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Mais pourquoi la France ne se range-t-elle pas à la stratégie du Zéro Covid ?
©Sam Yeh / AFP

Endiguer l'épidémie

La stratégie déployée par certains pays asiatiques ou en Australie a été efficace contre la pandémie de Covid-19. Elle garantit à la fois de meilleurs résultats sanitaires et de moindres dommages économiques. Qu’est-ce qui politiquement ou intellectuellement nous retient de l'appliquer ?

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

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Atlantico.fr : En quoi consiste exactement le "zéro Covid", la stratégie de suppression virale qui a notamment fait ses preuves en Asie de l’est ou encore en Nouvelle-Zélande ou Australie ?

Antoine Flahault : Cette stratégie consiste à ne pas accepter la circulation du virus. Elle va traquer tout foyer pour tenter d’empêcher toute diffusion sur le territoire. Il n’y a quasiment jamais eu de stratégie zéro Covid en Occident (Europe et Amérique du Nord). La stratégie y est plutôt d’éviter la casse, éviter que le système hospitalier implose. Cela va se traduire par une réaction assez tardive car il n’y a rien d’autre à faire que ce que les Chinois ont fait à Wuhan au moment de la crise lorsqu’ils ont été face à une vague exponentielle non contrôlée. Ils ont instauré, presque inventé, un confinement strict et généralisé. Concrètement, dans un pays où l’on ne veut pas que le virus circule, on le traque. Par exemple, Taiwan, 24 millions d’habitants à quelques dizaines de kilomètres de la Chine, très interconnectée, a décidé de traquer le virus à toutes les sorties d’avions avec des contrôles sanitaires très étroits. Ils filtrent tout risque d’introduction du virus par des mises en quarantaine de toutes les personnes venant de l’étranger et cela très tôt dans le processus. Ils ne testent pas énormément, il y en a moins qu’en Occident, mais ils ont une stratégie rétrospective de recherche des contacts. Ils vont toujours à la source de la contamination. Pour un cas positif, les contacts intéressent plutôt moins que la personne ou l’évènement qui vous a contaminé. C’est ainsi qu’on va chercher très tôt les démarrages potentiels de feu pour les éteindre avant qu’ils ne fassent des clusters. 

Pourquoi chercher les contaminateurs, plutôt que les éventuels contaminés, est plus pertinent ?

Les Japonais, notamment, ont vu que le SARS-cov-2 (Covid-19) ressemblait beaucoup au Sars-cov-1(SRAS) et misé sur l’une de ses caractéristiques : la surdispersion. L’épidémie est conduite par seulement 10 à 20 % des gens qui font plus d’une contamination. 70 % des gens ne provoquent pas de contamination, 10 à 20 % en provoquent une seule. Or pour créer une épidémie il faut entraîner plus d’une contamination. Donc les Japonais, qui étaient en pénurie de test, ont préféré plutôt que de chercher les contacts de tout le monde, ce qui ne sert à rien dans 90 % des cas, chercher les supercontaminateurs. On va chercher les personnes et évènements supercontaminateurs : boîte de nuit, abattoir, université, l’église, le restaurant, etc. C’est là que va se jouer la différence, en les cherchant et en les bloquant très tôt.

Quels sont les avantages sanitaires, économiques et psychologiques d'une telle stratégie ?

Sur le plan sanitaire, on constate 0,03 décès pour 100.000 habitants à Taiwan,  4 décès pour 100.000 habitants au Japon, contre 62 en Allemagne, 96 en Suisse, 109 en France, 126 aux Etats-Unis, 180 en Belgique. Donc il y a une différence colossale de qualité de réponse sanitaire comme on peut le voir en termes de mortalité. L’Islande, la Norvège et la Finlande font presque aussi bien, ils sont entre 8 et 12 morts pour 100.000 habitants. Il y a donc une très nette performance. Sur le plan social, il y a très peu de confinement, les pays n’ont pas besoin de confiner car ils n’ont pas de cas, ils font des cordons sanitaires, n’hésitent pas à faire des confinements très localisés. Au Pakistan, c’était au niveau de quartiers, presque de la rue. Et la vie économique n’est pas florissante mais elle continue de fonctionner. La croissance est positive à Taiwan, en Chine, et la baisse au Japon est bien inférieure à celle des pays européens. On ne redoute pas le virus puisqu’il ne circule pas. Les cas sont traqués et détectés.

Cette stratégie peut-elle être appliquée en France ? Si oui, pourquoi n’en prenons-nous pas le chemin ? Qu’est-ce qui "bloque" politiquement ?

Une des limites à la transposition du modèle est sans doute l’intrusion digitale qui est vécue en Europe comme un péché capital. En Europe nous sommes régis par le RGPD qui empêche des croisements de données trop intrusifs sur nos traces digitales. La Corée du Sud, Singapour ou Taiwan utilisent toutes les traces digitales. L’application pour le traçage n’est pas optionnelle, on va utiliser les cartes de crédit, les caméras de surveillance et traquer les évènements, même ceux qu’une personne omet. Cela est considéré comme intrusif. Mais ce que disent les Asiatiques c’est que l’Occident est beaucoup plus liberticide avec les confinements, les attestations, etc. qu’ils ne le sont. Et qu’ils ne sont intrusifs qu’en présence de cas positifs ou contacts, ce qui correspond à une beaucoup plus faible population. Ils assurent n’agir que dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire et ne rien faire d’autre de ces données. Il y a des différences presque culturelles dans l’application éthique des outils digitaux qui font que ce n’est peut-être pas si simple de transposer le modèle à l’Europe. Les pays du Pacifique, Australie et Nouvelle-Zélande, eux, ont eu recours à des confinements beaucoup plus stricts qu’en Asie et plus similaires à l’Europe. Mais en Asie comme en Australie et en Nouvelle-Zélande l’isolement a été beaucoup plus efficace. Il est attesté, il y a de fortes incitations à le respecter. En Australie, vous êtes isolés dans un hôtel de confinement quand vous venez, si vous y êtes autorisés. Dans tous les cas, vous aurez 14 jours de quarantaine dans un hôtel, froid, si vous êtes négatif, ou chaud si vous êtes positif. Les Japonais ont un contrôle par un test à l’arrivée, rapide, et s’il est négatif vous êtes en quarantaine, s’il est positif on vous envoie à l’hôpital. C’est beaucoup plus systématique, contrôlé, et contrôlable. L’autre facteur à envisager c’est que ce sont des îles, un peu plus exclues de la grande interconnexion mondiale.

Il y a d’autres raisons. Nous sommes des peuples qui ne nous sommes pas préparés à l’arrivée d’une pandémie comme ont pu le faire les asiatiques. Ces pays craignent depuis le SRAS, en 2003, une émergence épidémique redoutable. Nous étions beaucoup moins alertés, nous n’avons pas vécu le SRAS comme autre chose qu’une pandémie tuée dans l’œuf. Les Taiwanais, les Japonais, l’ont vécu comme une sérieuse alerte dont il fallait tenir compte. Ils ont fait des plans pandémiques, des stocks de masques, crée des centres durant toute la période 2003-2020, y compris assez récemment. A Singapour, en août 2019, un centre de réponse aux émergences épidémiques a été créé, avec des lits d’hôpitaux, des laboratoires de recherche et de diagnostic. Cette préparation a eu lieu en Occident jusqu’à la grippe H1N1, on se préparait à la grippe H5N1, la grippe aviaire, qui a finalement été moins mortifère. Et les Européens ont eu le sentiment qu’on criait toujours à la catastrophe et qu’il fallait lâcher prise. En Asie, cette grippe a été vue comme une répétition générale.

Est-il trop tard pour changer de stratégie face au Covid et opter pour le zéro Covid ?

Je crois qu’on a une fenêtre d’opportunité très courte qui s’ouvre. Partout en Europe, la situation s’améliore de manière significative. A part deux pays que sont l’Espagne et le Portugal où elle se dégrade, ainsi que la France et la Belgique qui sont en plateau. Presque tous les autres sont en décroissance sur le plan des nouvelles contaminations. C’est le cas du Danemark, de l’Irlande et même du Royaume-Uni qui a vécu l’enfer et dont les hôpitaux sont encore sous pression. Les décès eux prendront un peu plus de temps à baisser. Quand les nouvelles contaminations baissent, si le taux de reproduction baisse, il est possible de maîtriser l’épidémie. En France, nous sommes à 20.000 reproductions par jour. Avec un taux de reproduction de 1, on reste à ce chiffre dans un mois. A 0,9, c’est 10.000 dans un mois et à 0,7 c’est dans une semaine. Ce qui veut dire 5.000 dans deux semaines, donc en un mois, presque plus de Covid, 1.000 contaminations. Donc il y a une fenêtre d’opportunité, tant qu’on n’est pas tous dans des situations explosives, de reprendre la main sur l’épidémie, de casser les courbes et d’écraser l’épidémie. Et peut être de mettre en œuvre une politique de tester, tracer et isoler à l’asiatique, ou qui s’en rapproche selon les contraintes culturelles. Cette fenêtre on la saisit en faisant tout pour que le taux de reproduction ne reste pas à son niveau actuel en France - entre 1 et 1.10 – et en l’écrasant. Cela passe par des mesures courtes et fortes qui permettent de faire descendre ce taux de reproduction. On ne peut pas faire beaucoup mieux sur les mesures barrières, on peut étendre les mesures de confinement, faire un confinement strict pendant 15 jours, fermer les écoles en utilisant les vacances scolaires, quitte à les prolonger exceptionnellement. On peut sans doute arriver à faire comme dans les pays du nord, comme le Danemark, qui vont y arriver. Il faudrait que l’Europe entière fasse la même chose. Avec des contrôles aux frontières de Schengen. Si l’Europe à l’unisson refuse la situation du Covid, on arrive dans une autre stratégie. Donc il est possible qu’on voit cette stratégie zéro Covid, qui serait nouvelle, et permettrait d’aborder le printemps et l’été avec une situation épidémiologique beaucoup plus favorable. Ce qui permettrait aussi de vacciner en plus grande sérénité. Ce changement de philosophie n’est pas très liberticide, il laisse beaucoup plus de choses ouvertes, mais traque les foyers et ferme les établissements qui doivent l’être. Cela sera possible si l’on est en situation quasi nulle du virus. Ensuite pour être complètement débarrassé du problème il faut vacciner toute la population.

Par ailleurs, si les Etats-Unis ont la même fenêtre d’opportunité, ils la saisiront peut-être avec la nouvelle administration. Mais on voit que Joe Biden prend des décrets de temps de guerre en ce moment, avec des réquisitions etc. Lors de la première vague le président français a dit « nous sommes en guerre » mais on ne voit pas de mesures de temps de guerre. Aujourd’hui, on se demande si des groupes pharmaceutiques qui ont le savoir-faire pour les vaccins ne devraient pas faire œuvre de service public. On ne leur demande pas de créer un nouveau vaccin, mais ils pourraient mettre leur savoir faire au service de la nation. J’espère que les grands groupes, Sanofi, Pasteur, Novartis en Suisse, mettront leur savoir faire au profit du bien public afin de fournir plus de vaccins aux Européens. Pasteur qui renonce à son projet de vaccin avait tout de même ce projet, donc du personnel, du matériel, qu’ils pourraient utiliser pour embouteiller les vaccins. Car c’est là qu’est le vrai goulot d’étranglement, dans la mise en flacon. Cela permettrait qu’une vaccination plus universelle ait lieu avant l’été.

Propos recueillis par Guilhem Dedoyard

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