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Masos ou menteurs : pourquoi les Français notent-ils si mal les émissions qu’ils regardent le plus ?
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Audimat et qualimat

France Télévisions vient de publier le top 20 des prime-times les plus appréciés, toutes chaînes confondues. Or, selon l'Institut Médiamétrie, les Français ne regardent pas les programmes qu'ils disent préférer. Explication de ce paradoxe.

Francis Balle

Francis Balle

Francis Balle est professeur de Science politique à Pantheon-Assas. Il est l’auteur de Médias et sociétés 18 ème édition, ed Lextenso et de Le choc des inculture , ed L’Archipel.

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Atlantico : France Télévisions vient de publier le top 20 des prime-time les plus appréciés toutes chaînes confondues, selon un baromètre Quali-TV réalisé par Harris Interactive. Des documentaires de France 2 et France 3, tels "Le plus beau pays du monde" et "Des racines et des ailes" arrivent en tête. Or, selon l'Institut Médiamétrie, TF1 a survolé le classement des audiences TV 2013 en réalisant 99 des 100 meilleurs résultats. Pourquoi les Français ne regardent-ils pas les programmes qu’ils disent préférer ?

Francis Balle Jamais, en ce qui concerne la télévision, les Français n’ont dit exactement ce qu’ils faisaient. Vis-à-vis de la télévision, les Français ont même une attitude extrêmement singulière.

La télévision comme média a été assez mal accueillie en France dans les années 1960. Elle a été considérée comme un outil mettant en péril la culture à laquelle sont légitimement attachés les Français. Parmi les preuves, beaucoup refusaient d’acheter un téléviseur avant que leurs enfants n’aient obtenu le baccalauréat, considérant par conséquent que la télévision était véritablement un obstacle à de bonnes études. De toute évidence, la télévision a été considérée come un outil, ou de propagande, ou de divertissement trivial et médiocre. Cette mauvaise réputation persiste, ce qui explique l’écart entre ce que les gens disent regarder et ce qu’ils regardent réellement.

Il est tout à fait explicable, sinon compréhensible, que les chaînes ayant la réputation de vouloir conquérir l’audience maximale avec des programmes peu exigeants (par peu exigeant, on entend thématique, spécialisé) recueillent moins de suffrages qu’elles n’en ont effectivement. En revanche, c’est très bien vu de dire que l’on regarde attentivement des programmes sur Arte ou des programmes exigeants du groupe France Télévisions.

Ce n’est pas véritablement un mensonge de la part des téléspectateurs mais il y a toujours des biais dans les réponses accordées par les personnes interrogées. La meilleur preuve est que, d’ailleurs, lorsqu’il s’agit d’intention de votes, les sondeurs professionnels appliquent des coefficients de rectification car les sondés déclarent volontiers adhérer à tel ou tel parti mais ne déclarent pas volontiers adhérer à d’autres partis politiques dont la réputation est plus sulfureuse. Il en va exactement de la même façon pour les sondages politiques et télévisuels

Toujours selon l'Institut, la part d'audience en 2013 de TF1 a progressé légèrement à 22,9% (+0,2% par rapport à 2012), tandis que celle de France 2 est à 14% (-0,9%) et France 3 à 9,5% (-0,2%). Que faut-il conclure de pareils chiffres ? En quoi l'offre proposée par TF1 convient-elles mieux aux Français qui prétendent préférer les programmes davantage intellectuels du secteur public ?

Une chaîne privée comme TF1 joue de plus en plus la carte de la chaîne la plus généraliste qui soit, cherchant par conséquent la fréquentation maximale, sachant que pour atteindre la fréquentation maximale, il faut des programmes fédérateurs et assez peu exigeants. Or, la politique poursuivie par la direction du groupe France Télévisions est de mettre l’accent sur des programmes ayant – surtout en prime time – des contenus passablement exigeants. On sait très bien que plus un programme est exigeant, moins il a de chances d’atteindre des audiences maximales. On peut très bien avoir un programme qui atteint 7 ou 8% de parts de marché avec, en revanche, des indices de satisfaction extrêmement élevés. Plus les indices de satisfaction sont élevés (ce qui veut dire que le gens se déclarent très attachés à la survie et à l’écoute de ce programme), moins ce programme risque d’avoir une audience étendue. Ainsi donc, qualité et quantité évoluent dans des sens opposés. 

Ces chiffres suivent-ils une tendance régulière ? Sont-ils amenés à évoluer ?

C’est probablement promis à évoluer pour la bonne et simple raison que TF1 joue la chaîne leader généraliste prêtant une extrême attention à la quantité, c’est à dire à l’étendue de son audience. C’est un choix éditorial parfaitement acceptable. Alors que, en revanche, poussées par des institutions comme le CSA et par des critiques professionnels de la télévision, les chaînes du secteur public jouent l’originalité, essaient d’avoir des programmes plus spécialisés. La conséquence mécanique de ce choix est que l’étendue de leurs audiences diminue. C’est la condition, depuis longtemps, de survie des chaînes publiques à mon sens.

Si une chaîne publique a une raison d’être, c’est précisément pour faire ce que les chaînes privées ne font pas ou faire autrement ce que les chaînes privées font déjà. Mais cela se fait évidemment au prix d’une diminution de l’étendue de l’audience. Il faut savoir ce qu’on veut. Si elles veulent survivre, c’est au prix d’une grande singularité par rapport aux chaînes privées dont l’ambition est de conquérir une audience maximale car elles ne sont financées que par la publicité. Les annonceurs, qui cherchent à faire connaître un produit ou un service, recherchent l’audience maximale. 

Les meilleurs scores de TF1 ont été enregistrés lors de la diffusion du spectacle des Enfoirés, de deux matches de football de l'équipe de France, et d'une déclaration de François Hollande. D'autres programmes semblent-ils émerger ? Que recherche aujourd'hui le téléspectateur ? 

Hormis le sport et les grands événements internationaux comme les funérailles de Diana ou de Mandela, par exemple, (ce vers quoi se tourne volontiers TF1), les programmes ne peuvent pas émerger. Même un film ayant connu un grand succès, comme la Grande Vadrouille, ne recrute plus de grandes audiences. Seuls les événements exceptionnels, comme le sport et les événements internationaux, peuvent rassembler des audiences extrêmement large.

Le téléspectateur sait que les grands événements sont sur TF1. Pour rune raison économique, les droits sportifs sont de plus en plus élevés. L’arrivée des chaînes payantes pour le sport a d’ailleurs renchéri les droits de diffusion des événements sportifs. Par conséquent, même la diffusion de Roland Garros n’est pas assurée à l’avenir sur une chaîne publique. Il faut le dire, les chaînes publiques ont des difficultés financières puisque jamais le législateur n’a eu le courage d’aligner la redevance sur ce qu’elle est dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne et plus encore Allemagne. Notre redevance n’est pas élevée. Par conséquent les chaînes publiques en France sont obligées encore de recourir, dans la limite de la législation, à la publicité.

Si la redevance n’augmente pas, les chaînes publiques vont être prises en tenaille avec des budgets de plus en plus serrés. Encore une fois, c’est la condition de la survie. Si les chaînes publiques veulent cultiver leur différence, elles ne peuvent pas ne pas avoir des programmes ambitieux. Et avec ce genre de programmes, elles  n’ont aucune chance d’avoir un palmarès aussi spectaculaire, aussi réconfortant, que TF1.

Les stratégies adoptées par le groupe France Télévisions sont les bonnes. Mais aujourd’hui la télévisions est consommée en différé, par d’autre voie, notamment par les procédés que permet l’informatique. Les grandes télévisions généralistes subiront un jour la concurrence de Netflix par exemple, c’est à dire un site qui proposera des programmes de télévision moyennant un forfait mensuel et où les gens consommeront ce qu’ils veulent, quand ils le veulent, à partir de tous les terminaux. Ce jour là est déjà arrivé aux Etats-Unis et arrivera en France.

Propos recueillis par Marianne Murat

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