Masculin, féminin : non, la langue n’est pas coupable, sexiste et mal intentionnée<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Szlamowicz publie « Le Sexe et la Langue » aux éditions Intervalles.
Jean Szlamowicz publie « Le Sexe et la Langue » aux éditions Intervalles.
©Frédéric Scheiber / Hans Lucas / AFP

Bonnes feuilles

Jean Szlamowicz publie « Le Sexe et la Langue » aux éditions Intervalles. Il ne faut pas confondre la langue et le sexe. Le genre des mots et le sexe des gens. Or, avec une déconcertante régularité, les débats de société mélangent volontiers le mot et la chose. Dernier avatar de ce manichéisme militant, l’écriture dite « inclusive » fait partie de ces outils idéologiques masqués par une apparente posture humaniste. Extrait 1/2.

Jean Szlamowicz

Jean Szlamowicz

Jean Szlamowicz est Professeur des universités. Normalien et agrégé d’anglais, il est linguiste, traducteur littéraire et est également producteur de jazz (www.spiritofjazz.fr). Il a notamment écrit Le sexe et la langue (2018, Intervalles) et Jazz Talk (2021, PUM) ainsi que Les moutons de la pensée. Nouveaux conformismes idéologiques. (2022, Le Cerf).
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L’efficace politique du récit est une construction rhétorique. Le militantisme du pseudo-féminisme veut inscrire dans la langue un tel récit, augmenté d’une repentance qui divise radicalement l’humanité. Si le débat de la féminisation avait eu lieu il y a 150 ans, on aurait pu lui accorder un certain crédit. Mais l’histoire a déjà tranché. Pour l’essentiel, l’émancipation juridique, politique et culturelle des femmes a déjà eu lieu — et ce malgré les formes grammaticales présentées comme masculinistes. C’est donc que ces formes n’ont pas l’influence qu’on fait semblant de leur accorder. Cela n’empêche pas les militants de hurler au risque socio-cognitif. La déconstruction facile étant devenue une pensée légitime et la rébellion en faveur des causes déjà gagnées un mode d’être, l’incohérence et l’inconséquence ne semblent pas gêner les professionnels de l’agitation. Ce qui compte pour les manipulateurs, c’est la place au soleil du pouvoir. Pour leurs disciples benêts, c’est la bonne conscience d’une citoyenneté à la pureté liliale : leur orthodoxie leur permet de hurler avec les loups tout en croyant appartenir aux bataillons de la rébellion. Les entrepreneurs et business (wo)men de la morale, unis dans une nébuleuse universitaire, associative, médiatique et politique aux allures contestataires mais en réalité représentante de cercles d’influence, utilisent la langue comme espace de revendication. En se proclamant autorité morale, ils génèrent une position de prescripteurs en attente de validation par les pouvoirs publics. Le business plan de l’entrisme politique est toujours le même : se poser en justicier et devenir le gestionnaire officiel d’injustices artificiellement entretenues.

En réalité, toute l’égalité du monde ne suffirait pas à éteindre des doléances de nature idéologique. En effet, dans ce cas comme dans certains autres, la dynamique de la revendication ne se fonde pas sur la réalité d’un rapport politique mais sur un fantasme. Interpréter les marques grammaticales comme «  ce que l’autre a » et dont on me prive et que la Loi pourrait rétablir, c’est céder au désir malsain d’imposer son manque à toute la société. Il se trouve que le climat idéologique victimaire actuel y incite. Il excite même à débusquer un besoin de complétude jusque-là inaperçu, sollicitant la part de frustration que nous avons tous pour la projeter dans la langue qui, bien sûr, « parle » à notre origine la plus profonde. Comme le rappelle le psychanalyste Daniel Sibony, « il y a des gens qui soudain manquent d’appui pour exister et qui, au lieu de basculer dans la déprime, se mettent à haïr celui dont ils pensent qu’il a cet appui, qu’il le leur a pris, ou volé ; et dans cette haine, ils trouvent l’appui qui leur manquait pour exister. » Mais voir le fait grammatical du genre comme un manque et une oppression est une construction psycho-sociale qui n’est pas fondée.

La pulsion de revendication et d’anticonformisme facile est manipulée par des agitateurs politiques. C’est comme si on ne cessait aujourd’hui de créer des causes identitaires pour satisfaire le désir narcissique d’embrigadement de chacun, tout heureu.se.x de se trouver soudain simultanément victim.e et justici.er.ère. La jouissance morbide de la dénonciation, la jouissance narcissique consistant à exhiber sa vertu en rédigeant le moindre mail conforme aux prescriptions idéologiques n’est pas sans bénéfices personnels : le militantisme est aussi un moyen de se faire du bien.

C’est également une action un peu irresponsable et agressive qui prend ses désirs pour le fondement de la Loi. La réalité a peu de poids face à cette projection œdipienne où le Mâle devient une figure d’oppression à déboulonner. Une telle agressivité signale la croyance jalouse en une puissance magique de la masculinité qu’il faudrait, par égalitarisme, rendre accessible à toutes. Ce militantisme simplifie le langage de manière infantile, pour le contrôler, se l’approprier et croire (mollement) que l’on aura œuvré pour le bien de l’humanité. Évidemment, faire de l’expression du genre dans la langue un problème politique parce qu’on est révolté par la différence linguistique, c’est croire que la différence est une injustice.

Voir dans l’homme celui qui est détenteur du pouvoir au travers d’un accord grammatical constitue une fétichisation de la grammaire : on fait comme si la langue était un objet manipulable et on l’investit en projetant ses fantasmes dessus. Se choisir un ennemi fait partie d’une dynamique militante marchant à vide et qui n’est pas sans évoquer les mécanismes de la haine. Il y aurait beaucoup à dire sur les ressorts de l’indignation, de la revendication et de l’embrigadement comme instruments d’une satisfaction acrimonieuse. L’« inclusion » réclamée à corps et à cris, est ainsi, paradoxalement, l’instrument d’un rejet et d’un antagonisme qui prend la forme d’une jalousie imaginaire.

Au fond, le ridicule consommé d’une prétention à disposer de « son » accord n’a rien de bien intéressant sur le plan politique — « Moi aussi, je veux une marque d’accord, comme le monsieur!  » : cette puérilité fait sourire le bon sens, mais elle est le pendant de redoutables conséquences politiques. Car ce « féminisme » qui traque l’accord de l’adjectif est aussi, en réalité, celui qui se lave les mains du sort des femmes. On fustigera ceux qui n’écrivent pas «  cher.es collègues  », mais on tolèrera que des prêches ou des ouvrages en vente libre expliquent comment bien battre sa femme et ses enfants.

Extrait du livre de Jean Szlamowicz, « Le Sexe et la Langue », publié aux éditions Intervalles

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