Lutte contre la pandémie : l’Etat saisi d’une violente schizophrénie sur la marge de manœuvre laissée aux collectivités locales<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Castex et Olivier Véran, lors d'une conférence de presse le 22 avril 2021.
Jean Castex et Olivier Véran, lors d'une conférence de presse le 22 avril 2021.
©Ludovic MARIN / AFP

Débrouillez-vous pour... faire (exactement) comme on vous dit

Depuis un an, l’Etat central a multiplié les entraves pour les élus qui se préoccupaient de masques, de tests ou de vaccination. D’un coup, d’un seul Jean Castex a pourtant annoncé ce jeudi déléguer aux collectivités territoriales le soin de prendre en charge le défi de l’aération et de la purification de l’air des écoles.

Christian Le Bart

Christian Le Bart

Christian Le Bart est professeur de science politique à l’IEP de Rennes, membre du CRAPE-CNRS, et directeur de la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne. Il a travaillé sur des objets de recherche divers comme les maires, les étudiants politiques, ou la communication politique. Il a par ailleurs co-écrit Les fans des Beatles : sociologie d'une passion (Presses Universitaires de Rennes).

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Atlantico : Comment l'exécutif s'appuie-t-il sur les collectivités dans la gestion de la crise sanitaire ? Les maires, notamment, ont-ils suffisamment d’autonomie pour agir ?

Christian Le Bart : Pour contextualiser, il y a deux modèles possibles : le modèle allemand et le modèle français. Le modèle français jacobin, unitaire, avec un ministère de la Santé très puissant, des ARS déconcentrées et une action impulsée depuis l’Elysée. La gestion de la crise a longtemps été dirigée par l'idée qu’il ne sert à rien d'agir par localité puisque les gens circulent et transportent le virus dans toute le France. Dans le modèle allemand, la santé est de la compétence des Landers, ce qui permet d’agir plus finement en fonction des disparités d'évolution du virus. Le risque étant que la stratégie manque de cohérence. 

Le gouvernement français a commencé en lissant les disparités territoriales, ce qui a créé beaucoup de frustrations dans les régions les moins touchées. Le gouvernement a ensuite corrigé le tir avec des mesures à la carte en fonction de la situation épidémiologie locale mais la décision était toujours décrétée d'en haut.

Dans la dernière phase, on a vu plus de prise en charge de la gestion de la crise de la part des élus locaux. L'exécutif fait appel à eux pour organiser la vaccination et comme souvent les élus sont appelés à la rescousse quand le gouvernement ne s'en sort pas tout seul.

Beaucoup d’élus se sont plaint d’être entravé dans leurs initiatives. Dès décembre 2020, le maire de Cannes David Lisnard a notamment voulu ouvrir un vaccinodrome mais s’était vu opposer le refus d’Olivier Véran. Cela montre-t-il le manque d'implication de l'État envers les préoccupations des élus locaux ?

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Tout d’abord, il est clair qu'on ne peut pas abandonner aux élus locaux toute l'action sanitaire. D'abord parce que les achats de vaccins ne peuvent se faire que de façon centralisée même si certaines régions ont voulu jouer la carte de l'achat de vaccin de leur côté, ce qui aurait pu causer des problèmes lourds de cohérence d'action publique et d'égalité entre les territoires.

Une des faiblesses du macronisme est l'absence de relais dans les territoires. Quand un Christian Estrosi ou un Xavier Bertrand fustige le ministère de la Santé en disant qu’ils n’ont pas leur mot à dire, ils le font aussi sur fond de critique politique. Le fait qu’Emmanuel Macron n'a pas de relais dans les territoires ne facilite pas la fluidité centre-périphérie de cette politique sanitaire. 

A la charge du gouvernement, le macronisme n'a jamais été attentifs aux élus locaux. Il y a une continuité dans une posture de méconnaissance du monde des élus locaux auxquels on ne fait pas confiance. La politique sanitaire mise en place se traduit par des pratiques infantilisantes pour des élus locaux qui ont pourtant de bons arguments pour se poser comme des figures importantes de la politique et qui ont appris à faire de l'action publique sans l'aide de l'Etat.

Certes, on ne peut pas lutter contre la pandémie uniquement par le local car le virus circule beaucoup, mais en même temps si on le fait nationalement sur la base de règlements complètement impersonnels, on crée des mesures grossières qui ne sont pas assorties aux réalités du terrain. Tous les pays se débattent avec ce problème mais en France, c'est exacerbé par un président qui n’a jamais été élu local et qui a montré son peu d’intérêt pour les élus locaux – on se souvient qu’il avait boycotté le congrès des maires de France en 2018. Son parcours est aussi un parcours qui fait totalement l’impasse sur l'échelon local.

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Le gouvernement a renvoyé la balle aux élus locaux concernant la prise en charge de l'aération dans les écoles et l’achat de capteur de CO2. N’est-ce pas paradoxal ?

C'est la patate chaude. Le gouvernement se défausse sur les élus pour tout ce qui coûte cher ou pour tout ce qui nécessite des petites mains pour mettre en musique. Là, l'impression qu'ont les intéressés c'est qu'on ne leur laisse les miettes. Les seules marges de manœuvres qu’on leur donne sont vraiment en bout de chaîne. Et on leur laisse le plaisir de payer la facture. Ça participe du scénario d'infantilisation. 

Ce qui agace les élus locaux, c’est qu’ils se voient enjoindre d'accompagner les politiques, de fournir les moyens que l'Etat ne peut pas fournir, mais en même temps ils n'ont pas la possibilité de dire par exemple que pour tel point du département moins touché on peut rouvrir une plage. C'est souvent la caricature de la décision administrative prise d'en haut qui ressort.

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