Magnitude 9 : l'étude choc qui fait trembler sur ses bases la théorie économique qui justifiait l'austérité<!-- --> | Atlantico.fr
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Et si les politiques d'austérité n'étaient basées que sur une fâcheuse erreur de calcul ?
Et si les politiques d'austérité n'étaient basées que sur une fâcheuse erreur de calcul ?
©Flickr/danielmoyle

Séisme

La théorie selon laquelle un endettement supérieur à 90% entraînerait un ralentissement de la croissance, défendue en 2008 par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, vient d'être remise en cause par des chercheurs de l'université du Massachusetts. Et si les politiques d'austérité n'étaient basées que sur une fâcheuse erreur de calcul ?

Nicolas Goetzmann,Mathieu Mucherie,Jean Peyrelevade et Philippe Waechter

Nicolas Goetzmann,Mathieu Mucherie,Jean Peyrelevade et Philippe Waechter

Nicolas Goetzmann est Stratégiste Macroéconomique et auteur d'un rapport sur la politique monétaire européenne pour le compte de la Fondapol.

Mathieu Mucherie est économiste de marché sur Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Jean Peyrelevade fait partie de l'équipe de campagne de François Bayrou pour l'élection présidentielle.

Ancien conseiller économique du Premier ministre Pierre Mauroy, il fut également directeur adjoint de son cabinet.

Économiste et administrateur de plusieurs sociétés françaises et européennes de premier plan, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’évolution du capitalisme contemporain.

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

Voir la bio »

A (re)lire sur la théorie de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff :Cette fois ci, c’est différent !” : la même et illusoire rengaine depuis huit siècles de crises financières"

Atlantico : La théorie selon laquelle un endettement supérieur à 90% entraînerait une croissance négative, défendue en 2008 par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, vient d'être sérieusement battue en brèche par des chercheurs de l’université du Massachusetts qui ont montré qu'elle se basait sur une erreur de calcul. Une théorie qui a pourtant inspiré et justifié nombre des politiques d'austérité consécutives à la crise. Dans quelle mesure cette "découverte" invalide-t-elle ces choix de politique économique ? En quoi change-t-elle la donne ?

Nicolas Goetzmann : Rogoff et Reinhart ont associé niveau d’endettement et potentiel de croissance. La découverte des erreurs commises par ces économistes a provoqué leur réponse, qui indique qu’ils n’ont jamais établi le lien de causalité entre fort endettement et croissance. Ce sont les responsables politiques qui se sont reposés sur ces travaux pour tisser un lien de causalité entre endettement et récession, le premier serait la cause de la seconde.  Nous pouvons dès lors en conclure que la stratégie économique européenne découle d’une interprétation excessive de travaux erronés.

Cela change la donne car c’est ce lien de causalité qui disparaît. La faible croissance en Europe n’est pas due au niveau d’endettement. Et si le diagnostic n’est pas valide, les remèdes proposés n’ont plus de sens.

Jean Peyrelevade : Il ne faut pas confondre l'analyse théorique et la réalité des faits au quotidien. Au-delà des théories, ce qui est déterminant c'est le comportement des prêteurs. Or, il y a un niveau d'endettement au-delà duquel les prêteurs refusent de prêter. A partir d'un endettement supérieur à 80% du PIB, on rentre dans des zones extrêmement dangereuses. Il y a un niveau de déficit qui n'est pas supportable par les prêteurs.

Mathieu Mucherie :Ça ne change rien. Les économistes ont très peu d’influence et ça ne date pas d’hier. Leurs travaux sont rarement utilisés, et encore seulement pour justifier ou embellir des choix préétablis par les décideurs (politiques, banquiers) qui croient que la macroéconomie relève de la culture générale (et en particulier de leur culture générale). Naguère les politiques ont cité les travaux de certains économistes (dont Rogoff…) pour justifier l’indépendance des banques centrales, demain ils feront semblant de redécouvrir Milton Friedman et d’autres économistes pour aller dans l’autre sens, parce qu’entre-temps les priorités ont changé, l’inflation est morte. C’est sur tous les sujets la même chose. Sauf peut-être sur la question du libre-échange où les économistes se sont tellement répétés pendant deux siècles qu’ils ont eu une vraie influence à la longue dans le désarmement douanier.

Le travail de Rogoff et Reinhart est suspect depuis le début, plusieurs économistes (Krugman pour la gauche, Scott Sumner pour la droite) l’avaient déjà taillé en pièces, en particulier la règle dite des 90% à cause de la dimension "chiffre magique" valable tout le temps et partout. Je ne tire pas sur une ambulance. C’est malgré tout un travail stimulant, avec des données de long terme amusantes (en particulier sur les défauts de la Grèce au XIXe siècle) et un rappel toujours utile sur le mécanisme de l’effet boule de neige de la dette. Juste une bonne idée poussée (collectivement) trop loin.  

Ce qui me perturbe avec les approches exclusivement centrées sur les dettes, c’est qu’on ne parle que des débiteurs. S’il existe des débiteurs, il doit bien y avoir des créditeurs quelque part. Quelles sont leurs incitations ? Dans quelle mesure sont-ils toujours soumis à l’illusion nominale ? Voilà des questions qu’on ne creuse pas assez si l’on reste scotché sur le concept de dette plutôt que sur le concept de monnaie.

Philippe Waechter :L'article de Reinhart et Rogoff a eu de l'importance car il remplissait un vide dans l'outillage des économistes. Définir un seuil (90%) comme le laissait penser l'article créait un lien entre politique budgétaire, dette publique et croissance. Il y avait aussi un enjeu entre courants économiques puisque les keynésiens font du soutien de la demande par la puissance publique un élément clé de l'analyse conjoncturelle. Mettre une limite c'est réduire spontanément l'impact et la valeur de cette approche. Aux États-Unis certains comme le républicain Paul Ryan ont utilisé l'approche de R&R pour justifier une réduction rapide de la taille de l'État. Ce n'est heureusement pas si simple.

L'efficacité de la lutte acharnée contre les déficits publics est-elle forcément remise en cause ?

Nicolas Goetzmann : Il y a une véritable difficulté sur ce point. Les partisans de la relance keynésienne risquent de se précipiter sur cette erreur pour justifier des plans de relance inconséquents. Mais il serait tout aussi absurde de considérer qu’un niveau élevé d’endettement serait une source de croissance. De plus, il a été démontré que toute relance budgétaire est annihilée par le pouvoir monétaire (cas de 2011).

Ce qui est remis en cause, c’est bien le diagnostic de base et l’austérité budgétaire seule ne résoudra rien. Les États-Unis, le Japon et le Royaume-Uni ont établi une analyse différente en pointant une crise monétaire. L’Europe était seule dans cette doctrine d’austérité, qui n’a plus aucun fondement aujourd’hui. 

Mathieu Mucherie : Peu importent les déficits. C’est la dépense qui pose problème, pas le solde. Et surtout la mauvaise dépense, qui foisonne en France : la dépense de fonctionnement des doublons administratifs, la dépense sociale désincitative, la dépense pour financer des ponts de la rivière Kwaï (35 heures, Grenelle de l’environnement, aides à l’accession à la propriété, soutien à l’agriculture, j’en passe pour ne pas me fâcher avec tout le monde). Savoir si nous allons vers 3% ou 4% de déficits publics ne présente aucun intérêt, et d’ailleurs les ratios de Maastricht (3% de déficits, 60% de dettes) ou les chiffres de la BCE (2% d’inflation) procèdent de la même logique que chez Rogoff : chiffres atemporels, universels, en gros c’est l’histoire du lit de Procuste, "one size fit all (ndlr: taille unique)".

Philippe Waechter : Cela doit d'abord inciter à repenser la politique budgétaire. Le problème majeur de l'article de R&R au-delà de l'erreur de calcul qui a été reconnue par les auteurs est qu'il reflétait simplement un seuil empirique sans modèle théorique pour le sous-tendre. Cela signifie que l'article ne développait pas un modèle de causalité entre la dette publique et la croissance. Il le constatait et l'interprétation qu'ils en ont faite est d'imaginer une causalité de la dette vers la croissance. Pourquoi pas l'inverse ? C'est ce point théorique, cette causalité qui manque. On doit repenser la politique budgétaire et peut-être alors se pencher davantage sur la question de la croissance.

Les chercheurs à l'université du Massachusetts affirment que le taux de croissance moyen réel de pays présentant un ratio d'endettement de plus de 90% du PIB "est en réalité de 2,2% et non pas de -0,1% comme il a été dit par Reinhart et Rogoff." Pour autant faut-il nécessairement évacuer l'idée d'une limite à l'endettement ? Jusqu'où la dette peut-elle raisonnablement être creusée ?

Nicolas Goetzmann : Une dette peut être creusée aussi loin qu’un État trouvera les moyens de l’assumer. Ce qui veut dire qu’un taux d’endettement élevé est un problème lorsqu’il n’y a pas de croissance. Pour ne pas avoir de problème, la croissance nominale d’une économie doit être supérieure à la croissance de son endettement. Ce qui n’est pas le cas en Europe aujourd’hui de toute façon. Le problème n’est pas l’endettement lui-même, mais la croissance. Et cette croissance dépend avant tout de la politique monétaire. Le diagnostic devient dès lors monétaire et la solution se trouve du côté de la BCE.

Jean Peyrelevade : Cela dépend de plusieurs facteurs. D'abord qui porte la dette ? Est-ce que ce sont des résidents ou des non-résidents ? Si ce sont des résidents, il est probable que leur niveau d'acceptabilité soit un peu plus élevé que celui des non-résidents.On peut citer l'exemple du Japon ou même de l'Italie. Le taux de croissance et de croissance potentielle du pays est aussi un facteur important car la croissance peut contribuer à réduire la dette. L'absence de croissance en Europe est un handicap lourd.

Mathieu Mucherie :Savoir si une trajectoire de dette est soutenable et crédible, voilà qui n’est pas facile, ça dépend du peuple. La limite à l’endettement public ne vient pas des taux nominaux, regardez le Japon. Je ne vois pas non plus de maximum légal ou psychologique. La limite véritable c’est la volonté de rembourser. Cette limite est arrivée très tôt en Argentine en 2001, dès 50 points de PIB. Les articles de Dani Rodrick sont intéressants à ce sujet. C’est manifestement une limite plus tardive au Japon ou en Irlande. Nous ne pouvons pas vraiment savoir à l’avance. Nous savons juste que les mesures du type "debt ceiling" (ndlr : plafonnement de la dette) aux USA font plus de mal que de bien.

Philippe Waechter : Le modèle théorique manque pour bien caler une relation entre la dette publique et l'activité. Ce que dit le papier des chercheurs de l'université du Massachusetts c'est que le lien n'est pas établi empiriquement. Il faut avoir un modèle plus large de l'économie qui n'intègre pas que la dette et la croissance et une liaison directe entre les deux. L'économie est plus vaste et plus complexe que cela. Définir un niveau d'endettement optimal ou excessif peut être vite battu en brèche.  Quelle était la rationalité du ratio de 60% de dette publique contenu dans le traité de Maastricht ? Au regard de la croissance de l'époque (fin des années 80), des taux d'intérêt prévalant alors d'une relation entre déficit public et dette publique. A 3% de déficit public la dette se stabilisait à 60%. Est-ce que cela a encore un sens aujourd'hui ? Pas sûr...

Le niveau de dette publique sera fonction de la structure de l'économie, de ses institutions et de son mode de fonctionnement. C'est un mécanisme forcément complexe. La liaison si elle existe n'est pas aussi simple que le 90% défini par R&R. C'était pratique mais pas validé.

Le lien entre dette et croissance est-il définitivement invalidé ?

Nicolas Goetzmann : Les travaux de Rogoff et Reinhart ne sont pas non plus complètement faux. Ils mettent tout de même en évidence une relation entre fort endettement et faible croissance. Le rapport de cause à effet est brisé mais le constat est là : plus l’endettement d’un État est élevé plus la croissance ralentit. Mais nous pouvons très bien inverser cette relation : les États ayant une croissance faible ont tendance à recourir massivement à l’endettement. Le problème devient la croissance elle-même, et les yeux se tournent à nouveau vers l’autorité monétaire.

Jean Peyrelevade :Ce n'est pas la dette qui permet de juger l’état d'un pays. C'est la nature de la dépense publique. Si l’État enlève de la capacité de dépense aux prêteurs, ces derniers ne dépensent plus pour leur propre compte. Cela risque d'affecter la croissance. D'autant plus si la dette publique sert à financer les dépenses courantes comme le salaire des fonctionnaires. En revanche, si l’État affecte cette dépense dans l'investissement très productif à long terme, il a peut-être une chance d'améliorer la croissance. Le contenu de la dépense publique est au moins aussi important que le coût plus ou moins élevé du déficit. Le problème c'est que les pays où la dépense publique est la plus élevée sont aussi les pays où la dépense publique est la plus inutile et la moins productive.

L'idée selon laquelle la dette publique serait un facteur de production est une idée fausse. En aucun cas, la dette publique n'accélère la croissance. Si c'était le cas, les pays les plus endettés auraient la croissance plus forte. Ce n'est pas ce qu'on observe. Au contraire. Il y a des périodes de crise durant lesquelles la puissance publique est utile pour lutter conjoncturellement contre la crise. En revanche, la dépense publique à long terme n'est pas un facteur de production.

Mathieu Mucherie : Il faut distinguer entre dettes brutes et dettes nettes, entre dettes dans des pays où il reste un potentiel de croissance (USA, pays émergents) et dettes dans des pays où il n’y en a plus du tout (zone euro), entre dettes détenues par des résidents et dettes détenues par les non-résidents (ces derniers sont plus volatils), dettes dans les pays qui peuvent encore à la rigueur monter les impôts (USA, Japon) et dettes dans les pays où ce n’est plus possible (France), et surtout dettes dans les pays souverains dans leurs monnaies (USA, UK, Suède, Israël, Pologne, Suisse…) versus dettes des pays non souverains monétairement (la zone euro, semble-t-il).

Attention aussi à la dette privée : plus cette dernière est forte, plus la dette publique pose problème. Quand on oublie la fongibilité, ça donne les surprises de l’Irlande. Et certains n’ont pas encore compris que le désendettement public n’est pratiquement pas possible quand le secteur privé lui aussi se désendette.

Attention enfin à ne pas oublier la dette hors-bilan (sortie non budgétée du nucléaire en Allemagne et ailleurs, coûts cachés des structures bancaires de défaisance en Espagne et ailleurs, coûts du vieillissement et des promesses sociales un peu partout). 

Compte tenu de tous ces éléments, l’Europe est franchement mal barrée. Les dettes privées y sont trois fois plus volumineuses que les dettes publiques. C’est Sisyphe poussant son rocher. Un destin peu sympathique. Mieux vaudrait reconnaître assez vite que toutes les dettes ne pourront pas être honorées. Mieux vaudrait donc sacrifier l’indépendance de la BCE et cantonner une partie de ce boulet intergénérationnel dans le bilan de la banque centrale (qui peut porter ce fardeau et l’annuler discrètement au fil de l’eau). Ce n’est pas glorieux, certes, mais qu’est-ce qu’on nous propose d’autre ? Rien de sérieux et/ou rien de politiquement tolérable sur la longue durée. 

Cela permettrait-il d'en finir avec l'idée selon laquelle la panne de croissance que traverse actuellement l’Europe serait uniquement liée à un problème budgétaire ?

Nicolas Goetzmann : Il me semble que l'idée est désormais totalement anéantie. Nous pouvons être sûrs que les partisans de l’austérité vont résister devant l’évidence et que cela va mettre encore du temps. Mais le constat est d’une grande violence, le travail de Rogoff / Reinhart était le plus cité comme soutien académique de la politique menée. Nous parlons d’erreurs dans un fichier Excel, c’est dire le niveau de ridicule de la situation. Le discours d’austérité tient véritablement sur du sable aujourd’hui.

Un politique doit être courageux pour affronter une telle situation, le déni est plus simple. Il est probable que nous assisterons sur ce point à de grands moments. Mais il est évident que même la politique de "sérieux budgétaire" découle de cette vision.

Jean Peyrelevade : Le fait de vouloir réduire la dette de tous les pays au même moment a un effet conjoncturel dépressif. Mais le problème structurel de l'Europe en général et de la France en particulier c'est notre manque de compétitivité. Notre croissance potentielle en Europe est très faible. Aujourd'hui, la productivité en Europe est, elle aussi, très faible. C e n'est pas un problème monétaire. Les pays très endettés sont les pays où il n'y a pas assez d'investissements dans l'appareil productif. Les taux d'investissements sont trop faibles car les marges des entreprises sont elle-mêmes trop basses parce que les charges publiques sur l'appareil productif sont trop élevées.

Mathieu Mucherie : C’est le moins que l’on puisse dire. C’est une crise monétaire (euro trop cher, taux PIGS trop hauts, déflation rampante), qui devient une crise budgétaire et structurelle à la longue, quand on ne s’occupe pas de traiter les causes (la BCE indépendante qui refuse de faire comme toutes les autres banques centrales) mais les symptômes (les déficits). Comme au Japon, où la dette publique rapportée au PIB serait deux fois plus faible si la croissance du PIB nominale avait été maintenue par la Banque du Japon à simplement 3% par an en moyenne depuis 1990. Si la crise est budgétaire, comment expliquer que les taux anglais soient beaucoup plus bas que les taux italiens ? 

Philippe Waechter : Croire même avant la publication de ce résultat que le problème de l'Europe ne tenait qu'à son niveau de dette publique est simpliste. La question posée en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni ou encore en France est de savoir comment retrouver de l'autonomie dans sa croissance quand la dynamique mondiale n'est plus aussi robuste que par le passé. Il faut plutôt réfléchir en termes d'investissement, de technologie et de capacité à s'adapter à un environnement changeant. La dette publique n'est pas l'élément premier.

Dans les faits aussi, les politiques d’austérité semblent aujourd’hui montrer leurs limites : le FMI reconnaît à demi-mot que c’était une erreur. Quelles sont les alternatives ? Comment relancer la croissance ? Cela passe-t-il par des mesures économiques ou des mesures politiques ?

Nicolas Goetzmann : La politique économique européenne ne tient plus à rien. Elle est la seule à la pratiquer, n’obtient aucun résultat positif, possède le taux de chômage le plus élevé des grandes zones, et son support académique vient d’être ridiculisé.

La modification du statut de la BCE vers un mandat prenant en compte la croissance, l’instauration d’un objectif de PIB nominal à la place du mandat de stabilité des prix, nous permettra d’obtenir des résultats. Si les gouvernements maintiennent la pression budgétaire actuelle et la couple avec une relance monétaire, nous aurons des résultats très rapides. Un tel choc de doctrine agit immédiatement, comme nous le constatons au Japon depuis 6 mois.

L’objectif d’une telle politique est de permettre un retour de la croissance tout en permettant une réduction du secteur public dans l’économie afin de revenir vers plus d’efficacité. Lorsque la croissance est de retour, les ajustements budgétaires deviennent bien plus simples à réaliser. Je suis convaincu que la prise en compte des apports de la recherche actuelle, notamment du professeur Scott Sumner qui a été le premier à établir le diagnostic monétaire, nous laisse entrevoir une période de forte expansion. Entre-temps,il va falloir que les gouvernements actuels admettent qu’ils ont eu tort.

Jean Peyrelevade : Premièrement, il faut affirmer politiquement que la bonne santé de l'appareil productif est un facteur majeur de prospérité. Deuxièmement, il faut faire en sorte que l'appareil productif se retrouve en situation de compétitivité, en situation d'investissement et en situation d'amélioration rapide de sa productivité.

Mathieu Mucherie : L’austérité n’est pas une erreur à proprement parler : mais en phase basse du cycle (et a fortiori dans une crise grave) l’austérité budgétaire qui n’est pas lissée par une détente monétaire (des taux en dessous de la croissance nominale, une dévaluation, des achats d’actifs en masse) est une faute. C’est se tirer une balle dans le pied, et avec des taux longs en dessous de 2% c’est, en outre, fort peu rationnel. Cela était parfaitement prévu par les économistes, qui se souviennent de 1937 aux US ou de 1996 au Japon.

On peut stabiliser la croissance du PIB nominal en augmentant suffisamment la base monétaire (la monnaie banque centrale) pour que cela puisse impacter la création monétaire au sens large ; mais compte tenu de la panne dans la demande de crédit de nombreux acteurs économiques, il faudrait y aller à fond, comme les japonais depuis 6 mois. Le temps n’est plus à la demi-mesure ni aux diversions (union bancaire, réforme du pacte de stabilité, banque européenne d’investissement, études sur les euro-bonds, Cahuzac, PSG, mariage gay).

Philippe Waechter : L'économie de la zone Euro a besoin d'une demande plus soutenue pour que les entreprises et les ménages puissent s'adapter à l'environnement changeant que j'évoquais. Il faut que les entreprises retrouvent la possibilité d'investir, ce qu'elles ne feront pas si la politique de rigueur ou d'austérité, peu importe son nom, contraint aujourd'hui et demain la demande qui leur sera adressée. Il est là l'enjeu majeur pour retrouver de la croissance. Si le débat autour de l'article de R&R permet de réfléchir différemment à la politique économique ce sera un grand pas en avant. Il n'y a pas de miracle ni de recette magique comme le laissait penser le seuil de 90%.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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