Marie-Antoinette ou le terrible besoin d’être aimée<!-- --> | Atlantico.fr
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Un visiteur observe une peinture à l'huile intitulée "Reine de France Marie-Antoinette" réalisée par Elisabeth Louise Vigée Le Brun au musée des Beaux-Arts d'Arras en septembre 2014..
Un visiteur observe une peinture à l'huile intitulée "Reine de France Marie-Antoinette" réalisée par Elisabeth Louise Vigée Le Brun au musée des Beaux-Arts d'Arras en septembre 2014..
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Sophie Herfort publie « Marie-Antoinette : une vie secrète » chez City Editions. 16 mai 1770. Louis XVI et Marie-Antoinette, tout juste mariés, se retirent pour leur nuit de noces. Mais le roi, qui a trop mangé et ne s’intéresse pas à la bagatelle, s’endort aussitôt, sans que le mariage soit consommé. Il faudra attendre huit ans pour que la reine donne naissance à un premier enfant. Ce livre nous fait entrer dans l’intimité de Marie-Antoinette, preuves historiques à l’appui. Extrait 1/2.

Sophie Herfort

Sophie Herfort

Essayiste et historienne, Sophie Herfort se passionne pour les énigmes historiques et les enquêtes identitaires. Primée pour ses ouvrages de qualité, en particulier "Le Jocond" (Ed. Michel Lafon) qui a obtenu le prix du Guesclin de l'histoire 2011, Sophie Herfort se consacre aux grands personnages de l'histoire, controversés et revisités sous un angle méconnu...

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Ne pas se sentir désirée est à la limite du supportable pour cette jeune fille admirée du peuple de France mais à ce stade plus aimée des simples que des gens de cour.

Même le dauphin la boude. La jeune Marie-Antoinette se plaint régulièrement que son époux « n’a pas le goût de coucher à deux ». Et pourtant, aux premières heures de l’enfance, son petit minois autrichien a plu.

Un petit galopin assez précoce s’en était jadis entiché à Vienne. Demandée en mariage dès son plus jeune âge par un certain compositeur de génie du nom de Mozart qui n’était encore qu’un mini-prodige, haut comme trois pommes quand il lui fit sa demande, après qu’il eut trébuché dans les escaliers et qu’elle l’eut relevé fort gentiment avec un sourire gracieux. Et lui, ce futur roi de France auquel la propre mère de la dauphine – archiduchesse d’Autriche, reine de Hongrie – la promettait depuis sa naissance, se refuse à l’honorer. Quel culot ! Cet homme est-il normal finalement ? Versailles se questionne.

Décidément, le dauphin est un être très bizarre. Il se « dandine comme un paysan derrière une charrue », se moque Mme de La Tour du Pin.

L’homme s’isole, déambule avec maladresse, le « museau » levé : « il marche lourdement sur le parquet poli de Versailles… trébuche sur sa propre épée », est décrit tel un « balourd » de première catégorie, se montre maladroit, ne semble pas doué de motricité fine, appréhende la sexualité et surtout se limite à la simplicité du quotidien. Dans un style télégraphique, dénué d’affects, il couche : « chasse au cerf… j’ai eu une indigestion… ».

Même la chute de la Bastille ne sera pas digne pour lui de figurer au rang des événements notables. Il couchera sur son journal ce mot d’un extrême laconisme : « rien ». Il est vrai qu’à part les cerfs, les chevreuils, les serrures et la bouffe, rien n’existe aux yeux de ce petit garde champêtre ou serrurier manqué.

Même en prison, plus tard, à la veille de son exécution, il gardera un flegme d’homme tranquille, d’épicurien décomplexé, mangeant paisiblement son plat du terroir avec une satisfaction enfantine, assurant à ses enfants qu’il reviendrait très vite. Personnalité autistique ? Héroïque ? Flegmatique ? « Infortuné maniaque », assurera plus tard Flaubert.

La personnalité du dauphin, qui est de tempérament solitaire, cause pourtant du tourment à sa jeune épouse. Peut-être n’en est-il pas conscient : Marie-Antoinette a du mal avec lui.

Dès le début, elle le surnomme moqueusement « pauvre Sire ». Avec lui à ses côtés, naissent l’ennui et la tristesse de ne pas être honorée par ce mari pataud et impuissant.

Mais, par-dessus tout, si l’union n’était pas consommée, cela signerait pour elle la déchéance. Ce serait un grand malheur que celui de ne pas devenir mère.

Ivre de chagrin, le seul remède que trouve Marie-Antoinette est de s’en remettre à sa mère à qui elle écrit presque tous les jours comme pour se rassurer sur ce qu’elle est, sur son statut, sa féminité, son rôle.

Heureusement, Marie-Thérèse d’Autriche trouve les mots justes pour lui écrire, avec la diplomatie froide qui convient. Mais cela ne suffit pas à lui remonter le moral. La jeune fille s’ennuie, loin de la cour de Vienne et de ses gens. L’étiquette l’indispose, elle se moque des rondeurs et de la gaucherie de son époux, matières à plaisanteries auprès de ses favorites, Mme de Lamballe, la douce dévote, et la duchesse de Polignac, l’arriviste, qu’elle choisit pour son charisme naturel et qui remplacera Lamballe dans son cœur. Voici comment eut lieu la rencontre avec celle qui remporterait sa préférence.

Tout avait commencé lors d’un événement festif se déroulant dans les bosquets de la salle de bal des jardins de Versailles, où son mari et elle se rendirent en 1775. Son oncle était également présent. Marie-Antoinette avait eu un véritable coup de foudre en découvrant cette innocente créature qu’elle revoyait à présent arpenter le parc du château. Véritablement attendrie, Marie-Antoinette se souvient de cette superbe femme, sincère et d’un naturel désarmant.

La belle Polignac avait certainement prié de tout son cœur pour que la dauphine la voie, simple question de calcul sous des dehors de fausse sincérité. « Pourvu qu’elle me voie », devait-elle se dire intérieurement. C’était sa seule chance, à Gabrielle de Polignac, d’être remarquée. Elle défilait incessamment dans l’allée. Elle, qui n’était que timidité, tentait de s’affirmer. Ses proches, plutôt intéressés, avaient tout fait pour l’imposer à la cour. Mère de deux enfants et noble désargentée vivant avec sa famille au manoir de campagne de Claye, la vie de provinciale lui déplaisait. La jeune femme jouait là son dernier va-tout. Le charme opéra sur la dauphine.

Marie-Antoinette fit signe à son protecteur d’approcher. Gabrielle de Polignac fut alors présentée à Marie-Antoinette par l’intermédiaire de son oncle mais c’est Diane de Polignac, sa belle-sœur vénale et intéressée, qui avait eu l’idée de l’introduire à la cour, l’incitant à gagner plus d’assurance pour qu’elle réclame plus tard un salaire élevé à la reine, une fois devenue la favorite en titre.

Marie-Antoinette cachait d’ailleurs mal sa surprise de voir une telle beauté ne pas être admise à Versailles.

Très vite, la dauphine fixa un deuxième entretien plus officiel à la galerie des Glaces afin de légitimer les présentations et pour faire plus ample connaissance.

Décidément, la « sincérité » de cette jeune femme la troublait au plus haut point. Mme de Polignac ne paraissait pas à la cour, faute de moyens, voilà ce qu’avait répondu la créature céleste pour sa défense. La petite Autrichienne allait donc changer son destin.

Mme de Lamballe, quant à elle, comprit en un éclair qu’elle venait de perdre son statut officiel de favorite en titre. Elle rougissait d’agacement car au premier regard, elle dut saisir qu’une rivale plus audacieuse venait de lui ravir sa place dans le cœur de la dauphine. Mme de Lamballe songeait peut-être avec nostalgie aux parties de traîneau enjouées qui avaient déclenché leur amitié, à l’époque où la dauphine aimait s’ébattre dans la neige… et voilà qu’une simple balade remettait tout en cause. Une intrigante voulait sa place.

Ambitieuse, la petite nouvelle l’était. Très vite, la duchesse de Polignac, qui intègre la cour avec le rang prestigieux de première favorite, animera les salons les plus courus de Versailles et percevra un salaire de ministre de 100 000 livres de revenu par an. Dès le début, elle réclame beaucoup plus. Elle obtiendra donc une solide majoration en se faisant rémunérer 400 000 livres. Son mari n’est pas en reste. Il sera nommé premier écuyer de la reine. Un peu plus tard, en 1782, elle obtiendra quant à elle le poste de gouvernante des enfants de la reine, en remplacement de Mme de Guéménée dont c’était la charge.

Au fond, mis à part sa beauté exceptionnelle, rien ne prédisposait Marie-Antoinette à s’éprendre de cette charmante créature aux dents blanches, « longues », parfaitement alignées, au visage de poupée mais aux épaules si frêles, légèrement rentrées. La duchesse de Polignac lui parut si vulnérable en cet instant qu’elle eut envie de la protéger. Les preuves de cet amour à naître favoriseront plus tard les libelles et les commérages mais en attendant, le rayonnement de cette fraîche créature aveugle la reine.

On louera la grâce de Mesdames de Lamballe et de Polignac. La réputation concernant leur élégance et de leur beauté n’est plus à faire. Et comme elles s’amusent toutes les trois !

Quand la dauphine ne déprime pas, elle plaisante à tout-va, s’esclaffe. À ses débuts déjà, elle se moquait de la Noailles. Un jour, après une chute sans gravité que fit Marie-Antoinette, elle lança tout de go : « Courez chercher Mme de Noailles pour qu’elle nous dise ce qu’ordonne l’étiquette lorsque la dame de France ne sait pas se tenir sur un âne ! »

L’abbé de Vermond, son précepteur depuis Vienne, lui demande de rire moins bruyamment comme une bécasse et d’être moins lente aux apprentissages car la dauphine écrit très mal. Déjà petite, elle devait repasser à la plume d’écolière les lettres précalligraphiées pour apprendre à écrire par mimétisme. Inconcevable pour une future reine de France. Ses courriers seront souvent bourrés de fautes d’orthographe, même une fois devenue adulte.

On garde aussi en mémoire la signature coulante sur son acte de mariage, un sale présage, diront certains. Marie-Antoinette a du mal avec les conventions sociales et les enseignements. Louis n’est pas davantage féru de règles absconses et refuse tout ce tralala du Grand Réveil. À l’aube, chaque matin, il demande à un valet de pied d’imiter le chant du coq pour lui signifier l’heure du lever. C’est là sa façon toute personnelle de se moquer de l’étiquette et de ceux qui la pratiquent encore, non sans ridicule.

La dauphine, elle, se lève toujours en fin de matinée.

Et pour se faire aimer, la jeune fille est prête à tout, même à dépenser sans compter s’il le faut. Tout, pourvu qu’on l’aime. Elle commence par gâter ses bien-aimées favorites. La dauphine place plus haut dans son cœur la Polignac que la Lamballe. Elle concédera à cette première un quatre-pièces dans le château de Versailles. Fastueux mais à rafraîchir tout de même, ce qui occasionnera des frais supplémentaires. Bientôt, quatre pièces ne suffisent plus à la duchesse de Polignac qui se plaint et est entendue ; elle passe donc à un treize-pièces contre quatre pour les précédentes gouvernantes. Du jamais-vu pour une favorite. D’autant plus que les places sont chères à Versailles !

Cet excès de privilèges déplaît fortement aux partisans de l’étiquette qui trouvent que Marie-Antoinette en fait trop pour la « nouvelle ». Alors, on jase. On ne fait même que cela. Les promenades du soir font l’objet de rumeurs : ce qu’elle porte, ce qu’elle dit, son cercle amical, tout est largement désapprouvé. Son entourage aussi, dont un des rouages sera perçu comme exerçant sur elle une influence néfaste. C’est seulement dix mois après leur union que Louis prendra l’initiative de rejoindre sa « petite » Autrichienne dans son lit. Mais cela n’y serait encore que pour y dormir. Qu’à cela ne tienne : Marie-Antoinette ira trouver son réconfort ailleurs. Elle est riche en excuses et prétexte des migraines à répétition.

Louis XV se moque bien des maux de tête de la petite Autrichienne. Il vient souvent lui rendre visite dans ses appartements, au point, dit-on, de la prendre affectueusement sur ses genoux pour la consoler de l’indifférence peut-être feinte de son petit-fils, le futur Louis XVI.

D’ailleurs, à cet effet, Marie-Antoinette est souvent mélancolique. Son pays d’origine lui manque. Lors d’une fête, elle se confie à son amie d’enfance : « Mme d’Oberkirch, parlez-moi un peu allemand, que je sache si je m’en souviens. Je ne sais plus que la langue de ma nouvelle patrie. » Émue, la baronne s’exécute : « Vous parlez comme une Saxonne, sans accent alsacien, ce qui m’étonne. C’est une belle langue que l’allemand. »

L’ennui est là mais peut-être plus pour longtemps. Marie-Antoinette, privée de son fief originel et d’élans romantiques, se met à rêver de dépaysement, de belles rencontres, de nouveautés. Son vœu sera exaucé.

Extrait du livre de Sophie Herfort, « Marie-Antoinette : une vie secrète », publié chez City Editions

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