Lueur d'espoir : Hollande et Valls renoncent à l’illusion de la reprise mais ont compris l’ampleur du risque déflationniste et peut-être même comment y remédier <!-- --> | Atlantico.fr
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Une lueur d'espoir pour la France.
Une lueur d'espoir pour la France.
©wikipédia

Remise en question salutaire

Adieu la "reprise", bonjour la "rentrée difficile". En deux semaines, le discours de crise de l’Élysée a été profondément remanié et pointe désormais la responsabilité de la Banque centrale européenne. Une nouvelle stratégie qui mériterait de s'affiner pour gagner en crédibilité.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Ca y est. Du moins ça y ressemble. Il aura fallu deux ans pour que le diagnostic soit posé avec suffisamment de force et de coordination par l’exécutif. Et cette fois-ci, le Président s’est enfin décidé à pointer directement la responsabilité de la Banque centrale européenne dans la crise qui frappe l’Europe depuis 2008. Une " révélation " qui semble avoir eu lieu en deux temps. Manuel Valls a pu ouvrir le bal le vendredi 1 août en dénonçant le risque déflationniste qui pèse sur l’Europe, et François Hollande a enfoncé le clou ce lundi 4 août en déclarant : " Quant à la Banque centrale européenne, elle doit prendre toutes les mesures nécessaires pour injecter des liquidités dans l'économie. ".Jusqu’à présent les attaques formulées à l’encontre de la BCE étaient du ressort exclusif d’Arnaud Montebourg. Désormais, l’attaque est menée par la tête de l’état.

Quelque chose a changé. Après les déclarations du Président du 14 juillet indiquant que " la reprise est là ", le ton n’est plus le même. La " reprise " n’est toujours pas là et Manuel Valls prévoit désormais " une rentrée difficile ". En deux semaines le discours économique est modifié et l’exécutif semble prendre conscience de l’inefficacité de sa politique : une politique de l’offre et des réductions des dépenses ne pourront être réellement efficaces que si la croissance existe. Or, le ministre des finances Michel Sapin aura la lourde tâche d’assumer la publication de la croissance du deuxième trimestre 2014, et celle-ci risque fort d’être très décevante. Les récentes publications statistiques pour le mois de juillet ne laissent pas plus d’espoirs concernant le début de ce troisième trimestre. Face à la réalité il a peut-être été jugé, enfin, que le diagnostic initial du Président Hollande était erroné. Il reste alors à changer le fusil d’épaule, modifier l’analyse, et à assumer clairement une nouvelle ligne économique. Peut-être une ligne monétaire.

Mais que dit le Président ? " En France, l'inflation n'a jamais été aussi basse. Or, si une faible croissance pèse sur les rentrées fiscales, une faible inflation a également des conséquences budgétaires négatives sur les recettes comme sur la dette. Beaucoup va dépendre du niveau de l'euro qui a baissé ces derniers jours mais encore trop peu. ". Pour Manuel Valls, la situation n’est pas différente ".

Mais l’exécutif ne doit pas tomber dans le piège de la facilité. François Hollande ne peut se contenter de pointer la trop faible inflation au sein de la zone euro. Si cette situation est bien réelle, les derniers chiffres attestant que les prix n’ont subi qu’une hausse de 0.4% au cours de la dernière année, cela ne suffit pas à identifier le problème. Car au-delà de l’inflation, c’est la croissance nominale européenne qui évolue sur un rythme tout à fait inadmissible. Et il s’agit bien là de la variable essentielle à prendre en compte afin de pouvoir comprendre l’origine de la crise. Ce n’est pas en prenant en compte l’inflation dans un coin et la croissance dans un autre que le diagnostic pourra être posé correctement. Mais en prenant la somme des deux, c’est-à-dire la croissance nominale. Après des années passées à vouloir décortiquer les chiffres économiques, la profession en a sans doute oublié l’essentiel, c’est-à-dire cette vision offerte par le " tout " que représente la croissance nominale. Car ce chiffre est la mesure primaire de l’économie et se trouve être totalement sous contrôle de l’autorité monétaire européenne. Ainsi, la responsabilité de la BCE doit être mise en cause avant tout en raison de son incapacité à revitaliser cette croissance nominale depuis 2008. En effet, le pouvoir dont dispose la BCE ne consiste pas uniquement à maitriser l’évolution des prix, mais bien à contrôler cette somme de la croissance et de l’inflation; le PIB nominal. Entre 1999 et 2008, la croissance nominale de la zone euro était stabilisée au rythme de 4% annuels mais depuis l’entrée en crise, elle n’a pas été supérieure à 1% en moyenne annuelle. Pour un résultat total proche de 5% seulement pour l’ensemble de ces 6 années. Soit un " manque à gagner " proche de 20%. Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin pour expliquer la dépression et le taux de chômage européen. Manuel Valls a bien raison de dire que la croissance et l’inflation sont en " retrait par rapport à ce que nous pouvions attendre ". Elles se sont toutes deux effondrées.

Il suffit de constater à quel point la croissance nominale européenne était stabilisée avant la crise sur ce rythme de 4% annuel, et de se rendre compte du " trou béant " qui s’est ouvert depuis lors :

Rouge : croissance nominale théorique de 4%. Bleu : Croissance nominale européenne. Base 100.

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L’énorme décalage existant entre les deux lignes ne traduit rien d’autre qu’une crise monétaire. Un écart parfaitement corrélé à l’évolution du taux de chômage en Europe. Une corrélation qui se discerne à l’œil nu.

En rouge le Taux de chômage (échelle de gauche) et en bleu la croissance nominale " perdue " depuis l’entrée en crise (échelle de droite).

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Mais le Premier ministre se doit de trouver une crédibilité pour prendre ce sujet à bras le corps. Car malheureusement les références à " l’absence de politique de change " (mentionné le 1er août) ne font que traduire un manque de préparation. En effet, ce terme de " politique de change " est daté, inconsistant pour la Banque centrale européenne. Elle l’écartera d’un simple coup de menton, le niveau de l’euro n’étant pas un objectif en soi selon le mandat de la BCE. Si Manuel Valls ou François Hollande veulent peser sur le débat monétaire européen, il leur sera nécessaire d’employer les mots qui conviennent. Ce n’est pas d’une " politique de change " dont l’Europe a besoin, mais d’une politique monétaire prenant en compte le plein emploi comme un objectif d’importance égale avec celui de la maîtrise des prix. Les mots ont ici une importance fondamentale. A partir du moment où la BCE devra statutairement prendre en compte le taux de chômage, il ne lui sera plus permis de se cacher derrière son mandat actuel de stricte stabilité des prix. Avec un taux de chômage actuel de 11.5% en zone euro, la BCE sera contrainte de mettre TOUT en œuvre pour soutenir l’activité économique, et la croissance nominale. Et ce, de la même façon que la Réserve fédérale américaine, qui peut se targuer d’avoir ramené le taux de chômage outre atlantique au niveau de 6.2% pour le mois de juillet 2014.

Pour François Hollande, le moment est opportun. Les récentes déclarations de la Bundesbank font état d’une réelle perte de contrôle des autorités monétaires allemandes. Comme le remarque le Président " La Bundesbank est consciente du problème, comme le montre son souhait de voir les salaires augmenter en Allemagne de 3 %. " Jamais la Bundesbank n’était allée aussi loin, assez loin pour se décrédibiliser. Car si les salaires ne progressent pas assez vite en Allemagne ce n’est pas tout à fait de la responsabilité des entreprises mais bien de celle de la BCE. Si le patronat allemand ne souhaite pas augmenter les salaires c’est que les conditions macroéconomiques ne le permettent tout simplement pas. Avec une croissance stagnante dans la zone euro et un niveau d’inflation de 0.4%, pourquoi les salaires devraient-ils augmenter ? Seule une croissance robuste serait à même de " contraindre ", par l’incitation, les entreprises à effectuer un tel mouvement à la hausse. La Bundesbank tire le signal d’alarme, mais ne fait rien d’autre que de s’accuser elle-même de son dogmatisme. Pour que les salaires augmentent, c’est la croissance qui doit faire son retour. A force d’immobilisme, la BCE est en train de se prendre à son propre piège et donne raison à tous ses détracteurs.

Il aura fallu deux ans au Président pour diriger son regard dans la bonne direction. Il ne reste qu’à espérer que ce cap soit maintenu. Mais ce n’est pas comme si François Hollande avait le choix. S’il veut obtenir des résultats.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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