Louis XIV : "people politique" avant l'heure<!-- --> | Atlantico.fr
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Sous l'Ancien régime, les événements les plus anodins de la vie du roi et de ses courtisans faisaient déjà la joie des gazettes.
Sous l'Ancien régime, les événements les plus anodins de la vie du roi et de ses courtisans faisaient déjà la joie des gazettes.
©DR

Rien de nouveau sous le (roi) soleil

Nicolas Sarkozy, Rachida Dati, Ségolène Royal et quelques autres ont remplacé depuis plusieurs années les vedettes du show-biz à la Une des magazines people. Jamil Dakhlia explique que la "peopolisation" de la vie politique existe pourtant depuis bien longtemps... Extraits de "Les politiques sont-ils des people comme les autres" (1/2).

Jamil  Dakhlia

Jamil Dakhlia

Jamil Dakhlia est Président de l'Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3, professeur en Sciences de l'information et de la communication, directeur de l'UFR Arts & Médias, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle et historien et sociologue des médias. Il a notamment écrit "Mythologie de la peopolisation" (2010) et "Politique People" (2008).

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L’évolution des mises en scène du pouvoir

Les modalités de la politique people contemporaine ne sont pas sans précédents : comme l’indiquent entre autres les personnages historiques de Louis XIV, Marie-Antoinette et Napoléon Ier, la focalisation sur la personne du dirigeant, son intimité, sa vie privée ou familiale fait de longue date partie de l’imaginaire politique.

L’exercice du pouvoir a longtemps été associé à une sacralisation de la personne qui l’incarne. Sacralisation religieuse, d’abord. Pour être légitime, le pouvoir devait affirmer son origine surnaturelle : les souverains antiques se présentaient comme des dieux ou fils de dieux ; les rois de France, pour leur part, rappelaient par la cérémonie de leur sacre à Reims l’essence divine de leur pouvoir.

Sous les régimes monarchiques occidentaux, la question de l’incarnation du pouvoir ne peut se comprendre sans référence à la théorie des deux corps du roi développée par Ernst Kantorowicz à propos des souverains du Moyen Âge : « Le Roi a en lui deux Corps, c’est-à-dire un Corps naturel et un Corps politique. Son Corps naturel, considéré en lui-même, est un Corps mortel, sujet à toutes infirmités qui surviennent par Nature ou Accident, à la faiblesse de l’enfance ou de la vieillesse, et aux déficiences semblables à celles qui arrivent aux corps naturels des autres genres. Mais son Corps politique est un Corps qui ne peut être vu ni touché, consistant en une société politique et un gouvernement, et constitué pour la direction du peuple et la gestion du Bien public, et ce Corps est entièrement dépourvu d’Enfance, de Vieillesse, et de toutes les autres faiblesses et défauts naturels auxquels est exposé le Corps naturel, et pour cette raison, ce que fait le Roi en son Corps politique ne peut être invalidé ou annulé par une quelconque incapacité de son corps naturel. » (Les Deux Corps du roi, Gallimard, 1989.)

Si le corps naturel du roi peut être corrompu par la maladie ou par la vieillesse, certains monarques cherchent à y inscrire la sacralité et la perfection du corps politique, ce qui implique une idéalisation constante de la personne royale.

Louis XIV en livre l’illustration la plus aboutie et sans doute la plus connue : ses tenues d’apparat et les spectacles qu’il fait donner à Versailles doivent provoquer un éblouissement à la mesure de son statut de « Roi-Soleil ».

Son célèbre portrait en habit de sacre, réalisé par Hyacinthe Rigaud (Louis XIV, roi de France, 1701) le pare d’étoffes somptueuses et de tous les regalia (objets symboliques) de la royauté française, mais
surtout le fait paraître beaucoup plus grand qu’il ne l’était en réalité (1,48 mètre).

De plus, l’étiquette de Versailles met une noblesse naguère rebelle au service des moindres actes quotidiens de la personne royale : chaque courtisan brigue le privilège d’assister le monarque dans son lever, ses repas, ses promenades, son coucher, etc. Les événements les plus anodins de la vie du roi et de ses courtisans font la joie de gazettes, comme Le Mercure galant, qui, bien que ne se limitant pas à ce genre d’informations, assurent de fait la même vocation échotière que la presse people d’aujourd’hui.

Toute la vie de Louis XIV est vouée à la représentation du pouvoir absolu et de l'esthétisation d'une royauté confondue avec sa personne. La représentation politique se confond avec la représentation artistique, ce qui annonce l'un des paradigmes contemporains de la peopolisation. Rien d'étonnant du coup à ce que Louis XIV soit non seulement un mécène, mais également un artiste, qui aime à interpréter des ballets conçus spécialement pour lui sur la musique de Jean-Baptiste Lully. Quoi de plus people que ce roi danseur ?

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Extrait de "Les politiques sont-ils des people comme les autres", Éditions Bréal (février 2012)

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