Marine Le Pen dans "Des paroles et des actes" : la présidente du FN sur la défensive<!-- --> | Atlantico.fr
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Invitée de l'émission "Des paroles et des actes" jeudi soir, Marine Le Pen est apparue moins offensive qu'à l'accoutumée.
Invitée de l'émission "Des paroles et des actes" jeudi soir, Marine Le Pen est apparue moins offensive qu'à l'accoutumée.
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Petite forme

Invitée de l'émission "Des paroles et des actes" jeudi soir sur France 2, Marine Le Pen est apparue moins offensive qu'à l'accoutumée face à des contradicteurs en verve : Malek Boutih et Bruno Le Maire.

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Atlantico : Marine Le Pen était l’invité de l'émission "Des paroles et des actes", ce jeudi, sur France 2. Aussi bien sur la forme que sur le fond, la présidente du FN a-t-elle été convaincante ?

Christian Delporte : Ce n’est sans doute pas sa meilleure émission. On a retrouvé l’énergie qui la caractérise, mais elle n’est pas parvenue à délivrer des messages forts : rien de nouveau, en somme, que nous n’ayons entendu maintes fois déjà. François Lenglet a même semblé la mettre en difficulté sur les questions économiques et monétaires. Elle a bien tenté de le disqualifier en l’amalgamant aux "philosophes observateurs de l’économie", mais ses réponses manquaient singulièrement de précision. Lenglet s’est même permis de lui faire une petite leçon d’histoire économique sur les années 1970. Mais, au fond, face à une telle prestation, l’important est surtout ce que ressentent les téléspectateurs. Ses partisans auront alors été convaincus par sa pugnacité…

Le FN est actuellement en quête de respectabilité et de "normalisation". Marine Le Pen a-t-elle poursuivi sa stratégie de "dédiabolisation" ou a-t-elle joué la carte de la candidate "antisystème" ?

Le caractère nouveau du FN avec Marine Le Pen, c’est que la dédiabolisation n’est pas incompatible avec l’image de la porte-parole antisystème. Les mots sont moins brutaux qu’autrefois, le ton moins provocant, et Marine Le Pen s’applique à parler de tous les sujets, politiques, économiques, sociaux, là où, naguère dominaient exclusivement immigration et sécurité. L’objectif recherché est celui de la crédibilité du FN comme alternative au PS et à l’UMP. La volonté, c’est d’apparaître comme un parti de gouvernement, mais dans la perspective d’une force neuve face à l’"UMPS" qui s’est succédé au pouvoir. Cette ligne, qui s’affirme avec Marine Le Pen, domine désormais le discours du FN.

Que faut-il retenir de cette émission ?

Peut-être la volonté de s’adresser à des catégories précises de la population, et notamment les classes moyennes et les retraités : "les retraités pauvres, je trouve ça indigne". A la veille d’une discussion rude sur l’avenir des retraites, ce n’est pas fortuit.

Que faut-il retenir des deux débats de la soirée ? Qui de Bruno Le Maireet Malek Boutih s’est montré le plus à l’aise face à Marine Le Pen ?

On s’y attendait : ce furent les moments forts de l’émission. On mesure à cet égard le chemin parcouru : Malek Boutih comme Bruno Le Maire ont fait preuve d’une courtoisie ignorée par les interlocuteurs de Jean-Marie Le Pen, à l’époque où il dirigeait le FN. Cette courtoisie a fait leur force. Malek Boutih, qui connaît bien le FN et son histoire (mieux que les journalistes du plateau, en tout cas !), s’est fait interviewer et analyste. De manière assez habile, sans agression, il s’est appliqué à démonter la stratégie de respectabilité du FN par l’exemple. Marine Le Pen a paru surprise par l’angle choisi, cherchant à le délégitimer en lui rappelant son passé. Isolé au PS, Boutih a sans doute vu son étoile monter chez les socialistes hier soir…

Bruno Le Maire, lui, a cherché à décrédibiliser son adversaire par trois biais. D’abord en la ringardisant, avec notamment cette petite phrase, sans doute  préparée : "Vous n’êtes pas le diable, vous êtes le passé" (tactique déjà employée en son temps par Sarkozy, face à Jean-Marie Le Pen) ou la qualifiant de "défaitiste". Ensuite, en pointant ses imprécisions, son manque de rigueur, son opportunisme, voire sa légèreté (sur le thème : où étiez-vous quand je me battais pour défendre les producteurs de lait, vous constamment absente du Parlement européen ?...). Enfin, et là c’est plus surprenant, en contestant le positionnement à droite de son interlocutrice, hier complice de la gauche à la présidentielle en appelant au vote blanc, bientôt complice de la gauche par les alliances locales avec des divers gauche aux municipales. On a même entendu cette phrase étrange de la bouche de Bruno Le Maire, dans sa conclusion, à propos de la fiscalité : "Vous êtes une femme de gauche" ! Dans les deux cas, Marine Le Pen a semblé plutôt sur la défensive, troublée par l’angle d’attaque de Boutih, déstabilisée par l’expertise de Le Maire.Au bout du compte, Boutih comme Le Maire, qui avaient bien préparé leur débat n’ont pas permis à Marine Le Pen de déployer son talent de débattrice, lui laissant peu l’occasion de prendre la main. 

Dans ces deux débats, peut-on distinguer un vainqueur ?

Quand Marine Le Pen est en difficulté, elle renvoie ses adversaires à ce qu’elle considère comme leurs contradictions et brandit l’arme de l’"UMPS". Elle a fait l’un et l’autre hier soir. "Vous êtes en désaccord avec votre propre camp", a-t-elle lancé à Malek Boutih (ce qu’il n’a pas contesté, s’enorgueillissant d’avoir eu raison avant les autres sur la laïcité ou le communautarisme, notamment). "C’est vous qui avez été au pouvoir pendant dix ans", a-t-elle dit à Bruno Le Maire, ce qui lui a donné l’occasion de défendre concrètement son bilan. Qui a gagné ? Chacun verra midi à sa porte. Dans ce genre d’émission, l’invité dispose souvent d’un certain avantage car le débat, court, ne permet pas aux interlocuteurs de déployer leurs arguments, tandis que l’invité a pu s’exprimer avant et s’exprimera après l’échange. Ici, on retiendra surtout que Malek Boutih comme Bruno Le Maire, ont marqué des points dans leur propre camp. Ils connaissaient l’enjeu pour eux et ont fait mieux que résister. Peu familiers du grand public dans l’exercice imposé du débat, ils ont su exploiter des failles chez Marine Le Pen, l’avocate, passée maître dans l’art du débat. Au PS comme à l’UMP, on s’en souviendra certainement.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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