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Marine Le Pen, personnalité politique préférée des Français : la peur qu'inspire le FN est-elle devenue moins forte que la colère que suscitent les autres partis ?
©Reuters

La peur engendre la colère...

D'après les derniers travaux du JDD et de l'IFOP, Marine Le Pen est entrée dans le classement des personnalités préférées des Français, ou elle occupe la 37ème place sur 50.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Marine Le Pen a récemment gagné le classement des personnalités préférées des Français, réalisé par le JDD et l'IFOP. Elle arrive à la 37ème place sur 50. Comment faut-il lire un tel classement ? Faut-il y voir un signe que la peur qu'inspire le FN n'est plus en mesure de contenir le mépris et la colère que suscitent les acteurs de la classe politique ?

Eric Verhaeghe : Comme toujours, il faut lire ces classements avec d'autant plus de circonspection qu'on ne saisit pas toujours ce que signifie être une "personnalité préférée". J'en retiens toutefois une conviction : Marine Le Pen a quitté le statut de personnage sulfureux et s'impose progressivement comme une "notabilité". Son nom est connu, il ne fait plus peur, il est entré dans le paysage quotidien des Français. On ne se cache plus pour dire qu'on l'apprécie. Il est vrai qu'à une époque exprimer ce genre de préférence état interdit. Apprécier le Front National était stigmatisant, ou honteux. L'époque de la stigmatisation passe. En ce sens, vous avez raison de dire que le FN n'inspire plus les mêmes peurs. Il s'est normalisé, d'une certaine façon. Faut-il en déduire que le mépris et la colère soient aussi puissants que vous ne le supposez ? Il me semble quand même que la fameuse dédiabolisation espérée par Marine Le Pen a consisté à mettre sous le boisseau beaucoup de positions engagées pour normaliser le programme du parti. Peut-on encore dire aujourd'hui que le FN est un parti de rupture ? Je n'en suis vraiment pas convaincu. Quand on voit la ligne très à gauche finalement suivie par le parti sur la question de la sécurité sociale, il semble que le FN incarne très certainement un choix identitaire, mais très un peu un choix de rupture avec les institutions assimilées à l'héritage de la Libération.

Parvenir à la 37ème position d'un tel classement sous-entend une certaine capacité à rassembler. Quelles sont les catégories de population que Marine Le Pen est apparemment en mesure de regrouper ? Qu'est-ce que cela traduit de l'acceptation de Marine Le Pen et du FN dans l'opinion publique ?

De mon point de vue, le Front National constitue d'abord une synthèse un peu baroque, un peu étrange, entre Joseph de Maistre et Albert de Mun, ces penseurs catholiques du dix-neuvième siècle qui étaient à la fois d'Ancien Régime et catholiques sociaux. Dans le fond de doctrine du FN, on trouve bien toujours vivante cette tradition conservatrice, royaliste, hostile à la Révolution Française, revisitée avec un prisme moderne. Je ne suis pas en train de dire que les électeurs du FN sont monarchistes. Je dis seulement qu'il existe en France une tradition conservatrice avec une forte inspiration sociale et que le FN en constitue aujourd'hui une expression aboutie. Il faut avoir conscience que ce courant mord volontiers sur le MODEM et sur certaines fractions des Républicains. Il rencontre incontestablement aujourd'hui un appui dans des zones qui votaient communiste il y a cinquante ans et qui se trouvent aujourd'hui orphelines de tout soutien durable et crédible. Parallèlement à ce mouvement, il ne faudrait pas sous-estimer une autre influence qui converge vers le parti, avec des motivations moins claires : celle des "natio" au sens large, qui sont décomplexés sur la question de l'identité. On a mal identifié que ce courant-là était puissant dans la jeunesse, même s'il est d'essence plus tribale qu'idéologique. Il "mainstreame", il aimante des jeunes à l'aise avec l'idée d'un racisme heureux, c'est-à-dire d'une conviction forte sur la supériorité du monde indo-européen et qui juge naturel d'exprimer son identité.

Si Simone Veil et Bernard Kouchner constituent deux exemples de la différence entre popularité et succès électoral, qu'en est-il pour Marine Le Pen ? Doit-on s'attendre à ce qu'une telle position lui ouvre nécessairement les portes de l’Élysée ?

Je ne pense pas qu'on puisse établir un lien algébrique entre les deux, en revanche, il existe un lien aléatoire. Quand on a fait l'objet d'un bannissement idéologique pendant plusieurs années et qu'on rentre dans le classement des personnalités préférées, on franchit forcément un cap, on entre dans un espace nouveau, où l'horizon se débouche. Maintenant, on est bien d'accord pour dire qu'un classement des personnalités préférées n'est pas une élection politique. Rien ne dit que Marine Le Pen bénéficiera d'une traduction politique directe de cette popularité nouvelle. Il lui appartient d'en tirer profit, ce qui n'est pas forcément gagné. On peut en effet penser que le régime sec qu'elle a suivi pendant plusieurs mois vis-à-vis des médias (en restreignant ses apparitions pendant que les campagnes des primaires à gauche et à droite sévissaient) lui ont profité. C'est paradoxal, mais cela indique que les Français sont rassurés par une personnalité qui s'inscrit dans la durée et ne sent pas obligée d'avoir une hyperactivité politique et médiatique pour exister. Or la campagne des présidentielles va obliger Marine Le Pen à sortir de sa réserve et à prendre des positions plus claires sur des sujets qui fâchent. Il n'est donc pas impossible qu'elle se prenne à cette occasion les pieds dans le tapis et qu'elle perde les crédits qu'elle a gagnés jusqu'ici. La rentrée politique de janvier sera ici déterminante.

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