Mais pourquoi personne ne s’inquiète-t-il de l’extension continuelle par Emmanuel Macron de son « domaine réservé » ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron a décidé d'étendre son "domaine réservé" en ajoutant le CPE, le contrat de performance écologique pour les collectivités.
Emmanuel Macron a décidé d'étendre son "domaine réservé" en ajoutant le CPE, le contrat de performance écologique pour les collectivités.
©Ludovic MARIN / AFP

Somnambulisme démocratique

Après avoir affirmé que l’école faisait désormais partie de son domaine réservé, le président de la République y inclut désormais la planification écologique.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Le président de la République, apprend-on dans Politico, a décidé d'étendre une fois de plus son "domaine réservé". Cette fois-ci, il y aurait ajouté le CPE, ou contrat de performance écologique pour les collectivités. Faut-il, selon vous, y voir la volonté de récupérer toute la question écologique à son seul compte ?

Christophe Bouillaud : Cette nouvelle est affligeante à plus d’un titre : en quoi le Président de la République est-il particulièrement qualifié pour décider d’une contractualisation avec les collectivités locales sur un sujet aussi technique ? N’y a-t-il pas encore des ministères dans ce pays ? Un budget de l’Etat voté par le Parlement ? Un tout récent Secrétariat général à la planification écologique ?

Moins que la volonté d’Emmanuel Macron de récupérer toute la question écologique, j’y  vois malheureusement la tendance de ce dernier à se perdre désormais dans le « micro-management » de l’Etat.

Cette décision d'Emmanuel Macron survient après que le chef de l'Etat ait déjà ajouté l'éducation au "domaine réservé présidentiel". Qu'est-ce que ces extensions multiples disent de l'état de nos institutions, selon vous ? Y a-t-il matière à s'inquiéter ?

Depuis au moins le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012), tout le monde a diagnostiqué une tendance de notre régime politique à l’hyper-présidentialisme. Que veut dire ce terme ? Simplement, le fait que toutes les décisions de quelque importance sont prises en réalité à l’Elysée, avec un Premier Ministre, des Ministres, et une administration centrale, pour ne parler du Parlement, qui sont juste chargés de la mise en œuvre de ce que l’autocrate élyséen de l’heure a décidé dans le secret, plus ou moins bien gardé, de son cabinet. C’est le retour du bon plaisir du monarque en somme.

Cet aspect est particulièrement fort sous Macron, dans la mesure où, circonstances aggravantes, le parti présidentiel (LREM) ne dispose pas d’un enracinement  militant dans le pays et manque presque totalement de grands notables, expérimentés et indispensables, capables de faire contrepoids aux volontés, éventuellement erratiques, du chef de l’Etat. Comme en plus, les partis alliés (Modem, Horizons, Agir) ne disposent pas vraiment de leaders un peu courageux capables d’affronter la volonté du Président sur des sujets d’importance, tout dépend donc de la seule volonté de Macron lui-même.

En dehors du côté « autocratie présidentielle » qu’a pris la Vème République sous Macron, force est de constater que la concentration de toutes les décisions importantes dans la personne d’un homme et de la petite équipe élyséenne qui l’entoure aboutit surtout à une évidente surcharge mentale pour ces derniers. On finit par dire ou faire dire des bêtises, et surtout par en faire ou en faire faire. On pourrait multiplier les exemples de propos totalement inconsidérés du Président depuis quelque temps. Le merveilleux « Qui aurait pu prévoir ? » des vœux présidentiels de cette année restera comme le symbole de cette fatigue du Président et de son équipe. J’ai pour ma part récemment bien apprécié la demande présidentielle que l’histoire soit enseignée désormais de manière chronologique – s’attirant une réaction immédiate de l’Association des professeurs d’histoire-géographie- , ou l’idée que nos élèves de sixième plantent des arbres avec leurs petits bras musclés – visiblement le Président n’a pas vu planter un arbre dans la terre bien dure de notre belle France depuis longtemps. Je mesure avec une joie contenue la suggestion présidentielle de revoir toutes les formations universitaires dès l’année prochaine au nom d’une prétention à la  professionnalisation à courte vue, rompant avec un bon millénaire de vie académique. 

Pourquoi un tel sujet n'est-il pas davantage évoqué ? Comment expliquer qu'il passe ainsi sous les radars médiatiques et politiques ?

D’une part, comme je l’ai dit, c’est la routine française depuis au  moins Sarkozy : le Président n’a plus que des « collaborateurs » pour reprendre le terme qu’il avait infligé à son Premier Ministre, François Fillon. Tout le monde accepte de fait cette nouvelle version de la Vème République où seule une personne, certes élue directement par le peuple français, compte. Les médias mainstream s’y sont habitués, et ils donnent de l’écho à toutes les tocades présidentielles, sans oser le plus souvent dire que le Président vient encore de dire une grosse bêtise. Il y a en la matière une sorte d’immunité liée à la fonction présidentielle. Un politicien ordinaire x ou y dit une bêtise, fait une proposition irréaliste, il se fait assez vite reprendre par les médias mainstream, pas le Président. C’est en fait trop perturbant, trop déstabilisant, car tout notre ordre politique repose sur l’image d’un Président élu par le peuple et étant en état intellectuel de gouverner. On a déjà eu du mal à parler des maladies physiques des Présidents, du cancer de Mitterrand par exemple, serait-on capable d’évoquer la fatigue psychique, pour ne pas dire plus, d’un jeune Président ?

D’autre part, sans aller jusqu’à cette hypothèse, il est très difficile pour presque tout le monde d’envisager que le Président de la République, dont tant de choses dépendent, soit en réalité un manager calamiteux, adapte du « micro-management », et qu’il soit dépassé, lui et son équipe, intellectuellement par la tâche. La situation de la France en Afrique devrait pourtant éclairer tout un chacun. Ne sont-ce pas calamités sur calamités, largement liées à un Président et à ses équipes qui, en cette matière, n’ont rien compris du tout à la situation ? De ce point de vue, il est quand même assez fascinant de constater que tous les leaders de partis convoqués par Macron à une réunion qui ne devait durer qu’une après-midi aient accepté de discuter avec lui pendant 12 heures. Aucun des politiciens présents n’a eu le culot de lui dire que là ce n’était vraiment pas raisonnable, que ce n’est pas une manière de travailler, de discuter posément. Il est vrai que poser individuellement ce geste aurait été interprété par les médias comme le simple signe d’une opposition bornée au Président.

Le président dispose-t-il effectivement, en droit, d'un "domaine réservé" ? Quels objectifs vient donc servir cette notion, au juste ? Faut-il penser, en l'occurrence, qu'Emmanuel Macron la détourne de son sens initial ?

Le Président dispose de toutes les prérogatives prévues dans la Constitution de 1958. Celle-ci ne définit pas explicitement un « domaine réservé ». C’est là une pure création de la pratique au fil des décennies et des titulaires du poste.  Traditionnellement, elle couvrait plutôt la « haute politique » : les affaires étrangères, la défense, les affaires européennes, mais aussi des domaines d’action qu’il valait mieux ne pas laisser aux procédures ordinaires de l’Etat de droit et qu’il fallait surtout cacher aux yeux du Parlement et du grand public, comme les « affaires africaines » à une époque pas si lointaine. En cas de cohabitation comme entre 1986 et 1988 ou entre 1997 et 2002, cela permettait surtout au Président de garder son mot à dire sur les grandes orientations géopolitiques du pays, même si, en réalité, toutes les grandes décisions de politique publique se prenaient à Matignon en lien avec la majorité parlementaire du moment.

Il faut noter à ce propos, qu’institutionnellement, les services centraux de coordination de l’action de l’Etat (Secrétariat général du gouvernement, Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité Nationale, etc.) restent sous la seule autorité du Premier Ministre. L’Elysée comme bureaucratie demeure de fait sous-dotée par rapport à cette tâche de tout contrôler et de tout décider, que, dans la pratique, nos Présidents entendent s’attribuer de plus en plus au fil des mandats. Certains constitutionnalistes pensent d’ailleurs qu’il faudrait acter l’évolution en supprimant le poste de Premier Ministre. Au stade macronien de l’évolution autocratique de la Vème République, je serais personnellement, à des fins d’économie et de transparence, pour supprimer aussi les postes de ministres, car de simples directeurs administratifs, voire chargés de communication, suffiraient. Les ministres ne sont déjà plus en pratique responsables devant le Parlement, mais seulement devant le Président. Et d’ailleurs, oserai-je ajouter, pourquoi un Parlement quand un seul Homme élu par le peuple incarne la Raison et guide le pays vers son avenir nécessairement radieux ?

Sans aller jusque-là, force est de constater que le mot de « domaine réservé » ne veut plus rien dire d’autre sous Emmanuel Macron que sa prétention à s’occuper de tout et de n’importe quoi. Dans le cas de l’éducation nationale ou de l’enseignement supérieur, un connaisseur de la situation peut facilement se rendre compte que notre Président dit n’importe quoi, promet n’importe quoi.

L’hypothèse la plus évidente, très présente en particulier à gauche, serait qu’il se contente de donner des gages à l’électorat le plus âgé et le plus conservateur, le seul sur lequel il compte vraiment, et qu’il a passé l’électorat enseignant, supposément de gauche, par pertes et profits. En quelques mois, Macron a en effet égrené toutes les vieilles lunes en manière d’éducation susceptibles de séduire l’électeur de droite âgé de plus de 70 ans au fort patrimoine.

Il est aussi possible qu’il soit victime d’un effet Dunning-Kruger, et que personne dans son cabinet n’ose le détromper. Ayant été en couple avec une enseignante depuis son plus jeune âge, il croit bien connaître le domaine, et pouvoir y apporter des solutions. Malheureusement, pour lui, et pour nous, aucune décision publique dans un Etat aussi complexe que le nôtre ne peut se passer de l’expertise chèrement acquise de spécialistes du domaine, et aussi de l’écoute attentive des acteurs de terrain. L’amateurisme éclairé, le génie soit disant omniscient, ne sont plus une possibilité dans le monde contemporain. Malheureusement, Emmanuel Macron semble incapable de la réflexivité qui lui permettrait de prendre du recul et de ne s’occuper que de quelques dossiers sur lesquels il aurait une véritable expertise.

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