Martine Aubry, le 49.3 et la démocratie : charité bien ordonnée commence par soi-même<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Martine Aubry, le 49.3 et la démocratie : charité bien ordonnée commence par soi-même
©Reuters

Démocratie aubryste

Alors que la motion de censure déposée par des députés de gauche suite au 49.3 utilisé par Manuel Valls sur le vote de la loi El Khomri n'a pas pu aboutir, l'attitude de Martine Aubry sur ce dossier interpelle.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

Martine Aubry n'a rien perdu de son sens de l'humour très "pince-sans-rire" - tellement à froid qu'on se demande si elle a conscience d'être hilarante. Elle a notamment déclaré vendredi : "Il était donc possible de trouver une majorité parlementaire de gauche. Le choix d’utiliser l’article 49-3 n’est pas, dans ce contexte, acceptable. Il prive le Parlement du nécessaire débat démocratique auquel les Français avaient droit".

Oh ! Les belles déclarations de Martine Aubry en faveur du débat démocratique ! Pousser aussi loin le comique de situation relève d'un exploit qui mérite d'être salué.

Aubry et la démocratie : une mémoire courte

Le plus plaisant, dans les discours de Martine Aubry sur la démocratie, tient évidemment à l'espèce d'ironie anti-phrastique dont ils sont forcément revêtus. Il suffit de se souvenir de la loi sur les 35 heures : certains parmi nous l'ont gardé en mémoire... Car si cette loi paraît sortie toute droite de la préhistoire, elle ne fut adoptée qu'en 1999, et les dinosaures, contrairement à ce que croient nos enfants, avaient disparu depuis longtemps lorsque Martine faisait adopter sa loi éponyme.

À l'époque, Martine Aubry s'était assez peu préoccupée de "démocratie" au sens où nous l'entendons. Elle avait même allègrement berné le CNPF de l'époque en approuvant face à ses partenaires le principe d'une négociation par entreprise et en annonçant, à la sortie de la réunion à Matignon, une mesure d'autorité imposée par la loi. Ce bel exemple de démocratie en est un parmi d'autres qui légitime totalement et indéfectiblement Martine Aubry dans tout éloge de la concertation et du débat transparent.

Au passage, dix-sept ans plus tard, le débat sur la négociation du temps de travail en entreprise n'a pas évolué d'un pouce. Le marqueur est utile pour rappeler que la France aura perdu une génération (et de nombreux points de PIB) dans l'impossible adaptation de son droit du travail et dans la toujours inaccessible réparation des dégâts causés par l'expérience Jospin.

Les aubrystes ne sont pas en reste

Dans la secte aubryste, Martine n'est pas la seule à pratiquer des incantations en faveur de la démocratie, avec des airs de gourou halluciné, un couteau à la main et le coeur d'un boeuf arraché vivant dans l'autre.

Jean-Marc Germain, son VRP multi-cartes quasi-officiel à l'Assemblée Nationale, avait déjà donné un aperçu de son talent en 2013 en rapportant avec une fidélité variable la loi sur la sécurisation de l'emploi. Alors que les partenaires sociaux avaient signé un accord interprofessionnel garantissant aux entreprises la liberté de mettre en place leur régime de protection sociale complémentaire, Jean-Marc Germain avait tenté de faire passer, pour satisfaire quelques organisations syndicales, une mise en place réglementée. Le Conseil constitutionnel avait finalement "cassé" son dispositif.

La méthode Germain avait à l'époque laissé des traces. Le député aubryste n'avait reçu en audition que les partisans de système réglementé et avait fait la sourde oreille aux partisans de la liberté. Cette divertissante conception de la "démocratie", et de ce qui est acceptable ou inacceptable en son sein ne manquait décidément pas de piment.

Les aubrystes ont bloqué la motion de censure

"Fais ce que je dis, mais ne fais pas ce que je fais" semble être la devise immortelle du camp Aubry. Le recours de Valls au 49-3 l'a démontré une fois de plus.

Admettons que le recours au 49-3 n'était pas "acceptable". Beaucoup pencheront plutôt pour l'idée que le Premier ministre a utilisé des forceps pour arracher une cacahuète coincée dans la gorge. Les "amendements" pratiqués avant la présentation du texte en Conseil des Ministres l'ont en effet tellement affadi que l'arme du 49-3 est disproportionnée par rapport à l'enjeu réel que constitue encore cette loi. Mais supposons...

Pourquoi les aubrystes n'ont-ils pas alors rejoint la motion de censure que 56 de leurs petits camarades avaient déposé pour faire tomber le gouvernement ? Cette façon de baisser sa culotte au moment de passer à l'acte, tout en tempêtant sur le caractère inacceptable de la ligne gouvernementale, reste quand même difficile à comprendre.

Germain a encore gaffé sur les raisons de sa défection

Irrésistible gaffeur (ses phrases sur la concurrence l'avaient déjà montré), Jean-Marc Germain a délicieusement vendu la mèche sur sa désertion en pleine bataille du 49-3 :

"La réflexion que j'ai eue était de me dire que si la motion avait été votée, il y aurait dissolution de l'Assemblée nationale", lance-t-il. "Le risque serait que de nombreux députés PS perdent leur siège et que la droite repasse au pouvoir. Le courage en politique, c'est de réfléchir aux conséquences pour les personnes que l'on défend", avance-t-il.

Mais Martine, dis-lui de se taire ! Car tout le monde aura bien compris que les frondeurs adorent la fronde tant qu'elle ne met pas leur fromage en danger. La révolution, oui ! Mais à condition de ne pas perdre son poste... La morale, le prolétariat, la justice sociale, oui ! Mais uniquement si on conserve ses émoluments, son bel appartement à Paris et sa voiture avec chauffeur.

L'aubrysme, ou le courage du gougnafier

On saluera donc bien bas les leçons de courage politique données par Martine Aubry et ses affidés. Le courage politique, c'est "réfléchir aux conséquences pour les personnes que l'on défend". Entendez par là : ne pas mettre en danger les copains députés qui risqueraient de perdre leur siège à cause d'une fausse manoeuvre.

Dormez tranquilles, ouvriers et prolétaires de France. Vous êtes défendus par des gens de bien, des gens d'honneur, qui ne reculent devant aucun sacrifice pour vous épargner les horreurs du libéralisme triomphant. Vous devriez même vous cotiser pour nourrir ces héros de la résistance au capitalisme... Car, comme chacun le sait, le petit marquis de gauche est le meilleur allié du sans-culotte.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !