tous les prétendants à la Chancellerie. Macron a promis des réformes structurelles, et ils sont plutôt d'accord avec ce pan du programme. Et la proposition de fond d'investissement n'a pas l'air de déplaire à Angela Merkel. Après on pourra passer aux sujets qui fâchent. Ce n'est pas pour rien que Macron n'a pas parlé des Eurobonds pendant la campagne.

Les excédents commerciaux allemands sont encore au plus haut au premier trimestre de 2017; une situation qui est presque unanimement critiquée à l'international, notamment de la part des États-Unis (la critique passant de Ben Bernanke à Donald Trump). La situation commerciale allemande est elle encore défendable par Berlin ? Ses défenseurs, comme Wolfgang Schäuble, sont ils véritablement susceptibles de "lâcher" sur ce point ?

Xavier Timbeau : C'est une ligne assez dure pour les Allemands. Ces derniers ne veulent pas rentrer dans le débat de la responsabilité de leurs excédents courants, et ne veulent pas mettre en œuvre des politiques pour baisser ces derniers, à part peut-être l'appréciation de l'euro. C'est à peu près le seul levier qu'ils pourraient accepter et considérer favorablement. Pour eux, cette question-là n'est pas un problème. C'est le résultat de la grande performance de la compétitivité de l'Allemagne. Ceci étant dit, les américains, avec à leur tête Donald Trump, ont un peu changé la donne. Ils menacent d'exercer des rétorsions sur l'Allemagne, ce qui risque d'alimenter un débat un peu pervers en Europe, déjà alimenté par Wolfgang Schäuble qui fait la connexion entre le quantitative easing et l'excédent commercial. Celui-ci voudrait détourner la pression américaine, pour la reporter sur la banque centrale européenne et l'abandon du quantitative easing. 

Maxime Sbaihi : Effectivement, c'est le sujet sur lequel l'Allemagne est constamment attaquée. Macron a ouvertement critiqué ses surplus. Les surplus sont un problème pour la région tout comme pour l'économie allemande. Quand on regarde la croissance allemande on observe que la consommation intérieure est trop faible et provoque ce déséquilibre. Il y a dans une certaine mesure un problème de politique budgétaire (le fameux 0% auquel tient énormément Schaüble). Ils argumentent généralement en parlant d'un problème de démographie. Ils se donnent aussi des règles budgétaires très strictes sur la dette. Si Merkel gagne cette élection, peut-être qu'elle reconduira Schaüble. Il y a de grandes chances, et c'est un problème pour les surplus, surtout quand on voit le niveau d'investissement publics dans l'économie allemande, qui est très bas. L'infrastructure est aussi en fort état de détérioration. L'Allemagne, à force de mener sa politique d'équilibre budgétaire est en train de compromettre son futur économique. Le seul problème est celui des salaires, qui malgré une économie de plein emploi, n'augmentent pas assez. Mais sur ce point Schaüble ne peut pas grand chose. C'est le mystère central de l'économie allemande. Cette situation contredit totalement la théorie. Cela fait plusieurs années que cela dure. Les accords signés lors des dernières négociations salariales ont montré que sur ce point ce n'était pas très prometteur.

Cela ne changera pas du jour au lendemain, et il est difficile de penser que la France puisse faire changer l'Allemagne dans ce contexte. 

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