Lutte contre les black blocks et autres radicaux : comment être efficace sans attenter aux libertés publiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Selon Mediapart, Gérald Darmanin, dans sa lutte contre l’«ultragauche», aimerait que l’Etat ait le pouvoir d’entrer dans les messageries chiffrées
Selon Mediapart, Gérald Darmanin, dans sa lutte contre l’«ultragauche», aimerait que l’Etat ait le pouvoir d’entrer dans les messageries chiffrées
©LUDOVIC MARIN / AFP

Liberté chérie

Selon Mediapart, Gérald Darmanin, dans sa lutte contre les black blocks et autres radicaux, aimerait que l’Etat ait le pouvoir d’entrer dans les messageries chiffrées. Une énième mesure liberticide au nom de la sécurité ?

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

Voir la bio »

Atlantico : Selon Mediapart, Gérald Darmanin, dans sa lutte contre l’«ultragauche», aimerait que l’Etat ait le pouvoir d’entrer dans les messageries chiffrées. À quel point cette idée serait-elle liberticide ?

Pierre Beyssac : Gérald Darmanin n'a pas donné beaucoup de détails sur ce qu'il avait en tête.

Il existe deux obstacles : la loi, qu'il voudrait faire évoluer, et la technologie.

La loi protège nos communications privées, qui ne peuvent être soumises à des écoutes que dans des cas particuliers de procédure.  En général elles sont autorisées par un juge qui est garant de notre protection contre des écoutes abusives, mais pour les cas extrêmes (terrorisme notamment) les services de renseignement disposent d'une autonomie extra-judiciaire.

La technologie, quant à elle, permet avec les procédés cryptographiques de communiquer en protégeant de manière très efficace, mathématique, la confidentialité des échanges.

On ne peut pas faire disparaître ce type de procédé en légiférant. Tout au plus peut-on tenter d'en réguler l'usage, ce qui pose un problème de libertés publiques. Ainsi, la Convention européenne des droits de l'homme affirme dans son article 8 le droit de toute personne au respect « de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Il ne s'agit pas d'un privilège dont on devrait s'excuser, mais d'un droit.

Évidemment, la police française et les services de renseignement souhaiteraient pouvoir élargir leurs moyens légaux d'écoute sans juge, ce qui a déjà été réalisé sous le mandat Hollande, par la loi renseignement de Bernard Cazeneuve et Jacques Urvoas.

Cette loi modifiait la doctrine des écoutes, d'un système où les pouvoirs publics réalisaient des ciblages (écoutes de personnes soumises à enquête), à un système où les écoutes sont réalisées de manière "préventive" sur des communications prises au hasard pour y détecter des comportements anormaux, notamment pour faciliter la lutte contre le terrorisme.

L'affaire Snowden a révélé en 2013 aux USA que la NSA (National Security Agency) réalisait des écoutes illégales massives sur le trafic Internet, profitant de la quasi absence de chiffrement des communications. Le déploiement du chiffrement qui s'est ensuivi suite à ces révélations visait à protéger les utilisateurs du réseau les écoutes illégales.

Les messageries qui sont actuellement dans le collimateur de G. Darmanin, mais aussi du législateur européen, procèdent à un chiffrement dit "de bout en bout" où les deux correspondants ont l'assurance mathématique que leurs échanges ne peuvent pas être lus directement par des tiers. Cependant, des portes dérobées (backdoors) sont possibles en extrémité, soit par l'application utilisée, soit par d'autres moyens, et c'est en général ce type d'accès que demandent G. Darmanin et les États. Cependant, il n'existe aucune garantie que les portes dérobées seront utilisées sans abus, ni par les services de police, ni même par des tiers non autorisés.

Au delà du cadre des écoutes ciblées classiques, il s'agit également d'écorner ou de mettre fin à la protection des communications privées, un principe aussi ancien que le courrier postal.

Plus largement, à quel point assistons-nous à une multiplication des mesures de contrôle à des fins de maintien de l'ordre ?

C'est une tendance de longue date, mais la tentation de résoudre les questions de police en utilisant la technologie est de plus en plus irrésistible avec l'omniprésence des moyens technologiques dans nos communications de tous les jours.

Le problème est que cela implique également une érosion progressive de nos droits fondamentaux. On le constate hors du domaine technologique, où les procédures de police sont "simplifiées" en supprimant certaines garanties afin d'alléger les moyens à mettre en œuvre.

C'est une tentation qui n'est pas spécifiquement française puisqu'on voit également à l'Union Européenne une intention d'accéder aux messageries privées au titre de la protection de l'enfance (lutte contre la pédocriminalité).

Sommes-nous en train de renoncer collectivement à notre liberté au profit d’une certaine vision de la sécurité ?

Bribe par bribe, oui, mais ce n'est pas un choix de société conscient et éclairé. Ces sujets sont peu médiatisés, complexes, et mobilisent beaucoup moins qu'une réforme des retraites ou le prix du carburant. Or nous sommes en train de jouer là nos droits futurs qui dépendent de plus en plus du numérique.

On pourrait estimer que chaque entorse est mineure, mais il faut aussi réaliser qu'il n'y a jamais de retour en arrière. La tendance est donc au recul progressif de nos libertés.

Une fois qu'un principe est écorné au nom d'un danger particulièrement grave comme le terrorisme, les exceptions se multiplient au fil du temps pour toucher à des sujets de droit commun.

Comment allier efficacement sécurité et liberté ?

Les deux sont classiquement opposés.

Il faudrait rechercher un juste milieu : proportionnalité des moyens, transparence, effectivité des contre-pouvoirs et des recours.

Par exemple en matière de censure en ligne, les voies de recours sont notoirement plus longues et incertaines que les moyens de blocage, immédiat et souvent sans appel.

Peut-être peut-on aussi tenter une troisième voie moins facile mais plus respectueuse de la démocratie, en redonnant des moyens à la justice, particulièrement mal financée en France ?

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !