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Aurélien Pradié et Eric Ciotti en pleine discussion à l'Assemblée nationale lors de l'examen de la réforme des retraites défendue par Elisabeth Borne, en février 2023.
Aurélien Pradié et Eric Ciotti en pleine discussion à l'Assemblée nationale lors de l'examen de la réforme des retraites défendue par Elisabeth Borne, en février 2023.
©Ludovic MARIN / AFP

Clarification

Aurélien Pradié, en désaccord avec Eric Ciotti sur la réforme des retraites, a été démis de son poste de vice-président des Républicains.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Aurélien Pradié a été démis de ses fonctions de numéro deux des Républicains par Eric Ciotti à la suite de ses prises de position sur la réforme des retraites. Aurélien Pradié s'est notamment opposé au recul de l'âge de départ à la retraite à 64 ans. Il avait également obtenu le renfort du parti de la majorité Horizons, sur la durée de cotisation pour les retraités pouvant bénéficier du dispositif « carrières longues ». Que se joue-t-il derrière cette décision d’Eric Ciotti au sein des Républicains ?

Christophe Boutin : Au-delà du caractère anecdotique et amusant que peut avoir la manière dont Éric Ciotti, par un SMS, a débarqué Aurélien, Pradié de la vice-présidence des Républicains - une fonction qu’il partageait, en le regrettant hautement, avec François-Xavier Bellamy -, la question est celle de l’organisation des partis politiques, et de la manière dont tel ou tel de leurs membres peuvent être laissés libres de jouer leurs cartes et, pour reprendre la célèbre formule, de vouloir le beurre, l’argent du beurre, la vache et la fermière. Lorsque ce problème apparaît dans des structures qui se veulent collectives, qui sont censées apporter de manière unie des solutions aux problèmes politiques rencontrés, des structures dont, en sus, les instances ont été démocratiquement élues et sont donc pleinement légitimées par ces choix démocratiques pour dicter une ligne politique, il ne peut qu’y avoir conflit.

En ce sens, le parcours d’Aurélien Pradié est exemplaire. Lorsque ce jeune homme pressé devient en 2008 l’un des plus jeunes conseiller général de France, son opposant de l’époque lui reproche de cacher son drapeau UMP, et Pradié s’en explique alors ainsi : « Je ne renie pas mes origines. Je suis toujours membre de l'UMP. Mais je suis un UMP ouvert. Dans mon équipe de campagne, il y a autant de gens de droite que de gauche ». Cet esprit d’ouverture continuera de le guider : il soutient Laurent Wauquiez (2017), est intégré dans « Les populaires », courant lancé par Guillaume Peltier, puis soutient Xavier Bertrand comme candidat à l’élection présidentielle (2021), avant de devenir porte-parole de Valérie Pécresse. L’échec de cette dernière se faisant chaque jour plus certain, il pousse Christian Jacob à appeler à voter pour Emmanuel Macron, et en 2022, candidat à la présidence des Républicains se réclamant de la « droite populaire », souhaite une collaboration de son parti avec la majorité présidentielle. Il obtient 22,29% des voix au congrès, ce qui ne l’empêche pas de demander haut et fort de participer aux instances dirigeantes, et Éric Ciotti le nomme donc vice-président.

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Les choses sont donc claires : Aurélien Pradié incarne l’aile macrono-compatible du parti – ce qui, quoi qu’il en ait, le place dans la logique actuelle de Nicolas Sarkozy -, quand Éric Ciotti et Bruno Retailleau tentent de dégager une ligne d’opposition claire. Las, la réforme des retraites allait faire jouer tout ce monde à front renversé. Ciotti est Retailleau trouvent en effet cette fois qu’il y a une logique à voter la réforme proposée par la majorité présidentielle, puisqu’elle reprend nombre d’éléments défendus dans les années précédentes par les Républicains - notamment au Sénat, où Bruno Retailleau dirige le groupe. Le parti engage alors un dialogue avec le gouvernement d’Elisabeth Borne et obtient un certain nombre de concessions – ce qui ne lui profite que peu auprès des électeurs, car elles sont récupérées par le gouvernement.

Mais, parallèlement, la réussite des mouvements populaires sur l’ensemble du territoire montre bien que cette réforme est mal acceptée par une part importante de la population. À LR et ailleurs, nombre de députés reviennent de leurs circonscriptions plutôt inquiets, et tentent d’expliquer aux instances de leurs partis qu’il convient peut-être de changer de pied. Et si rester fidèle à un programme obsolète était suicidaire ? Éric Ciotti voulait rester dans l’opposition pour pas être entraîné dans la chute de la maison Macron, mais les retraites ne vont-elles pas l’y conduire ?

Dans ce cadre, Aurélien Pradié continue de se présenter comme la voix des électeurs contre « l’Ephad » des instances dirigeantes, et trouve un axe de demande supplémentaires, celui des « carrières longues ». Ce faisant, il attire sur lui l’attention des médias et, court-circuitant les dirigeants du parti, devient en quelque sorte l’interlocuteur privilégié d’Elisabeth Borne - puisque le plus radical dans l’opposition, celui qui pourrait ne pas voter la réforme, alors pourtant que la majorité présidentielle a besoin des voix des LR. Cette prise de position lui a valu les applaudissements de la NUPES, ce qui est anecdotique, mais aussi le soutien du parti d’Édouard Philippe, Horizons - soit des Républicains ralliés depuis 2017 à Emmanuel Macron, mais qui, d’une part, veulent faire entendre leur voix et obtenir des compensations à leur soutien, et surtout, d’autre part, pensent à l’après Macron, en 2027, autrement dit demain.

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Tout est lié ici, car du combat pour la réforme des retraites pourrait dépendre l’image de partis ou d’hommes qui entendent bien trouver leur place dans les recompositions politiques à venir, et nous sommes confrontés à des stratégies qui dépassent très largement la compassion que l’on peut porter aux « carrières longues »… On comprend dans ce cadre le choix d’Éric Ciotti, celui d’une clarification : les divergences internes peuvent exister, les ambitions personnelles sont légitimes, mais les discordances ne devraient pas être aussi importantes quand on occupe « en même temps » une place de direction.

La droite est-elle en pleine LizTrussisation, dans un état similaire au chaos du parti conservateur britannique et au naufrage express de la Première ministre ?

Les choses sont ici très différentes. Pour les résumer – et donc sans doute trop les schématiser -, Liz Truss a voulu imposer un virage ultra-libéral à ce parti conservateur qui, notamment grâce à Boris Johnson, avait réussi à renouer un lien avec les classes populaires. Ce revirement subit, et la manière très brutale avec laquelle Truss a présenté les choses, ont conduit à son décrochage politique, qui l’a poussé à quitter la direction du parti et le 10 Downing Street. Depuis, le parti conservateur est agité par de multiples scandales, et attend visiblement une personnalité capable de remettre de l’ordre – l’actuel Premier ministre, Rishi Sunak, lui même venu du monde de la finance, ayant visiblement du mal à retrouver l’allant johnsonien.

Rien de tout cela avec les Républicains : ni Éric Ciotti, ni Bruno Retailleau n’ont engagé le parti dans un virage ultra-libéral. Dans le cadre de la réforme des retraites d’ailleurs, ils prônent le maintien d’une retraite par répartition et souhaitent voir perdurer le système existant. Et les éléments qu’Aurélien Pradié apporte sur la question des « carrières longues » peuvent tout à fait être entendus par le reste du parti - le problème étant ici plus la manière dont le député du Lot oppose de manière très personnelle sa ligne « sociale » à celle du parti. Pour des raisons culturelles différentes d’ailleurs, ni le méditerranéen Ciotti, ni le vendéen Retailleau, tous deux effectivement volontiers conservateurs, ne sont en effet éloignés du « social » - et ils pourraient d’ailleurs répondre facilement répondre à Aurélien Pradié que, par définition, tout véritable gaullisme est un « gaullisme social ».

Comment expliquer que Les Républicains soient incapables de savoir ce qu'ils sont réellement et d’avoir un mode d’action cohérent ? 

La politique, ce n’est pas uniquement la définition d’un programme, ce n’est pas uniquement une référence idéologique - même s’il faut effectivement, comme le rappelait le président Macron, « une boussole ». C’est aussi la politique « politicienne », sans qu’ici le terme soit le moins du monde infamant. C’est toute la question de la tactique à utiliser en fonction des circonstances, des attentes de la population, qui peuvent changer, des oppositions politiques auxquelles on est confronté, une même réponse ne pouvant être apportée de manière systématique. Les Républicains ne sont pas un monolithe sur les plans idéologique et tactique ? Non, sans doute, mais pas plus et pas moins que Renaissance ou l’alliance de la majorité présidentielle, pas plus et pas moins que la NUPES, coalition hétérogène, et pas plus et pas moins que le Rassemblement national, qui, notamment sur les options économiques, a beaucoup évolué.

Cette recherche de cohérence à laquelle vous faites allusion, cette « boussole », on la verra peut-être plus dans d’autres dossiers à venir, qui touchent à des éléments aussi essentiels que l’immigration ou les questions d’éthique avec l’euthanasie. Mais c’est justement au nom de la cohérence avec leur programme des années précédentes, que, rappelons-le, Ciotti ou Retailleau appellent au vote de la réforme des retraites. 

Cette décision d’Eric Ciotti vis-à-vis d’Aurélien Pradié va-t-elle plonger une nouvelle fois Les Républicains dans une crise interne et affaiblir encore un peu plus cette formation politique, tout en fracturant la droite ?

Non seulement on peut ne pas le penser, mais il est sans doute permis de penser le contraire. Une formation politique, lorsqu’elle est dans la tourmente, comme c’est le cas des Républicains depuis maintenant des années, n’a jamais intérêt, pour conserver quelques-uns de ses élus, à maintenir le flou et à passer l’éponge sur des comportements qui déstabilisent ses électeurs. On ne peut sans risque permettre à tel ou tel de jouer ses propres cartes sur la scène médiatico-politique au détriment de ses partenaires.

Bien sûr, une formation politique est toujours une coalition d’intérêts, une coalition d’ambitions personnelles, avec les rivalités qui peuvent en découler, les courants internes qui peuvent se créer, et les volontés de certains de la diriger. Mais celui qui tente l’épreuve de force doit avoir un beau jeu en main, comme lorsque Nicolas Sarkozy oblige Jacques Chirac à le prendre comme ministre de l’Intérieur tout en lui laissant le contrôle du parti. Aurélien Pradié, héros des médias, a sans doute cru qu’Éric Ciotti n’oserait pas le sanctionner à cause de cela, mais il aurait peut-être été bien avisé de se demander qui, dans cette vitrine qu’on lui offrait, manipulait qui. Demain, le texte ne sera plus à l’Assemblée nationale mais au Sénat, et son quart d‘heure warholien sera passé. Demain c’est Bruno Retailleau et Éric Ciotti qui décideront des amendements, et avec qui Élisabeth Borne devra discuter.

Même si Pradié quittait demain LR avec quelques députés, le dommage serait moins grand pour le parti et l’équipe – élue, rappelons-le - qui dirige les Républicains que s’il lui avait fallu passer sous les fourches caudines du député du Lot et tolérer ses foucades. Il appartient maintenant à cette équipe de faire la preuve que la dimension sociale de leur formation n’a pas à être préemptée par tel ou tel, parce qu’elle qu’elle est bien dans l’ADN même du gaullisme. Et de démontrer qu’un social-conservatisme peut plus efficacement s’opposer au progressisme macronien qu’une ligne sociale-sociétale reprise du chiraquisme finissant. Il est même permis de penser que tout cela ne ferait pas de mal à la droite.

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