Le débat sur le droit du sol montre-t-il que la droite se droitise… ou qu'elle se dégauchise ?

Atlantico : Jean-François Copé, en proposant de réformer le droit du sol, est accusé de chasser sur les terres du FN. Pourtant en 1991, dans un entretien au Figaro Magazine, l'ancien président de la République Valéry Giscard d'Estaing dénonçait "l'immigration-invasion" et proposait d'instaurer "le droit du sang". Deux ans plus tard, Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur, était revenu sur l'automaticité de l'acquisition de la nationalité française. La droite actuelle est-elle vraiment plus à droite que celle des années 1990 ?

Jean Garrigues : Non, l'histoire de la droite est cyclique. Dans les années 1990, la montée du Front national était déjà un phénomène acquis. Et comme aujourd'hui, cette progression du FN a été un facteur de durcissement de la droite. A l'époque, le discours du RPR n'était pas moins radical que celui de l'UMP aujourd'hui. Certaines propositions comme celle de Pasqua sur le droit du sol ou certaines formules comme celle de Jacques Chirac concernant le "bruit et l'odeur" provoqueraient aujourd'hui davantage d'indignation qu'à l'époque. Il y a une relation de cause à effet entre une certaine radicalisation du discours de droite et des phases de montée en puissance du FN. Mais on ne peut pas dire que les hommes politiques de droite vont plus loin aujourd'hui que ceux des années 1990.

Comment la droite a-t-elle évolué depuis cette période ? Peut-on finalement parler d'une "gauchisation" de la droite depuis cette période ?

Le terme de "gauchisation" est peut-être exagéré. Mais en 1995, Jacques Chirac a été élu sur une ligne plutôt de gauche. Avec la question de le repentance par rapport au régime de Vichy, le discours de la droite a été plus en retrait sur les questions d'immigration. Le premier mandat de Jacques Chirac a été une phase de mise en sommeil du thème de l'immigration car sa stratégie était une stratégie de recentrage, si ce n'est vers la gauche, au moins vers le centre-droit. La droite gardait tout de même sa spécificité par rapport au discours de gauche, notamment en terme d'intransigeance concernant l'immigration clandestine. Mais pour faire l'unité avec les centres, la droite avait un discours relativement apaisé sur cette problématique.

Nicolas Sarkozy puis Jean-François Copé ont imposé le concept de droite décomplexée. Plus que de droitisation ne devrait-on pas plutôt parler de "dégauchisation" ?

Il s'agit effectivement d'un décentrage. La droite revient à ses thèmes classiques et à une conception intransigeante du droit du sol qui a été portée par divers droites depuis un siècle. Au fond, une partie de la droite républicaine retrouve tout simplement une identité de droite. On peut parler d'une droite décomplexée plus que d'une droite "lepenisée". 

Le concept de droitisation brandit par la gauche ne sert-il finalement qu'à intimider la droite en agitant le "chiffon rouge" de l'extrême droite ? 

Aujourd'hui comme dans les années 1980, l'épouvantail de la droitisation est une arme aux mains de la gauche. Mais c'est une arme qui a beaucoup moins d'impact aujourd'hui qu'elle n'en avait à l'époque car sous l'effet de la crise l'opinion publique s'est rapprochée des positions de la droite et du Front national. Il est simpliste de dire que la supposée "droitisation" de la droite républicaine aurait conduit à la lepenisation des esprits. Au contraire, c'est la lepenisation des esprits, notamment de la base militante de l'UMP, qui a conduit les cadres de l'UMP à revenir à une position plus dure qui était celle des années 1990.

Si la droite ne s'est pas forcément radicalisée, peut-on en revanche considérer que le FN a changé ?

Indiscutablement, dans les discours officiels des dirigeants du Front national, il y a un adoucissement, un assouplissement par rapport au langage qui était celui des années 1990. Toute la thématique de la préférence nationale était développée de manière beaucoup plus abrupte qu'elle ne l'est aujourd'hui par Marine Le Pen. On peut considérer que la tradition et l'héritage du Front national le ramène à ces questions d'immigration, il n'empêche que le discours est beaucoup plus apaisé et prend comme point d'appui fondamental la question de la laïcité. Auparavant, le point central était le trop plein migratoire. C'est un thème qui existe toujours mais qui n'a pas la même centralité. Le FN développe aussi d'autres thèmes comme la laïcité, le rôle de l’État, la question de l'Europe. Sur le thème de l'immigration, il y a un recentrage du FN ce qui explique le rapprochement idéologique avec une partie de l'UMP.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio