Mémoire en ligne : ces psychologues qui s'inquiètent de la manière dont Facebook façonne nos souvenirs<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Style de vie
Mémoire en ligne : ces psychologues qui s'inquiètent de la manière dont Facebook façonne nos souvenirs
©Reuters

(not) Total Recall

Poster des photos de nos vacances, de nos bons moments sur Facebook est devenu un réflexe chez une majorité de personnes. Une étude récente d'un professeur en psychologie d'Harvard, affirme que cela permet la création de faux-souvenirs.

Antoine Tanet

Antoine Tanet

Antoine Tanet est neuropsychologue au service Psychiatrie à la Pitié-Salpêtrière, doctorant dans le laboratoire ISIR (Cnrs-Paris VI). Il exerce aussi en libéral à Tours.

Voir la bio »

Atlantico : Comment expliquez-vous ce phénomène de faux souvenirs ?  

Antoine Tanet : Quand vous demandez à deux personnes de raconter un événement, il y aura toujours des variations dans ce qui est dit. C'est un phénomène que l'on vérifie systématiquement. Mais de là à parler de faux souvenirs... Je ne pense pas.

Les personnes en situation de détresse sociale sont généralement plus actives sur les réseaux sociaux et sont donc plus exposées. Le risque de voir leur version des faits contredite augmente forcément. Il faut prendre en compte aussi l'état psychique dans lequel la personne se trouve au moment de publier une photo. On revient toujours à la question du jugement social, et plus seulement de perception ou de construction mnésique.

Au moment de choisir une photo, au moment de la construction, le décalage entre la réalité des faits, et la perception de l'instant, peut-être plus ou moins important. Quand on prend une photo on ne capture pas seulement un instant, on construit une histoire, c'est le principe même de la photographie d'ailleurs. Ça fait partie du jeu, et aujourd'hui, tout le monde le sait. Tous les utilisateurs de réseaux sociaux savent que les publications qu'ils voient sont des objets très construits. Choix de l'angle, pose de filtre, recadrage… Tout est fait pour que ça traduise notre sentiment au moment cela a été prise. Mais est-elle fausse pour autant? Au niveau des faits oui, c'est un travestissement, mais au niveau psychique c'est presque une forme de discours. Un discours qui a un sens quand on regarde ça avec un certain recul. Mais c'est certain que ce n'est pas la réalité.

Atlantico : La sélection qualitative des photos postées sur les réseaux sociaux permet d'éliminer les mauvais moments de notre mémoire. Cela traduit-il une volonté inconsciente d'édulcorer nos souvenirs ou est-ce le signe de la faiblesse de nos mémoires ?

De manière générale, quand notre mémoire fonctionne correctement elle conserve les bons souvenirs. Cela a déjà été prouvé à maintes reprises. Elle ne transforme pas nécessairement les faits, mais elle a tendance à laisser de côté le désagréable au profit de l'agréable. Elle est écologique dans un sens. A l'inverse, cela pose problème aux hyper-mnésiques, qui se retrouvent en souffrance à cause de leur mémoire aiguë.  

Cela s'accentue avec les nouveaux médias, pas par la possibilité de produire des photos en quantité qu'ils permettent, mais par leur capacité à filtrer et améliorer facilement le rendu des photographies, ce qui permet de créer une belle version de ce que l'on est en train de vivre immédiatement. De là il y a deux interprétations possibles. On peut se dire que la personne a voulu se créer un meilleur souvenir, ou alors qu'il a donné sa perception en temps réel du moment qu'il a vécu. La perception varie énormément d'un individu à l'autre et cela se constate dans les nouveaux médias. Quand on regarde les photos des autres, on s'aperçoit qu'on a tous envie d'avoir de beaux souvenirs, mais on les focalise tous sur des choses différentes. 

Je ne pense que cela soit le signe d'une quelconque faiblesse. Mais plutôt le reflet d'une attitude positiviste. Il faut penser que la publication de photos sur les réseaux sociaux n'a pas uniquement une fonction mnésique, mais aussi identitaire, on cherche à se présenter aux autres sous un angle favorable. Avec ces deux facteurs conjugués ça ne me semble pas étonnant qu'on se concentre sur uniquement sur les faits positifs.

Si faiblesse il y a, c'est plutôt au niveau social. Des études montrent que plus il y a de publications sur les médias sociaux, moins il y a de relations sociales.  

Si les réseaux sociaux ont effectivement la capacité de restructurer notre mémoire, quel risque cela peut-il avoir sur notre façon de penser ?  

Il est difficile de répondre honnêtement et scientifiquement à cette question. Il faudrait pouvoir comparer dans le temps, la façon dont les gens se rappellent leurs souvenirs. C'est extrêmement délicat d'affirmer aujourd'hui que la possibilité de pouvoir publier beaucoup de photos bien travaillées puisse détériorer notre perception des événements. On est face à une grande incertitude. Il y a un cas précis qui m'interpelle c'est celui des enfants qui aujourd'hui ont la possibilité très jeunes de voir des photos et vidéos d'eux avant même 1 an et ce jusqu'à 3-4 ans. Ils vont donc avoir des rappels mnésiques de leur petite enfance, ce qui était complètement impossible auparavant. Là je pense qu'il y a quelque chose qui modifie la mémoire de soi dans le temps, ce qui n'existait pas auparavant dans l'histoire de l'humanité! On ne sait pas encore quels en sont les effets, mais cela mérite une étude.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !