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Même pas peur, les GAFA... Le coup d’éclat de Thierry Breton contre l’impérialisme américain ne sera pas suivi d’effets. Et voilà pourquoi 
©Olivier Matthys / POOL / AFP

ATLANTICO BUSINESS

Le coup de force risque bien d’être qu’un coup d’épée dans l’eau. La stratégie européenne sur la régulation des GAFA a été dévoilée hier. L’Europe va durcir le ton dans son rapport aux géants du numérique, ce qui suscite plusieurs interrogations. Le consommateur, lui, n’en profitera guère.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Tout le monde en veut aux géants du numérique. Les États-Unis ont tout récemment lancé deux procédures contre Google et Facebook, et l’Europe, qui n’a vu aucun de ces géants naitre sur son sol, essaie de laisser une chance à d’autres acteurs de se faire une place sur le marché européen de l’Internet.

« Le succès vous oblige» lance Thierry Breton aux géants de la tech, lançant ainsi l’offensive européenne en la matière, avec la mise au point de cette réglementation du secteur numérique. Avec Margrethe Vestager, ils sont les deux Commissaires européens montés au front pour présenter Digital Act, premier règlement européen à s’attaquer au secteur numérique dans son ensemble depuis les années 2000 où l’on avait régulé le e-commerce. Derrière ce nom : l’objectif est mettre fin à la domination des GAFA, accusés de verrouiller le marché. Il y aura des interdictions, des obligations et de la régulation, notamment de contenus. Ce n’est pas une directive qui doit être discutée et transposée dans chaque Etat, c’est un règlement qui s’impose directement à eux.

Les ambitions de l’Union européenne sont louables puisqu’il s’agit de rétablir une concurrence loyale entre les acteurs du numérique, de lutter contre la diffusion de contenus haineux ou de fausses informations et de faire la transparence sur les données recueillies et utilisées par ces plateformes. Les solutions sont moins innovantes, puisque les risques encourus sont d’abord financiers, avec la mise en place d’amendes plus élevées que ce qui pouvait exister. Vient ensuite la menace d’une interdiction ou d’un démantèlement de ces entreprises en cas de récidive.

La première question qui se pose est de savoir si l’Union européenne est assez puissante pour imposer ce qu’elle préconise.

Le règlement du Digital Market Act souhaite par exemple s’attaquer aux monopoles, via les acquisitions de ces géants. Des jeunes pousses qui sont rachetées dans l’œuf, avant qu’elles ne deviennent des ;, concurrents sérieux. C’est une pratique qui vient asseoir la puissance des plus gros acteurs, au détriment des plus petits. L’Europe voudrait conditionner les rachats d’entreprises, avec dans le viseur, Facebook qui s’est emparé de Instagram ou de WhatsApp. Comme c’est le cas pour des entreprises européennes qui veulent se rapprocher, par exemple la récente fusion entre PSA et Fiat Chrysler, la Commission européenne devra se prononcer sur cette opération.

La question qui se pose est de savoir comment l’UE pourrait-elle empêcher un rachat de deux sociétés qui sont américaines ? Doit-on séparer une entité européenne du reste de l’entreprise ? 

Thierry Breton a seulement martelé que « l’Europe régulait l’espace numérique, conformément à ses valeurs ». Ses valeurs, mais aussi sa vision de la concurrence. Le droit européen de la concurrence s’attaque aux concentrations d’entreprises dans le seul but officiel de protéger le consommateur en plafonnant les parts de marché. L‘Europe, plus libérale que les libéraux anglo-saxons, considère que la concurrence entre les acteurs d’un secteur est une garantie de qualité et de prix bas pour le consommateur. Donc sur un marché donné, l’Europe va interdire une concentration d’entreprises pour éviter le risque de monopole et donc de conditions nuisibles pour le consommateur. Cette pratique est sans doute à l’origine de la faiblesse des groupes européens et particulièrement français. En Europe, une entreprise ne peut pas grossir au-delà d’un niveau qui lui ferait dépasser 30 ou 40 %, puisque la Commissaire à la concurrence, précisément Margrethe Vestager, interviendrait. Cette règle s’est imposée dans la distribution, dans l’électronique, dans les gros équipements ménagers, chez les opérateurs téléphoniques et dans l’automobile. Le résultat, c’est que l’Europe a eu du mal à constituer des groupes mondiaux parce que, pour régner au niveau international, il faut déjà régner chez soi. Par ailleurs, cette règle ne s’applique pas aux entreprises étrangères quand elle se marient entre elles. 

Le deuxième sujet pose donc , la question de la place du consommateur.

Est-ce qu’il a profité de la défense de cette concurrence ? Dans la téléphonie mobile, le consommateur a bénéficié de l'arrivée de Free, qui est venu déranger l’oligopole d’origine (Orange, Bouygues et SFR) et qui a entrainé une guerre des prix. Ceci étant, cette guerre des prix a entrainé un écrasement des marges et une difficulté des opérateurs pour investir et équiper l’ensemble du territoire français. L’abonné d’une grande métropole a trouvé un abonnement correct à un prix attractif... L’abonné de la campagne a souvent eu du mal, lui, à trouver un réseau qui fonctionne correctement. Autre résultat, la France n’est pas le pays le plus avancé en accès 5G. 

Dans beaucoup d’autres secteurs, le consommateur n’a rien gagné au contraire. Dans la grande distribution, les enseignes se battent sur les produits de base en agro-alimentaires mais font leur marge sur le reste. 

L’application du droit de la concurrence a entrainé la disparition d’entreprises, parce que trop petites, ce qui a favorisé les délocalisations. Alors indirectement, le consommateur en a profité pour acheter du made in China effectivement moins cher, tout en prenant le risque du chômage. 

Le bilan des règlementations européennes en termes de pouvoir d’achat est très ambiguë. Thierry Breton avait promis, en arrivant à la Commission, de s’attaquer à ce problème structurel dont il était bien conscient, mais il n’a rien fait.

La troisième question porte sur le rôle pervers de la RGPD, un autre aspect du numérique où l’Europe a eu l’obsession de protéger leurs données personnelles, et leur sacro-sainte liberté individuelle. L’Europe a-t-elle agi dans l’intérêt des Européens ?

Pas si sûr, quand on voit ce qu’est devenu cette grande réglementation européenne relative aux données. Le RGPD a été lancé en 2018 pour protéger la confidentialité des informations personnelles des internautes lors de leur navigation sur le web. Toutes les entreprises officiant en Europe ont dû s’y plier, et le bénéfice du consommateur n’y a pas gagné. Résultat : la navigation est devenue parfois très périlleuse, avec des multitudes de conditions à accepter pour pouvoir accéder à n’importe quel site ou page Internet. Une vraie lourdeur supplémentaire, et le consommateur européen ne s’est pas retrouvé plus conscient ou plus protégé de la divulgation de ses informations. 

Ne parlons pas des difficultés que la RGPD a posé dans la lutte contre le covid. A chaque fois que la France, par exemple très pointilleuse sur le respect de la liberté individuelle et la protection des données personnelles, a voulu appliquer des mesures pour repérer les cas contaminés par le Covid afin de protéger la population, toutes ces mesures ont avorté dans l’œuf, sur l’autel de la protection des libertés. Pas question de localiser les clusters, pas question de tracer les chaines de contamination, pas question de sortir une application de reconnaissance, pas question de rendre obligatoire le dépistage et d’imposer l’isolement... 

Et pendant que nous étions incapables de pister et d’isoler les malades, les Gafam, eux, étaient toujours parfaitement capables de savoir ce que nous avions mangé la veille, où nous étions allés faire des achats et quel type d’achat, d’analyser nos appels mobiles et nos achats via les cartes de paiement, parce que c’est l’essence même de leur fonctionnement. Ca déroute peut être l’Europe, mais le consommateur y reste encore très addict.

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