Maya Khadra : « L’islamisme et ses idiots utiles ont non seulement instrumentalisé les souffrances du peuple palestinien mais l’ont aussi éloigné de son récit national »<!-- --> | Atlantico.fr
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Des enfants se tiennent derrière des barbelés le long d'une pente près d'un camp abritant des Palestiniens déplacés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 30 avril 2024.
Des enfants se tiennent derrière des barbelés le long d'une pente près d'un camp abritant des Palestiniens déplacés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 30 avril 2024.
©AFP

Qui sont les marionnettistes ?

La violence et l’islamisme sont devenus donc des éléments constitutifs de la lutte pour la Palestine, affaiblissant ainsi l’identité nationale au profit d’une identité religieuse et exposant le sort des Palestiniens aux instrumentalisations politiques des mollahs et ses proxies.

Maya Khadra

Maya Khadra

Maya Khadra est enseignante et journaliste franco-libanaise, lauréate du Prix du journalisme francophone en zones de conflits en 2013 et ancienne journaliste à L'Orient-Le Jour.

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Atlantico : Si personne ne doute de la tragédie palestinienne, le récit d’un peuple palestinien toujours victimisé est-il la vérité ?

Maya Khadra : La tragédie en cours aujourd’hui rend indécente toute forme de glose sur le fait victimaire. Cependant, au-delà du drame de Gaza, je propose une prise de recul dans le temps pour répondre à votre question. L’« être-victime » dont a parlé longuement le père de la psychanalyse Freud est un phénomène psychologique qui pourrait frapper non seulement des individus mais aussi des groupes de personnes, en l’occurrence et dans le cadre de cet entretien : les Palestiniens. Ce concept repose sur un mécanisme infructueux ; celui d’enfermer la victime dans une place d’objet. L’enfermement de la victime dans son statut obsessionnel mène à un dilemme entre un désir d’affranchissement et son impossibilité due aux freins psychologiques qui susurrent à la victime qu’au cas où elle vaincrait son traumatisme, elle perdrait ses privilèges de victime. C’est ainsi que beaucoup de victimes se cramponnent à leur statut victimaire, souvent en le grossissant et en l’exagérant afin de maintenir un butin assez alléchant de « privilèges de victime » : solidarité et compassion, supériorité dans les guerres informationnelles et de communication et capacité à déstabiliser des catégories enclines à embrasser l’idéalisme victimaire comme les jeunes et certains mouvements de gauche inscrits traditionnellement dans une lignée insurrectionnelle comme on le voit aujourd’hui dans les mobilisations qui secouent les campus occidentaux aux Etats-Unis et en Europe. Si on se penche sur l’histoire des Palestiniens depuis la fin du XIXe siècle, nous trouvons qu’en se présentant comme victime, ce peuple a creusé lui-même davantage sa victimisation dans un phénomène improductif qui est allé de l’opposition et du refus de toute solution à deux Etats issue du partage du territoire en 1947 jusqu’à la justification du terrorisme islamiste du Hamas, au nom du combat du projet sioniste. Mais cette victime n’a-t-elle pas, elle-même, vendu des terres agricoles, souvent en jachère, au fonds national juif, entre autres ? La Société des Nations, qui a accordé le statut de Palestine mandataire, avait déjà stipulé que « l’administration de la Palestine encouragera, en coopération avec l’Agence juive, l’établissement étroit des juifs sur les terres, y compris et les friches non acquises à des fins publiques » (article 6). C’était bien avant la création d’Israël. Les Palestiniens étaient donc prévenus de cette condition, de par leur reconnaissance au sein de la Société des Nations. Cependant, il y a eu un narratif d’un peuple dépouillé de ses terres, parfois vrai dans certains cas, qui a estompé la vérité du fait historique. Il en a découlé un renforcement du statut victimaire qui a conféré une forme de supériorité morale des Palestiniens qui fait qu’aujourd’hui certains dénoncent le drame de Gaza en passant sous silence le 7 octobre comme hier les mêmes dénonçaient Sabra et Chatila en oubliant Damour ; massacre perpétré par les palestiniens contre des plusieurs centaines de civils chrétiens au Liban en 1978.

Aujourd’hui, Israël est présenté comme la principale source du malheur palestinien, mais combien y a-t-il eu de morts dans les conflits entre Palestiniens ou dans les conflits arabo-musulmans ?

C’est une question extrêmement importante. Si nous disséquons la genèse de la résistance palestinienne et ses relais aussi bien que son évolution, nous trouvons qu’elle nuit aussi bien aux Palestiniens qu’aux populations de pays avoisinants comme la Jordanie et le Liban. Septembre noir en est la meilleure illustration. Après avoir refusé la solution à deux Etats en 1947, les réfugiés palestiniens se sont organisés en Jordanie sous forme de groupes terroristes. Ils voulaient instaurer un « Etat dans l’Etat » en utilisant la Jordanie comme plateforme opérationnelle. Or, le roi hachémite Hussein, échappant à de multiples tentatives d’assassinat fomentés par les Palestiniens et n’acceptant pas cette atteinte à la souveraineté de son pays, mena une offensive durant 10 jours sur les camps palestiniens, à l’issue de laquelle les Palestiniens trouvèrent refuge au Liban et même en Israël. Et une partie de l’actuelle Jordanie devait faire partie de l’Etat arabe palestinien envisagé dans les différents plans de partage. Reprochons-nous aujourd’hui aux Jordaniens d’avoir colonisé une partie des territoires palestiniens ? Septembre noir fut la fin de l’OLP et du FPLP en Jordanie. Cela fut plus simple dans ce pays à majorité arabo-musulmane. Mais ceci ne fut pas le cas au Liban, pays multi-confessionnel où une guerre civile a éclaté avec l’armement des réfugiés Palestiniens et la division communautaire qui s’est opérée au sein du peuple libanais entre une majorité chrétienne opposée au projet de transformer leur pays en matrice du combat palestinien contre Israël et une majorité de musulmans embrassant cette cause. Pendant cette guerre civile, les combats sanglants eurent lieu non seulement avec les Libanais qui ont refusé que leur pays soit transformé en succursale de l’OLP mais aussi entre les Palestiniens eux-mêmes, leurs actuels supports (les chiites libanais et le régime syrien) et le Fatah de Yasser Arafat. Le bilan de cette guerre connue sous le nom de « guerre des camps » fut 4000 morts palestiniens et plus de 6000 blessés. Cette lourde facture humaine était le produit de déchirements internes. Rappelons aussi les récurrents bombardements du régime syrien sur les camps de réfugiés palestiniens. Et aujourd’hui à Gaza, le Hamas en refusant la libération des otages du 7 octobre ainsi que les différentes négociations continue à nourrir lui-même ce qu’il dénonce ; à savoir l’offensive israélienne. Mais l’emprise du Hamas sur Gaza ne date pas d’hier. A partir 2006, le Hamas, pour consolider son pouvoir à Gaza, élimina le Fatah lors de combats sanglants.

Quel est le rapport du peuple palestinien à la violence, indépendamment du comportement d’Israël ?

Je pourrais qualifier le rapport du peuple palestinien à la violence d’ « Ouroboros » ou le serpent qui se mord la queue. Le cycle de la violence semble être interminable du fait d’une incohérence dans la récit identitaire et national palestinien, d’une part et l’incapacité à faire émerger des voix pour la paix, non motivées par une haine revancharde, voire par l’antisémitisme, d’autre part. En effet, le fait victimaire s’est toujours traduit par des formes de résistance dont les inspirations sont radicales. Le fondateur du Fatah, aujourd’hui l’autorité palestinienne modérée par rapport au Hamas, fut Ahmad Choukairy le célèbre auteur du slogan « jeter les juifs à la mer » et principal allié du mouvement d’extrême-droite antisémite, « Jeune Europe », qui projetait de créer des brigades européennes afin d’assister les Palestiniens dans leur lutte antisioniste. La résistance palestinienne s’est vite vue projeter aussi dans le giron des Frères musulmans qui ont fait du conflit une matrice idéologique pour culpabiliser l’Occident colonisateur en galvanisant les musulmans. C’est dans cette optique que la République Islamique d’Iran s’est emparée de la « cause palestinienne » comme élément fédérateur de la « Umma musulmane ». L’islamisme a non seulement instrumentalisé les souffrances du peuple palestinien mais l’a éloigné aussi de son récit national. La cause palestinienne aujourd’hui a pour commanditaire une théocratie – celle des mollahs d’Iran, comme soutiens des organisations terroristes islamistes comme les Houthis au Yémen et le Hezbollah chiite au Liban et comme représentant le Hamas qui refuse tout processus de paix. La violence et l’islamisme sont devenus donc des éléments constitutifs de la lutte pour la Palestine, affaiblissant ainsi l’identité nationale au profit d’une identité religieuse et exposant le sort des Palestiniens aux instrumentalisations politiques des mollahs et ses proxies.

Quel impact a eu la cause palestinienne dans les pays où elle est devenue un enjeu national ?

Aujourd’hui, le conflit israélo-palestinien est importé en Occident au sein des grandes institutions éducatives. Partout, où les mobilisations se répandent, on entend rarement des appels à la paix ou au dialogue mais des slogans clivant et controversés comme « From the river to the sea » faisant fi de toute solution issue des instances internationales. Le statut de victime des Palestiniens sacralisé à l’échelle internationale a rendu le recours à la violence quasi légitime. La déstabilisation est donc la première conséquence du militantisme pro-palestinien qui a toute la légitimité d’exister. Sauf que nous sommes loin des manifestations pacifiques et plus proches que jamais d’une rhétorique antisémite qui s’instille de nouveau dans les discours et qui a même débordé en actes antisémites à l’encontre de quelques étudiants. A cet effet, j’aimerais citer l’étudiant palestinien Hamza Hawidi qui, après s’être réjoui de la solidarité mondiale vis-à-vis de Gaza et des Palestiniens, a vite abandonné ces mobilisations pour leur aspect radical et leurs slogans antisémites. La cause palestinienne n’a jamais été autant desservie que par les énergumènes qui prétendent la défendre.

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