Mais que nous dit vraiment le combat Musk - Zuckerberg de l’état de notre civilisation ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Mark Zuckerberg, patron de Meta, et Elon Musk, propriétaire de Twitter.
Mark Zuckerberg, patron de Meta, et Elon Musk, propriétaire de Twitter.
©MANDEL NGAN, ALAIN JOCARD / AFP

Anecdotique ou ultra révélateur ?

Les patrons de Twitter et de Meta, Elon Musk et Mark Zuckerberg, se sont défiés sur leurs réseaux sociaux et invités mutuellement à s'affronter physiquement dans une cage à la façon des combats d'arts martiaux.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Elon Musk et Mark Zuckerberg pourraient bien en venir aux mains. Les deux hommes ont acté le principe d’un combat singulier. Qu’est-ce que cela révèle d’eux ?

Michel Maffesoli : Il y a dans la mythologie une figure importante, celle du Puer aeternus, l’enfant éternel. Celui qui à l’âge adulte continue à faire des bêtises et des blagues comme un enfant : Peter Pan dans les contes, Michaël Jackson dans le show biz. Ces enfants éternels représentent certes le souhait de l’humanité d’une jeunesse éternelle, d’une vie sans fin, mais ils incarnent surtout l’envie de tout adulte de pouvoir retourner à l’innocence, l’irresponsabilité de l’enfance. Il est assez savoureux de voir des deux capitalistes, capitaines de deux des plus puissantes entreprises, décider de liquider leur différent comme des gamins. Ils se révèlent petits garçons rêvant d’un tournoi, d’une armure, réglant leur dispute certes pas par le sabre ou l’épée, mais par un combat d’un art martial (orientalisation du monde oblige) et en public. Enfermés dans une cage et obligés de se battre ! 

Combat corps à corps alors même qu’ils ont construit leur fortune sur des média qui justement mettent le corps de côté ; combat corps à corps sans avatar ni pseudo.

Il s’agit là d’une mise en scène de l’émotionnalité dont on se demande si elle est issue d’une connivence entre les deux hommes, soucieux de mobiliser toujours plus l’opinion par leurs excentricités ou plus simplement du retour de la bestialité dans un monde qui avait cru évacuer l’animalité de l’humain ! Difficile de savoir s’il s’agit d’un vrai différend ou non. 

Pascal Neveu : En dehors du côté pathétique de cet affrontement de deux des plus riches milliardaires du monde, qui suscite des dizaines de millions de vues sur Twitter, des commentaires, des démentis, des communiqués de presse, des articles dans le monde entier…  3 choses me frappent : leur côté infantile, la nouvelle provocation d’Elon Musk, et un concours phallique pour ne pas dire mégalo. 

1) Infantile car pourquoi le MMA (Arts Martiaux Mixtes), et s'affronter dans une cage sur un octogone pour voir qui est le plus fort des deux et régler leurs différends ? De plus dans des combinaisons, que je trouve ridicules, exhibées via les réseaux sociaux, qui font davantage penser à un mixte entre Mardi-Gras, les querelles de gamins dans la cour d’école et même les combats de catch. 

2) Provocation car entre un Mark Zuckerberg jugé froid et calculateur, introverti et un  Elon Musk provocateur, extraverti depuis toujours, l’un et l’autre adulés par des fans différents… est-ce une opération de communication… ou le combat aura-t-il bien lieu au printemps 2024 ? Ils s’entraînent, se montrent en photo et vidéo, notamment avec Georges Saint-Pierre qui entraîne son futur potentiel vainqueur ? 

3) Concours phallique car les 2 s’opposent face à une vision du monde totalement différente. Dans une cage, tels 2 félins capables de s’entretuer, sans comparaison avec les jeux du cirque.

Zuckerberg après l’échec en 2016 de l’envoi de sa fusée Space X développait en parallèle avec son épouse un énorme projet d’Intelligence Artificielle, puis l’énorme scandale Cambridge Analytica révélé en 2018, Facebook récupérant les données médicales d’environ 90 millions d’utilisateurs, leurs ambitions étant de se passer de médecins et de laboratoires médicaux. En décembre 2015, il expliquait vouloir « éradiquer toutes les maladies » et « améliorer le potentiel humain ». Car 7,6% des conversations sur Facebook reposent sur la santé… pour un marché de 9.590 milliards de dollars ! (10% du PIB mondial). 

Musk a exprimé ses inquiétudes sur les risques de l’IA, critique Facebook, alors qu’il a racheté Twitter, se concentrant sur Tesla, avec des déboires, et  privilégiant ses projets sur Mars et ses réussites spationautes… ce qui est assez paradoxal. 

2 egos surdimensionnés qui vivent dans leur monde que certains pourraient qualifier d’autistes Asperger. 

Nul besoin d’être Freudien pour y déceler une problématique de « complexe de vestiaire » d’enfants gâtés voulant gagner lors d’un combat viril homoérotique sans intérêt pour nous. Je vais y revenir car pourquoi vouloir ce corps à corps alors que pour le moment ce sont leurs comptes bancaires et leurs empires qui font tout ?

Comment en sommes-nous arrivés à un moment où deux milliardaires peuvent juger qu’ils ont la liberté de faire cela, alors même qu’ils doivent rendre des comptes au board, au congrès, etc ? Comment expliquer que ce genre de comportements soit toléré dans nos sociétés ?

Michel Maffesoli : Tout le monde le sait, les milliardaires ou plutôt les grands groupes qu’ils ont édifiés sont les maîtres du monde. Et donc ces deux hommes ne peuvent que se croire les maîtres du monde. Elon Musk a beaucoup mis en scène son pouvoir, ses pouvoirs pour parler en langage de « super héros ». N’a-t-il pas laissé entendre que s’il le voulait il pourrait devenir président des Etats-Unis alors que cela lui est impossible car il n’est pas né américain. Il a d’ailleurs de manière sympathique défié tout l’establishment en faisant le « ménage » sur Tweeter lors de son rachat, empêchant désormais la censure des dits complotistes ou anti-vax et se préoccupant du danger réel que constituent les pédophiles. Mark Zuckerberg a lui été, sur Facebook, le petit soldat fidèle des puissants en acceptant que soient censurés de nombreux comptes qui mettaient en cause la gestion du Covid par les pays développés. 

Cependant ces deux hommes ne revendiquent pas le pouvoir pour l’exercer, fût-ce pour faire ce qu’ils estiment bon pour le pays, pour son économie, pour leur prospérité. Non ils usent du pouvoir comme dérision du pouvoir. Ils veulent se battre comme des chiens ou des lions en cage. C’est-à-dire mettre en scène le renoncement à la raison, à la bienséance, à tout ce qui dans la modernité a constitué l’humanité, l’humanisme. Une querelle de sales mômes, sans vrai motif, un combat absurde. 

Pascal Neveu : D’une part, ils vivent aux USA où tout s’achète. Personne n’est dupe. 

D’autre part, ayant eu la chance de travailler au sein de certaines sphères j’ai côtoyé des personnes qui sont « devenues », de plus en plus déconnectées de la réalité et de notre quotidien. Réussir est bien évidemment méritant pour tout un chacun. 

J’ai aidé nombre de jeunes, mais, sans préjuger, ils n’auraient pas cette attitude de mesurer leur ego qui est, selon moi, plus du registre de la taille de… mais aussi de l’anal en évaluant à combien de centaines de millions ils se situent ! Je ne donnerai pas un cours de psy sur la relation entre l’argent et la violence, sans oublier la défiance. Nous pourrions en tant que psy tenter des analyses sauvages… via des biopics… Ont-ils lu Wells, Orwell, Tintin… trop regardé Dr Frankenstein ou regardé trop de séries ? 

Sur un plan pragmatique, je trouve personnellement cela d’une indécence énorme et le reflet de leurs pathologies.

Travailler dans le numérique et en orbite me semble être le reflet de questionnements inquiétants quand on sait que leurs comptes bancaires peuvent tout leur permettre alors que nous comptons nos fins de mois et ne nous intéressons pas à ce je qualifierais de bac à sable de multimilliardaires. Mais qui est le reflet de notre société décompléxée.

Cela témoigne-t-il aussi d’une tolérance plus grande à l’exhibition et la mise en scène de la violence ? Comment l’expliquer ?

Michel Maffesoli : La mise en scène de la violence et dans le cas précis il s’agit bien d’une mise en scène, avec l’annonce du spectacle, comme quand le public attend l’affrontement de deux boxeurs dont on suit, jour après jour l’entraînement, l’état physique, la psychologie, cette mise en scène de la violence n’est pas la violence. Il y a au fond la même différence qu’entre un combat de boxe et un combat de catch. Voire une lutte dans une arène emplie de boue. 

Même si cette bagarre devait être « vraiment réelle », elle ne refléterait pas la brutale bestialité d’une agression ou d’une bagarre de rue. Quelle que soit l’issue de ces annonces, combat réel ou réconciliation mise en scène, il s’agira d’un spectacle, d’un affrontement aussi peu réel que s’il était vraiment virtuel. 

Au fond peut-être Elon et Mark sont-ils comme des enfants qui ne savent plus faire la différence entre la réalité et leur écran, peut-être à force de vendre pseudos, avatars, faux comptes et vraies censures ne savent-ils plus eux-mêmes qui ils sont. En ce sens ils sont de parfaits exemples de la postmodernité : Elon Musk notamment qui revêt chaque jour un nouveau costume, se projetant en rêve président de la république ou Justicier contre la CIA, a sans doute envie de faire mordre la sciure au bon élève Zuckerberg, domestique trop zélé du gouvernement. Mais tout cela est bien du spectacle, ne nous y trompons pas. 

Pascal Neveu : Il faut penser à la fois la société et la mentalité américaine (sans tenir de propos négatifs, ayant de très bons amis américains), mais aussi la façon dont un culte de la réussite est extrêmement prégnant et bien évidemment les fans, une sorte de communauté qui encense ses héros (il suffit de regarder les séries et les films Hollywodiens), et les performances. 

Il faut également le penser via un axe psycho-sociologique d’un Nouveau Monde, issu d’une Europe qui, actuellement, verrouillerait immédiatement ce genre d’attitude, condamnerait et ne donnerait guère de presse à un combat de coqs. 

Ils se la jouent au fight club… mais… il y a ce fameux combat homoérotique de la « quéquette » ! Que veulent-ils se prouver et nous prouver ? Les USA sont sans doute plus passionnés que nous Européens qui restons dans une indifférence ou un voyeurisme qui relève davantage de caprices de riches, tout comme des « influenceurs » se montrent en oubliant leurs origines.

Et c’est bien là où il me semble que Musk et Zuckerberg portent une responsabilité mondiale via les réseaux sociaux qu’ils président influencent la société actuelle, de demain, le futur. Ils le savent. Mais quelle société pensent-ils dans le bien de l’humanité en dehors d’un chaos orchestré.

On dirait 2 ados jouant au baby-foot ou à la PS ! Mesurent-ils l’influence sur les sociétés à venir alors que Zuckerberg diffusait la lettre transmisse à sa dernière fille, parlant de sa vision du monde ?

Ce sont juste 2 mondes effrayants. 

Pour autant, je pense davantage à une opération de communication, alors que les réseaux sociaux sont actuellement attaqués. L’un et l’autre ne peuvent pas perdre… sauf s’il y a une opération de réconciliation impossible mais surtout d’autres opérations financières. Nous ne sommes pas des lapins de 3 semaines.

Imaginez les cours de la bourse si le combat a lieu ! Déjà, puis avant et après. 

Je ne crois pas à ce combat comme tant de journalistes le pensent également. 

Qu’est-ce que la fascination pour ce spectacle, ces personnages, et leur caractère fantasque  dit de nous en tant que civilisation ?

Michel Maffesoli : Le premier mot qui me vient à l’esprit est celui de décadence. Il est de plus en plus difficile de ne pas penser aux derniers siècles de l’empire romain : panem et circenses pour une populace de plus en plus esclavagisée : dans des tâches idiotes, répétitives, improductives ; dans des jeux de rôles dont ils ne savent plus vraiment s’ils sont la vraie vie ou le fantasme ; assujettis jusque dans leur corps à adopter des protocoles sanitaires ou sociaux insensés. Populace profondément méprisée par l’élite au pouvoir qui tente de se maintenir par ce qu’on pourrait appeler, pour reprendre l’expression impériale, non plus le pain gratuit et les jeux de cirque, mais une mise en scène de grandes peurs (Covid, Guerre, pénurie d’électricité, d’eau, inflation etc.) entrecoupées de scènes de pur divertissement. Divertissement que les hommes au pouvoir offrent eux-mêmes au peuple. 

On savait déjà que les grands groupes capitalistes étaient maintenant les maîtres du monde,  orientant, voire dictant les politiques de la culture, de la santé, de l’éducation grâce à leurs « dons » et autres mécénats. On voit maintenant qu’ils vont de plus assurer à la place des gouvernements, la distraction du peuple. La théâtrocratie telle que Platon l’avait décrite laisse place à une sorte de clownerie généralisée. 

Regardez bonnes gens, Elon Musk se préparer à foutre une branlée à Mark Zuckerberg et ne vous préoccupez plus de relayer sur votre compte Facebook une critique quelconque de Bigpharma ou autres officines à produire des milliards.  

Mais sachez que de toute façon, tout ça, c’est pour du beurre. Car même s’ils représentent des figures héroïques un peu différentes, l’un en costume légèrement libertaire, l’autre en bon élève, au bout du compte ils n’ont pas l’intention de vous laisser la plus petite part de leur gâteau.

Pascal Neveu : C’est ce qui me semble être la question la plus importante. 

Nous sommes actuellement sur des transformations très rapides de notre monde. 

Peut-être pas de notre civilisation (il faut redéfinir ce terme) , mais notre société a énormément évolué et ce depuis la pandémie mondiale. 

Des mouvements psychiques se sont libérés, se sont décomplexés. 

La soif de réussite, la compétition, l’amour et la haine… tout change, tout se redéfinit. 

Il ne s’agit pas d’un problème de civilisation (très simplement la civilisation est l'ensemble des traits qui caractérisent l'état d'une société donnée… mais le sujet est beaucoup plus complexe et a évolué au fil des années), mais d’un état d’esprit qui a modifié et explosant le champ du Cà (grosso modo le champ pulsionnel) et celui du Surmoi (valeurs éducatives et morales), laissant un champ libre au Moi (l’expression de ce que nous sommes) qui nous mène à ce qui me semble être une pathétique querelle de mômes qui objecteront qu’ils donnent des milliards de dollars dans des fondations… ce qui est vrai. 

Mais quelle image montrer à notre monde ? 

Un mélange entre combat, fusées, IA, dollars... ? Ou des valeurs à transmettre. 

Les milliards de dollars aident à accompagner l’humain, à le faire s’accomplir, à le sauver, à transmettre... en toute discrétion que ce qui me semble être un spectacle orchestré d’égos… et je retiens mes mots.

Proverbe Chinois : « “Dans une dispute il y a deux bouffons ; dès que l’un cède, les deux y trouvent leur compte.”

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